"La question de l'organisation du travail va devenir la pierre angulaire en matière de politique de prévention de la santé"

"La question de l'organisation du travail va devenir la pierre angulaire en matière de politique de prévention de la santé"

08.03.2021

Gestion du personnel

Selon Pierre-Yves Verkindt, professeur émérite de l'université Panthéon-Sorbonne, les entreprises ne pourront plus faire l'impasse sur l'organisation du travail comme outil de prévention en matière de santé au travail. De nouveaux contentieux pourraient bien voir le jour.

Pierre-Yves Verkindt, professeur de droit émérite de l'Université Panthéon-Sorbonne, augure une évolution des contentieux en matière de santé au travail. La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés afin assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs pourrait bien être le fondement d'une nouvelle jurisprudence. Afin de comprendre les enjeux et évolutions analysés par le professeur Verkindt, un rappel des textes est nécessaire. 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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En matière de santé au travail, deux dispositions principales existent dans le code du travail. La première, l'article L.4121-1 du code du travail, fixe les mesures que l'employeur doit prendre en matière de santé au travail : 

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ; 

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

La seconde disposition, l'article L.4121-2 du code du travail, détaille les mesures de prévention que l'employeur doit mettre en oeuvre :  

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Quelle analyse faites-vous de ces deux dispositions du code du travail ? 

Il n'est aujourd'hui plus possible de lire l'article L.4121-1 du code du travail séparément de l'article L.4121-2. L'obligation de prendre des mesures pour assurer la santé et la sécurité des salariés passe par une méthode impérative, substantiellement liée au principe de prévention. Une rationalité propre à cet article doit être respectée. Cela est désormais bien installé dans le paysage. Il est admis qu'il faut agir au bon moment et dans le bon ordre et qu'il faut prendre les mesures nécessaires et non seulement des mesures. 

Vous estimez toutefois qu'une partie de l'article L.4121-1 du code du travail n'a pas encore été exploitée à sa juste valeur par la jurisprudence ?

Nous n'avons pas encore tiré toutes les conséquences du 3° de l'article L.4121-1 du code du travail qui impose à l'employeur de mettre en place une organisation et des moyens adaptés, que ce soit en termes de recherche, d'information, de connaissance du danger, de connaissance des évolutions de la technique. 

La référence à une organisation adaptée suppose que les choix organisationnels doivent être scrutés à la loupe afin de vérifier que l'employeur a bien satisfait à son obligation de prévention. Une décision en ce sens rendue par la cour d'appel de Douai du 30 novembre 2018 est par ailleurs très intéressante. Les juges, dans une affaire de harcèlement moral, posent le principe d'adaptation du travail à l'homme, et non l'inverse.

Une organisation qui prend en compte l'adaptation du travail à l'homme est une organisation qui satisfait à une exigence de sécurité. Si c'est l'homme qui doit toujours s'adapter au travail, il s'agit d'une organisation qui ne satisfait pas au principe de prévention. 

Comment expliquez-vous qu'il n'existe-t-il pas à ce jour de contentieux sur ce 3e alinéa de l'article L.4121-1 du code du travail ? 

Le contentieux s'est jusqu'à présent focalisé sur le 1° [des actions de prévention des risques professionnels]. Il y a eu un effet loupe sur cette partie de l'article, ce qui pourrait expliquer le non-recours au 3°. La référence un peu ritualisée à l'obligation de sécurité de résultat a eu un effet positif ; elle a permis d'accorder une valeur juridique à l'obligation de prévention. Mais elle a constitué aussi un "miroir aux alouettes" car on n'a pas eu le réflexe d'aller voir un petit peu plus loin. En quelque sorte, le caractère incantatoire du recours à l’obligation "de sécurité de résultat", a eu un effet anesthésiant sur la réflexion. Toutefois, depuis quelques années, des éléments convergents ont placé les choix organisationnels sous les feux des projecteurs.

Pourquoi et lesquels ?

