La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat fait pschitt…

La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat fait pschitt…

16.03.2020

Gestion du personnel

Les entreprises ont jusqu’au 30 juin pour verser la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, reconduite en 2020. Mais à ce stade, les réactions sont mitigées, de nombreux DRH ne souhaitent pas réitérer la démarche. D’autres leviers existent pour donner un coup de pouce aux rémunérations. A fortiori lorsque les budgets sont serrés. Enquête.

Instaurée en 2019 pour répondre à la crise des Gilets jaunes, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat connaît cette année quelques ratés. Une entreprise sur trois devrait verser ce coup de pouce en 2020, selon l’enquête de l’Observatoire annuel de la rémunération de LHH-Altedia, qui s’appuie sur un panel de 80 sociétés de tous secteurs d’activité. Elles étaient une sur deux l’an passé. Le groupes Bouygues, par exemple, n’a pas reconduit le dispositif alors qu’il avait octroyé l’an passé une prime de 300 à 600 euros pour les salariés dont les rémunérations étaient comprises entre 24 000 et 36 000 euros brut annuel. Même écho du coté de Sanofi qui avait versé une rallonge de 500 à 1 000 euros l’an passé. Chez Axa, Schneider Electric et TDF, la prime exceptionnelle restera également exceptionnelle. Ces trois entreprises, qui avaient répondu à l’appel de l’exécutif en 2019, ne souhaitent pas réitérer la démarche.

D’autres sont en cours de réflexion. C’est le cas, par exemple, d’Orange qui a débuté les NAO le 6 mars. De même, Messer France, filiale d’un groupe allemand éponyme, spécialisé dans les gaz industriels, n’a pas encore pris de décision.

Elles ont jusqu’au 30 juin 2020 pour statuer.

"Une prime bien identifiée"
Elle permet d’offrir un supplément de pouvoir d’achat à des personnes ayant de faibles revenus 

Quelques entreprises ont toutefois joué le jeu. PSA a rajouté 600 euros sur les fiches de paie des salariés dont les rémunérations étaient inférieures à deux Smic, et entre 400 et 600 euros pour celles comprises entre deux et trois Smic.

Manitou, qui a opté pour une décision unilatérale, a versé 250 euros à 2 000 salariés, opérateurs, techniciens, jeunes cadres (sur 2 400) qui touchent moins de trois Smic. Y compris aux intérimaires qui sont inclus cette année dans le dispositif.  Un calcul qui peut tourner au cauchemar lorsque la société compte de nombreux travailleurs temporaires.

C’est également le cas de la banque ING en France. "Cette prime est bien identifiée, remarque Emeline Bourgoin, la DRH. Même si d’autres mesures existent, elle permet d’offrir un supplément de pouvoir d’achat à des personnes ayant de faibles revenus". L’objectif était au départ de cibler uniquement les salariés qui perçoivent moins de 31 000 euros bruts annuels. Mais au cours de la négociation avec les syndicats, l’entreprise a décidé de faire un geste en direction des personnes ayant entre 31 000 et 35 000 euros bruts "pour éviter les frustrations". Au total, l’entreprise octroie un coup de pouce de 400 euros pour les premiers, et de 300 euros pour les seconds.

Mais cette DRH, également présidente du club des DRH du digital qui compte une trentaine d’adhérents, avoue être la seule à l’accorder au sein de l’association.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Un contexte social différent
Les DRH avaient peur que la contagion gagne leur entreprise. Or, socialement ce geste était important

Car les DRH restent perplexes. "C’est un dispositif qui s’essouffle, confirmait Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH, le 25 février. La perception est similaire à la CPME. "61 % des dirigeants affirmaient avoir versé la prime en 2019. Ils ne sont que 27 % à y penser cette année", renchérit Bénédicte Caron, vice-présidente en charge des affaires économique de la Confédération.

Comment expliquer ce manque d’engouement ? De fait, les raisons sont légion.

"On n’est pas dans le même contexte", assure Michel Housset, DRH d’Axa Partners (ex Axa assistance) pour la France. "On a joué le jeu mais la situation était exceptionnelle", complète-t-on chez Bouygues. "La prime a été mise en place au plus fort de la crise des Gilets jaunes, rappelle Bruno Rocquemont, directeur du département de gestion des talents au sein de Mercer France. Il s’agissait de répondre à l’appel du Président pour calmer le jeu. Une demande presque citoyenne. Très vite, les entreprises ont joué le jeu et ont annoncé le versement de primes assez élevées. Il fallait répondre à une mesure d’urgence. D’autant que les DRH avaient peur que la contagion gagne leur entreprise. Or, socialement ce geste était important. Ils ne peuvent pas forcément réitérer ces efforts financiers. On se dirige vers une moindre utilisation de ce dispositif".

Garder la main sur sa politique de rémunération
 Cette prime, c’est un peu comme un lendemain de fête, il n’en reste pas grand-chose le jour d’après

Surtout, les DRH veulent garder la main sur leur politique de rémunération. "Je préfère piloter ma rémunération avec des dispositifs pérennes en fonction des besoins de recrutements et de repositionnement des collaborateurs, assure Michel Housset. Investir dans le long terme, avoir une stratégie d’entreprise plutôt que de distribuer des primes de manière uniforme. Car ce type de prime, c’est un peu comme un lendemain de fête, il n’en reste pas grand-chose le jour d’après. D’autres leviers de valorisation existent dans l’entreprise, notamment les bonus et les dispositifs d’épargne salariale".

