"La réforme des retraites et le plan seniors doivent être les deux faces d’une même pièce"

"La réforme des retraites et le plan seniors doivent être les deux faces d’une même pièce"

05.05.2022

Gestion du personnel

Réforme des retraites, emploi des seniors, pénibilité mais aussi partage de la valeur… Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH et DRH de L’Oréal France, revient sur les grands enjeux RH du prochain quinquennat Macron. Entretien.

Emmanuel Macron souhaite réformer une nouvelle fois les retraites, en augmentant progressivement l’âge de départ de 62 ans aujourd’hui à 64, 65 ans ? Y êtes-vous favorable ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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En proposant au début de sa campagne le passage à la retraite à 65 ans, le Président de la République n’a pas caché ses intentions de réformer le système, jugé indispensable, selon lui, pour contrer la situation démographique (baisse de la fécondité et de l’espérance de vie) mais aussi pour permettre une revalorisation des pensions.

Ce second objectif constitue en soi un argument de poids. Il est, en effet, difficile d’accepter l’idée d’une société de retraités pauvres. Cette perspective s’avère même insoutenable. La réforme permettrait d'accroître notre capacité à financer notre modèle social. Les futurs retraités travailleraient plus longtemps mais bénéficieraient en retour de meilleures retraites que prévu. A ce titre et dans cette logique, ce serait une réforme utile.

Quid du problème des seniors ? Est-ce que l’on a déjà tout tenté ? Où en est votre plan seniors ?

Il existe bel et bien une discrimination à l’embauche des salariés expérimentés 

La réforme des retraites et le plan seniors doivent être les deux faces d’une même pièce. On ne peut pas dissocier les deux. A défaut, il s’agirait d’un marché de dupes.

Socialement, cette réforme sera difficile à faire passer. Un allongement de la durée du travail accroîtra irrémédiablement le risque de chômage de longue durée d’une catégorie de seniors, "ni en retraite, ni en emploi", une catégorie en attente de pouvoir liquider sa retraite.

Mais une approche globale peut permettre son adoption. Rappelons que la France est un très mauvais élève en matière d’emploi des seniors en Europe même si nous nous sommes améliorés.

On ne peut pas fermer les yeux : il existe bel et bien une discrimination à l’embauche des salariés expérimentés. Or, non, on n’a pas tout tenté.

Pour en sortir, des politiques publiques volontaristes peuvent jouer leur rôle.

L’ANDRH s’est positionnée, dès février 2021, sur un plan seniors, calqué sur le modèle "un jeune une solution". Avec à la clef, un allègement des cotisations sociales à l’embauche. Ce coup de pouce serait bénéfique aux entreprises. Elles savent accueillir des seniors. Elles savent également les maintenir en emploi en recourant à divers dispositifs : préparation à la deuxième partie de carrière, aménagement du temps de travail avec un maintien de salaire, organisation du transfert des compétences, GPEC…

D’autres adaptations sont également possibles, par exemple, doubler le montant du CPF de 500 à 1000 euros à partir de 55 ans mais aussi assouplir les modalités du temps partiel senior, en proposant, de rémunérer ces personnes à 100% en échange d’une baisse de cotisations sociales.

Le compte épargne temps universel (Cetu) ou "banque des temps", portée par la CFDT, va également dans le bon sens. En généralisant ce dispositif, les entreprises peuvent proposer aux seniors un temps partiel aménagé ou une cessation anticipée à la retraite s’ils ont fait ce choix d’épargner du temps pour le réserver à leur fin de carrière.

N’est-ce paradoxal de promouvoir l’emploi des seniors et de recourir à ce type de dispositif ?

