La publicité ne favorise pas une consommation durable

03.04.2025

Environnement

Un rapport propose des pistes pour réguler des publicités incompatibles avec la préservation de l'environnement.

La transition écologique nécessite que le modèle de consommation évolue pour devenir plus durable : tant les émissions de gaz à effet de serre que la consommation des ressources naturelles et les pollutions associées aux processus de production, aux usages ou à la fin de vie  des biens doivent être réduites. 

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Les communications commerciales (la publicité, les promotions, le parrainage, les influenceurs rémunérés, les relations publiques, etc.) qui font partie de la chaîne de valeur menant à la consommation, et représentent 34 Md€ de dépenses annuelles, l’équivalent des dépenses de recherche et développement des entreprises, ont vocation par conséquent à être associées à cet effort. Dans cette optique, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et le Haut conseil pour le climat recommandent un encadrement renforcé de la publicité. 

 

A cette fin, le ministère de la transition écologique a commandé un rapport dont l'objectif est de préciser les impacts de ces communications, à en évaluer la réglementation et à formuler des propositions d’amélioration au regard des enjeux environnementaux et de santé. 

Remarque : la mission s’est concentrée sur les dépenses de publicité des médias, sans tenir compte des émissions des supports. Malgré un accès limité à des données économiques granulaires, payantes, la mission conclut que les chiffres et travaux scientifiques disponibles sont suffisants pour guider le décideur public.
Des constats accablants
► Une consommation non durable portée par les communications commerciales

Les rapporteurs estiment que les communications commerciales sont insuffisamment orientées vers une consommation durable. Cinq cents annonceurs représenteraient environ deux tiers des dépenses annuelles et 0,2 % des entreprises portent 97 % des investissements, qui soutiennent donc majoritairement des acteurs déjà établis. 

 

Parmi ceux-ci, les secteurs de l’alimentation et de l’industrie automobile cumulent pression publicitaire (34 % des dépenses), et impacts environnementaux (36 % des émissions de carbone et effets sur l’eau, l’air, ou la biodiversité). 

 

Les données disponibles révèlent en outre des contenus dirigés vers des produits non durables (45 % de publicité automobile à la télévision sont pour des véhicules utilitaires sport (SUV)) ou de faible qualité pour la santé (58 % de publicité sur des aliments à faible valeur nutritionnelle aux heures où les enfants regardent le plus la télévision). 

 

En ligne, où les annonceurs dépensent aujourd’hui plus que sur les médias traditionnels (53 %) et où 90 % de la croissance de la publicité devrait avoir lieu d’ici 2030, des modèles de production moins chers et durables comme la fast-fashion sont davantage promus, la publicité visant à créer un besoin plutôt qu’à y répondre (près de + 1 000 % de dépenses publicitaires en ligne pour le textile depuis 2013).

► Des consommateurs soumis à des injonctions contradictoires

Ces communications doivent être mobilisées pour rendre la consommation plus durable car elles ont des effets avérés sur les consommateurs. Cherchant à améliorer l’image d’une marque ou d’une entreprise, à mettre en avant un produit ou un service, celles-ci s’appuient sur les émotions plutôt que la raison. 

 

Elles font ainsi évoluer les préférences des consommateurs, entraînant des décisions d’achat parfois sans lien avec leurs besoins. Leurs effets sont plus grands chez les enfants et adolescents, les personnes âgées, ainsi que celles à faible revenu. Alors que les publicités influencent individuellement les choix des consommateurs, leur quantité globale entraînerait, selon l’unique étude disponible en France, une hausse de la consommation totale (0,2 % par an sur 27 ans) d’ampleur cependant limitée.

 

Sollicité en permanence, le consommateur subit des injonctions contradictoires. Invité à la fois à plus de sobriété et à plus de consommation, il est aujourd’hui considéré comme seul responsable de ses actes d’achat. Il identifie difficilement les produits durables du fait du caractère multifactoriel de l’impact sur l’environnement et du manque d’accès à des données sur les produits. Sa compréhension est compliquée par la profusion de labels environnementaux et d’allégations souvent trompeuses. Dans ce contexte, 87 % des consommateurs jugent la pression publicitaire excessive.

► Un encadrement des communications commerciales défaillant

L’encadrement des communications commerciales connaît depuis 2020 des évolutions importantes, avec les lois anti-gaspillage pour une économie circulaire et climat et résilience, ainsi que les directives Empowering consumers, et celle en projet, Green Claims

 

Pourtant, en leur état actuel, ni la réglementation, ni l’autorégulation par les professionnels ne permettent d’assurer que les communications commerciales contribuent à une consommation plus durable. 

 

Le cadre réglementaire est aujourd’hui éclaté entre la loi Évin sur la santé, un contrôle des pratiques trompeuses, des mécanismes d’information du consommateur (étiquettes énergie ou carbone, indice de réparabilité, mentions obligatoires), des engagements volontaires (contrats climat, charte alimentaire) et enfin des projets d’interdiction et d’obligations d’affichage environnemental, prévus par la loi, mais qui ne sont pas effectifs. 

