Le projet de loi sur les travailleurs indépendants prévoit que la responsabilité limitée de l'entrepreneur en nom propre devienne le système de droit commun et que celle quasi "illimitée" soit dérogatoire. Ce nouveau paradigme soulève des questions d'efficacité en pratique.
Développer davantage la création d'entreprises. Tel est l'un des objectifs du gouvernement pour qui trop peu d'entrepreneurs individuels voient leur patrimoine personnel intégralement protégé des créanciers professionnels. Une situation qui se manifesterait par le trop faible nombre d'entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL). "Les 100 000 EIRL attendus pour fin 2012 ne sont toujours pas atteints à fin juin 2021, date à laquelle il était dénombré un peu plus de 97 000 chefs d'entreprise ayant opté pour l'EIRL", argumente l'étude d'impact du projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante que le gouvernement vient de présenter.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Rappelons que la principale caractéristique juridique du régime de l'EIRL — l'EIRL est qualifié de régime par l'article L 526-5-1 du code de commerce — consiste, par rapport à l'entreprise individuelle à responsabilité quasi "illimitée", à limiter la responsabilité de l'entrepreneur via un mécanisme d'affectation du patrimoine qui a pour effet en principe de rendre le patrimoine personnel insaisissable par les créanciers professionnels — nous utilisons l'expression quasi "illimitée" car la résidence principale de l'entrepreneur en nom propre est, quel que soit le régime, insaisissable de plein droit pour la liquidation des dettes professionnelles (article L 526-1 du code de commerce).
Comment le gouvernement explique-t-il ce qu'il présente comme un échec de l'EIRL ? Pour lui, cela tient d'abord à la complexité du dispositif. "L'affectation d'un patrimoine, distinct du patrimoine personnel, à son activité professionnelle est soumise à des formalités, et aux coûts y afférents, tout au long de l'exercice de l'activité professionnelle de l'EIRL", rappelle l'étude d'impact du projet de loi. Or, "l'entrepreneur individuel n'opte généralement pas pour le statut de l'EIRL (article L 526-5-1 et suivants du code commerce) parce qu'il ne souhaite pas entreprendre d'autres démarches que celles relatives à la déclaration de son activité professionnelle et à son immatriculation", ajoute-t-elle.
Pour faciliter la protection intégrale du patrimoine personnel des entrepreneurs en nom propre, le projet de loi propose de créer un nouveau "statut" avec deux dispositifs juridiques distincts (article 1er du projet). Dans le dispositif de droit commun, toute nouvelle entreprise individuelle verrait le jour avec un patrimoine de l'entrepreneur scindé en deux, celui personnel et celui professionnel, sans pour autant que ne soit créée une personne morale. Ainsi, les créanciers professionnels ne pourraient en principe saisir que le patrimoine professionnel avec toutefois des dispositions particulières en matière de recouvrement des impôts et des charges sociales. Ce modèle viendrait en quelque sorte remplacer le régime de l'EIRL destiné à disparaître progressivement — il ne serait plus possible de créer d'EIRL mais les EIRL existantes subsisteraient. De plus, le texte prévoit que "la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal".
Mais, comme le souligne le conseil d'Etat, l'innovation juridique proposée va au-delà de ces caractéristiques. "Dans le projet, la séparation du patrimoine s'effectue de plein droit, sans démarche administrative ou information des créanciers, pointe-t-il dans son avis au projet de loi. Cette volonté de supprimer tout formalisme s'inscrit dans le but général poursuivi par le texte, qui consiste à encourager la création d'entreprise, de la manière la plus simple", ajoute-t-il.
Toutefois, un régime à responsabilité quasi "illimitée" — à l'exclusion toujours de la résidence principale qui resterait insaisissable par les créanciers professionnels — de l'entrepreneur en nom propre subsisterait. Précisément, le projet prévoit que "l’entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la dérogation prévue au quatrième alinéa de l’article L. 526-22 [c'est à dire la séparation des patrimoine personnel et professionnel] pour un engagement spécifique". La grande nouveauté serait donc que ce régime devienne en quelque sorte le système dérogatoire.
Se pose la question de savoir comment les créanciers professionnels accueilleraient-ils ce nouveau paradigme ? "L’organisation d’un dispositif de renonciation à la scission du patrimoine à la demande d’un créancier professionnel, qui fait partie de l’équilibre d’ensemble de la réforme proposée et que l’exposé des motifs justifie par le souci d’«éviter l’assèchement du crédit», risque, compte tenu des rapports de force économiques en présence, de mettre à mal la protection nouvellement offerte par le projet de loi, soulève le Conseil d'Etat. Il ne faut pas non plus exclure qu’il résulte du déficit d’information sur la consistance du droit de gage général des créanciers une forme d’insécurité préjudiciable au développement du nouveau statut envisagé. De sorte que l’allégement radical des formalités imposées à l’entrepreneur individuel au stade du démarrage de son activité pourrait se trouver ultérieurement contrarié par un surcroît de formalités liées aux garanties que les créanciers souhaiteront obtenir, ou bien aux contentieux qui se noueront le cas échéant pour clarifier le bien-fondé de la répartition opérée entre les patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel", développe le Conseil d'Etat.
Pour ce dernier, "le Gouvernement aurait pu, pour parvenir à l’objectif poursuivi, mieux explorer la possibilité, ignorée par l’étude d’impact, d’améliorer le régime de l’EIRL en allégeant encore les formalités attachées à ce statut trop peu utilisé, ou plus simplement encore, de faire connaître plus largement ce statut auprès des entrepreneurs susceptibles d’être intéressés par la protection qu’il offre d’ores et déjà". Dans son étude d'impact, le gouvernement écarte très rapidement l'option de modifier à nouveau le régime de l'EIRL jugeant qu'il est "plus pertinent de réformer le statut de l'entrepreneur individuel". On peut ajouter un autre problème potentiel que poserait la réforme. Le nouveau statut viendrait s'ajouter, certes de façon temporaire, à celui actuel des entreprises en nom propre créées avant l'entrée en vigueur de ce nouveau système. Sans parler des formes de sociétés à associé unique lesquelles ne sont a priori pas vouées à disparaître. On le sait, simplifier peut être compliqué.
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