Nous avons dépassé l'aspect "attractif" de l'obligation de sécurité de résultat ce qui permet de mieux voir les enjeux de l'organisation du travail. Depuis l'accord national interprofessionnel du 19 juin 2013, on voit bien que le regard se déplace vers l'organisation du travail. On commence à se rendre compte que la protection de la santé au travail est d'abord est avant tout une question d'organisation du travail. Le nouveau terrain d'expression de l'obligation de prévention et de sécurité est et doit être désormais les choix organisationnels de l’entreprise

La proposition de loi sur la santé au travail en cours d'examen impose d'ailleurs d'intégrer dans le document unique d'évaluation des risques les paramètres liés à l'organisation du travail : process techniques, process relationnels, process RH.

Je suis ainsi convaincu que lorsqu'on offrira au juge l'opportunité de donner de la valeur au 3° de l'article L.4121-1, il le fera. Je pense que la question de l'organisation du travail est en passe de devenir la pierre angulaire de la politique de prévention en matière de santé au travail.

Quels sont les enjeux pour les entreprises ?

Demain, l'entreprise confrontée à une mise en cause de sa politique de prévention devra être en mesure de prouver (et c’est sur elle que pèse le risque de la preuve) que, pour toutes les décisions économiques qu'elle a prises, elle a intégré la question de l’organisation du travail comme composante de la santé au travail. Qu'il s'agisse de la modification du temps de travail, de restructurations, la question de l'organisation, de la santé au travail devra avoir été posée. Les juges vérifieront que le paramètre organisationnel dans son rapport avec la santé et les conditions de travail a bien été pris en compte. De fait, il n'y a aucune raison qu'un employeur n'applique pas à la santé au travail, la rationalité qu'il applique par ailleurs à ses décisions économiques. C’est le message fort qu’adresse le juge aux entreprises et c’est heureux.

Vous estimez que cette analyse était déjà sous-tendue par l'arrêt Air France du 25 novembre 2015 ? 

Les analyses faites à propos de l'arrêt Air France ont bien souvent été erronées. La première consistait à dire que l'on était débarrassé de l'obligation de sécurité de résultat. La seconde, qu'il s'agissait d'un recul incroyable. Ces deux réactions sont aussi fausses l'une que l'autre. Le juge disait, implicitement, aux employeurs d'attester de ce qu'ils avaient fait, de prouver qu'ils avaient agi dans l'ordre de la rationalité des articles L.4121-1 et L.4121-2, et en temps utile. Or, cette argumentation est plus contraignante et exigeante qu'une pseudo condamnation automatique. D'ailleurs, les employeurs  qui ont en eu conscience n'ont jamais poussé un "ouf" de soulagement. Ils ont bien compris que l’on attendait d’eux des décisions en matière de santé aussi rationnelles que celles qu’ils revendiquaient en matière économique.

La crise sanitaire que nous traversons peut-elle accélérer la prise en compte de l'organisation du travail dans la santé au travail ? 

Directement non, mais par ricochet. L'épidémie a forcé à mettre en lumière des phénomènes d'organisation du travail qui n'étaient pas sur le devant de la scène. Par exemple, dans la règlementation européenne, on associe conditions de travail et conditions de vie. La crise a mis l'accent sur les temps de transport qui font partie des conditions de travail. Or, en France, cela était  pensé de manière cloisonnée. Je ne suis pas certain que demain il en soit encore ainsi.

Le développement du télétravail pose aussi des questions d'organisation. Or, il pourrait bien continuer après la crise, notamment pour réaliser des économies ?

Les entreprises qui seraient désormais favorables au télétravail dans le seul but de réaliser des économies sur l'immobilier vont échouer dans leur stratégie d’acculturation du télétravail. Elles doivent intégrer la question des conditions réelles du travail à domicile, la qualité des logiciels, du matériel, la conciliation vie privée/vie professionnelle. La décision de développer le télétravail doit suivre scrupuleusement les étapes de l'article L.4121-2 du code du travail. Si le mouvement devait se poursuivre, il arrivera un moment où le juge demandera à l'employeur de prouver qu'il a été rationnel dans sa décision et que cette dernière n'a pas seulement été prise au regard du prix du mètre carré. 

Florence Mehrez
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