 

Les contrôles des allégations et des informations proposées au consommateur, s’ils sont bien réalisés, n’ont pas pour objectif d’assurer un suivi global des pratiques de communications commerciales. En outre, certains dispositifs n’ont aucun effet avéré sur les  comportements des consommateurs (mentions), d’autres sont efficaces pour les faire évoluer (Nutri-Score, indice de réparabilité). L’efficacité des autres outils n’est pas évaluée.

► Un fonctionnement de l'autorégulation de la publicité à revoir

L’autorégulation de la publicité, assurée par l’association « autorité de régulation professionnelle de la publicité » (ARPP), ne doit pas être remise en cause dans son principe, mais dans son fonctionnement qui présente d’importantes lacunes taclent les rapporteurs.

 

Son rôle de rédaction, de diffusion et de mise en oeuvre de règles déontologiques et de bonnes pratiques est utile, mais limité par un niveau d’exigences insuffisant, une portée du contrôle réduite aux acteurs volontaires et concentrée sur les publicités télévisées avant diffusion, ainsi qu’un dispositif de signalement après diffusion déficient et méconnu. 

 

La rupture de confiance avec les associations environnementales, qui refusent désormais de participer aux instances de l’ARPP, en témoigne. Malgré l’importance économique du secteur des communications commerciales et son rôle potentiel de levier pour la transition écologique, ni l’ARPP ni le secteur dans sa globalité ne font l’objet d’un suivi par l’administration.

►Les plateformes numériques : un point de blocage

Les rapporteurs estiment que les plateformes numériques constituent le principal point de blocage à l’effectivité et à la portée des mesures d’encadrement des communications commerciales. 

 

La directive e-commerce, et le principe du pays d’origine qu’elle affirme, empêchent de déployer en France des outils applicables à des acteurs européens et ne prévoient pas d’exception environnementale. Les règlements récents - Digital Services Act (DSA) et Digital  Markets Act  (DMA) - exigent un peu de transparence sur les modes opératoires des grandes plateformes – réseaux sociaux, moteurs de recherche ou places de marché – mais restent limités quant à leurs effets sur les communications commerciales. 

 

Dans un contexte de captation croissante des recettes publicitaires par les plateformes internationales au détriment des médias traditionnels français, l’application équitable des règles d’encadrement
des communications commerciales est un préalable au relèvement des exigences soulignent les rapporteurs.

Vers une publicité pour une consommation plus durable : propositions du rapport

Au regard de ces différents constats, les rapporteurs proposent la définition d'une politique publique cohérente et coordonnée, sous l’égide du Premier ministre, permettant d’assurer un suivi global des communications commerciales et de leur contribution à une consommation plus durable. La mission propose d’en confier le pilotage et la coordination au secrétariat général à la planification écologique (SGPE).

La feuille de route retenue pourrait reposer sur les trois axes suivants.

► Assurer l'effectivité et la portée du droit en ligne

Selon les rapporteurs, la création de conditions d’action équitables entre les médias traditionnels et les plateformes (et entre annonceurs nationaux et européens agissant en ligne) est nécessaire :

 

- ouverture de discussions sur la révision de la directive e-commerce afin d'y inclure l'environnement dans les dérogations possibles et le plafonnement de la publicité en ligne et de la directive sur les services de médias audiovisuels pour y inclure des principes partagés sur la protection de l’environnement dans les vidéos publicitaires ;

 

- renforcement du contrôle des communications commerciales sur les plateformes via les registres publicitaires rendus obligatoires par le DSA ;

 

- hausse de la taxe sur les services numériques afin de rééquilibrer le marché des communications commerciales en direction des médias traditionnels.

► Donner plein effet aux outils existants

La mission propose la refonte des outils existants d’autorégulation, d’information des consommateurs et d’engagements volontaires, limitant les réglementations supplémentaires tout en assurant l’effectivité des leviers existants :

 

- encadrement par la loi de l'autorégulation - homologation des recommandations de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) - et supervision par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ;

 

- certification des labels et de l’information environnementale grâce à une version ambitieuse de la directive Green Claims prévue pour 2025 et à l’obligation d’apposer le Nutri-Score dans les communications commerciales au plan national ;

 

- transformation des contrats climat au profit d’un dispositif permettant d’embarquer les plus grands annonceurs dans une démarche de progrès mesurables et évaluables par les pouvoirs publics.

► Diminuer la pression publicitaire de manière ciblée ou générale

Les rapporteurs proposent l’adoption progressive de règles permettant de dépasser le cadre actuel, en limitant les communications sur certains produits, voire en réduisant la pression publicitaire
globale :

 

- une interdiction sur les communications commerciales de certains trajets en avion ou certains séjours courts ;

 

- une limitation des publicités pour les véhicules les plus émetteurs sur leur cycle de vie, et ce progressivement, en s’appuyant sur une réforme de l’étiquette carbone automobile ;

 

- une réécriture des dispositions législatives d’interdiction de publicité pour les énergies fossiles afin qu’elles soient effectives.
 

Olivier CIZEL, Code permanent Environnement et nuisances
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