 Il faut permettre aux seniors de partir de l’entreprise avec toutes leurs annuités, que ce soit de manière anticipée ou non

Non, car un senior coûte plus cher lorsqu’il est au chômage qu’à la retraite. La banque des temps permet justement d’accumuler des jours pour partir de manière anticipée tout en conservant des droits à la retraite à taux plein. C’est aujourd’hui l’objectif qu’il faut viser : permettre aux seniors de partir de l’entreprise avec toutes leurs annuités, que ce soit de manière anticipée ou non. La loi El Khomri a donné cette possibilité, en créant le congé de fin de carrière mais ce dispositif reste l’apanage des grandes entreprises. Il doit désormais s’ouvrir aux plus petites. L’Etat doit créer les conditions favorables pour le généraliser et ce serait d’ailleurs la poursuite logique des ordonnances de 2017 sur l’accord majoritaire.

Emmanuel Macron propose également de mettre en place de nouveaux critères de pénibilité plus "individualisés". C’est pourtant lui qui avait retiré quatre des dix critères mis en place sous le quinquennat Hollande. Qu’en pensez-vous ? Vous y étiez opposés par le passé ?

il faut remettre le sujet de la pénibilité à plat en intégrant les nouveaux modes de travail, comme le télétravail 

L’évaluation de ces dix critères était ingérable, épouvantable. Il fallait arrêter les frais. La pénibilité ne doit pas pour autant être occultée : il faut remettre le sujet à plat en intégrant les nouveaux modes de travail, comme le télétravail. Mais cette question doit être traitée au niveau des branches professionnelles comme des entreprises. C’est à elles de prendre leurs responsabilités. Certaines ne partent pas d’une page blanche, elles ont déjà créé leur référentiel de pénibilité ou ont émis des recommandations.

Êtes-vous favorable à la "prime dividende" proposé par Emmanuel Macron et inspiré de Thibault Lanxade ? Et sur quel modèle de redistribution ?

Il faut, en effet, rééquilibrer le travail et le capital sur la valeur créée 

Le partage de la valeur est un sujet central, a fortiori dans la situation inflationniste actuelle mais plus fondamentalement pour toujours mieux associer le salarié à la réussite de son entreprise. C’est pourquoi l’idée de Thibault Lanxade me paraît tout à fait opportune : il faut, en effet, rééquilibrer le travail et le capital sur la valeur créée. Il ne s’agit pas uniquement d’une question économique (améliorer le pouvoir d’achat des salariés) mais aussi culturelle : créer un ciment supplémentaire entre entreprise et salarié pour favoriser l’engagement, en proposant un capitalisme renouvelé plus en phase avec les attentes sociétales.

D’autres propositions peuvent s’y ajouter, par exemple, la refonte de la méthode de calcul très complexe de la participation et de l’intéressement qui permettrait de généraliser ces dispositifs d’épargne salariale ou encore en assouplissant les critères de déblocage actuellement très contraignants.

La réforme du marché du travail, engagée par Emmanuel Macron, lors de son premier quinquennat doit aujourd’hui être complétée par ces nouveaux projets, en visant les PME/PMI.

Quel serait pour vous, en tant que professionnel RH et recruteur, le profil idéal de la future ou du futur ministre du travail ? Faut-il un profil RH, comme Muriel Pénicaud, votre ex-consœur ? Un profil plus techno comme Elisabeth Borne ? Plus politique ?

J'ajouterai du courage, de l’énergie et le sens de l’innovation sociale

En transférant les critères de recrutement à ceux de l’entreprise, trois compétences me paraissent essentielles. Primo, le ou la future ministre ne devra pas avoir uniquement des compétences techniques sur les dossiers sociaux mais une connaissance globale de la société; les mutations vont, en effet, être fondamentales dans le quinquennat qui s’ouvre.

Le deuxième critère repose sur la pédagogie. Comme en entreprise, pour tout projet de conduite de changement, la capacité à expliquer, à tracer une voie est primordiale. Elle permet d’accompagner ces transformations en levant les réticences.

Tertio, le candidat idéal devra avoir une vision claire, transparente, des objectifs à atteindre. Ce qui suppose bien évidemment de maîtriser l’art de la négociation pour prendre en compte les revendications, adapter les projets, mais sans déroger à la ligne fixée. Compte tenu des enjeux, j'ajouterai du courage, de l’énergie et le sens de l’innovation sociale.

 

Anne Bariet
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