En sus du package de rémunération, Bouygues a ainsi donné, en fin d’année, la priorité à une augmentation de capital de 150 millions d’euros. Cette augmentation est réservée aux salariés des sociétés françaises, via un FCPE dont les parts sont bloquées pendant une période de cinq ans, sauf cas de déblocage anticipé autorisé par la loi. Les salariés sont les deuxièmes actionnaires du groupe. Ils détiennent 19,3 % du capital et 25,6 % des droits de vote.

"Le versement d’une prime, c’est un geste de l’employeur plutôt qu’une politique de rémunération globale, relève Marc Charpy, DRH de la filiale française du groupe Messer. Les syndicats ne veulent d’ailleurs pas en entendre parler. Pour eux, la priorité doit être donnée à l’augmentation régulière des salaires". Une position partagée par le DRH même s’il reconnaît quelques avantages à ce dispositif. En premier lieu, l’exonération d’impôts et de prélèvements sociaux (jusqu’à 1 000 euros), qui "permet d’optimiser les budgets de rémunération". A fortiori quand les enveloppes sont restreintes.

On ne peut pas supporter deux fardeaux 

Dans certains cas, en effet, les enveloppes se confondent. Gare donc à l’amalgame. Ce coup de pouce peut empiéter sur les NAO. "Les entreprises expliquent aujourd’hui que cela va devenir compliqué de mener de front une campagne portant sur l’augmentation de salaire et une autre dédiée au versement de la prime, remarque Bruno Rocquemont. En clair, on ne peut pas supporter deux fardeaux". Chez Messer France, ce sera l’un ou l’autre. "Avec des budgets contraints, les DRH préfèrent privilégier leurs meilleurs éléments plutôt que d’attribuer des primes uniformes", pointe à son tour Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Aussi les entreprises devraient-elles se montrer moins généreuses. Et rien ne laisse supposer un changement de tendance dans les prochains mois au vu de l'ampleur de la crise sanitaire.

Une prime conditionnée à un accord d’intéressement
 Nous sommes passés de la simplicité à la complexité

Autre handicap et non des moindres : cette année, la prime est conditionnée à la signature d’un accord d’intéressement. Ce qui n’enthousiasme pas les employeurs. C’est ce que confirme Bénédicte Caron de la CPME. "Nous sommes passés de la simplicité à la complexité". De fait, "toutes les PME ne connaissent pas les accords d’intéressement. Elles sont peu au courant des critères à prendre en compte, des modes de répartition, des objectifs à fixer pour déclencher son versement… ". De plus, "peu d’entre elles sont favorables aux accords collectifs : elles préfèrent récompenser les employés individuellement".

"C’est une vraie barrière, insiste Bruno Rocquemont. Les grandes décident ou non de faire un accord d’intéressement mais les plus petites sont souvent démunies". Selon une étude du Syndicat des indépendants, 95 % des entreprises de moins de 20 salariés ayant versé la prime en 2019 renouvelleraient l’opération cette année, si cette dernière n’était pas conditionnée à un accord d’intéressement. Soit un frein sérieux.

Messer France qui commence les NAO doit renouveler son accord d’intéressement qui est arrivé à échéance en 2019. Les discussions sont programmées jusqu’à début mai. En revanche, chez TDF ce sera non. L’opérateur d’infrastructures n’a pas d’accord ad hoc. L’accent est mis sur la participation, les conditions ont été revues il y a trois ans et visent désormais une meilleure redistribution des bénéfices de l’entreprise. La prime de participation moyenne représente cette année un mois et demi de salaire.

La prime Macron devait pourtant être un aiguillon pour sauter le pas. C'est en tout cas ce qu'espérait le gouvernement. L’exécutif avait en amont pris soin de simplifier la tâche aux petites entreprises en proposant à travers la loi Pacte des contrats type d’intéressement ou encore la suppression du forfait social pour vaincre leurs réticences. De plus, l’accord peut porter sur une durée de un et non de trois ans.

 Autre problème : transformer cet avantage en usage

Reste, enfin, un autre problème évoqué par les DRH : celui de transformer cet avantage en usage, sans possibilité ou presque de le dénoncer. Au risque sinon d’aboutir à un contentieux juridique.

Alors stop ou encore ? Comme en 2019, cette reconduction n'est pas codifiée. La prime n'a donc pas vocation à perdurer. Pour la CPME, le gouvernement doit toutefois renouveler l’opération, eu égard aux PME qui ont négocié leur accord d’intéressement. L’an passé, au 31 mars 2019, les entreprises françaises avaient versé 2,2 milliards d’euros à leurs salariés au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat. La mesure avait bénéficié à 4,8 millions de salariés, soit 26 % des effectifs du secteur privé, selon l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Mais au vu des réactions des DRH, la cuvée 2020 risque d’être un moins bon millésime. Réponse en juillet prochain.

 

Anne Bariet
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