La rétention des talents, entre avantage compétitif et obligation de marché

La rétention des talents, entre avantage compétitif et obligation de marché

10.12.2019

Gestion d'entreprise

Comment recruter les meilleurs talents ? Que recherchent les candidats de la nouvelle génération chez une entreprise ? Dans sa chronique, Emilie Letocart-Calame, administratrice de l’AFJE et présidente fondatrice du cabinet Calame Consulting, apporte son expertise sur ces questions.

Le marché du travail est aujourd’hui plus fluide et favorable aux plus diplômés, et cela change la donne pour les employeurs qui cherchent à recruter les meilleurs talents. Les candidats de la « jeune génération » sont aujourd’hui à la recherche de plusieurs choses : du sens, des valeurs et de l’engagement, et bien évidemment d’une certaine sécurité financière. S’il est difficile de concilier ces trois attentes, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que sa propre entreprise a à offrir aux meilleurs candidats.

A la recherche d’un sens dans ses missions, de contenu et de perspectives

On le lit partout, les générations Y et Z sont « en quête de sens ». Effet de mode ou véritable enjeu sociologique de notre époque, la question mérite d’être posée si vous cherchez à recruter actuellement. Quelles sont les missions concrètes proposées par votre direction juridique ? Quelle autonomie est laissée à chacun afin de les mener à bien?

Selon la dernière enquête Ifop/Cadre Emploi d’octobre 2019*, 57% des répondants déclare regretter ne plus rien apprendre dans leur poste actuel. Seront-ils assez stimulés intellectuellement et continueront-ils d’apprendre ? Peuvent-ils aisément percevoir la finalité globale et l’utilité générale de leur rôle ? Face à une demande croissante de reconnaissance au travail, reçoivent-ils personnellement le crédit de leurs efforts ? Si vous souhaitez pérenniser vos recrutements, il convient également de s’interroger sur les perspectives ouvertes aux candidats. 61 % des cadres ne percevraient aucun signe d’évolution, alors qu’ils en souhaiteraient une. Par ailleurs, quel est le budget formation dont vous disposez annuellement pour vos équipes ? Les poussez-vous à se former régulièrement ? Il convient de leur dégager du temps pour ce faire - ainsi que pour se rendre aux divers évènements organisés par la profession tels que l’AFJE ou le Cercle Montesquieu car le bénéfice n’en sera pas uniquement individuel, mais bien global pour votre direction juridique.

Les conditions pratiques et matérielles du poste seront également critiques dans le choix final qui reviendra au candidat : Outre l’accessibilité via transports en commun, de plus en plus de candidats prendront en compte l’existence ou non d’un parking vélo, de douches et de casiers par exemple. Si les bureaux cloisonnés n’ont plus la côte depuis de nombreuses années, les open space font également ressentir leurs limites. Pour ces candidats, favorisez les politiques de télétravail, d’horaires aménagés ou de flexoffice, plus adaptées à un mode de travail qui leur correspond. Ces pratiques démontrent également une volonté active de votre direction juridique de se moderniser, notamment par l’adoption d’outils digitaux adaptés à un travail plus nomade, plus international, ce qui vous permettra également d’élargir l’horizon de vos recrutements !

Des valeurs, un engagement et une politique RSE à la pointe

Les talents que vous cherchez à recruter et fidéliser sont également très attentifs aux valeurs portées par votre entreprise. Quelles sont-elles vraiment ? Les candidats potentiels n’hésiteront pas à contacter d’anciens salariés afin de vérifier l’adéquation entre valeurs théoriques et applications concrètes. A l’heure ou 58% des salariés interrogés* disent ne plus se sentir en adéquation avec les valeurs de l’entreprise, il est temps de prendre en compte cet aspect dans la question du turnover des équipes.

Quelles sont les actions concrètes reflétant ces valeurs ? Si votre société promeut l’égalité salariale et/ou la diversité, demandez-vous si le board de l’entreprise, les fonctions managériales intermédiaires et votre Direction Juridique elle-même reflètent cet engagement. Si votre entreprise promeut le respect, assurez-vous concrètement du bon traitement de vos collaborateurs et des sanctions envers les éventuels éléments nocifs. Quelles sont les mesures RSE concrètes et quotidiennes mises en place dans votre entreprise ? Le « Zéro papier » et le « tout digital » en sont un bon exemple, et sont souvent à l’initiative d’une Direction Juridique moderne qui a entamé le tournant numérique en prenant des actions informatiques concrètes.

La rémunération est-elle encore un sujet ?

Eh bien oui puisque 59 % des salariés interrogés dans l’enquête Ifop/Cadre Emploi regrettent n’avoir pas eu d’augmentation salariale récente ! Certains secteurs historiquement attractifs comme l’industrie de la mode, de la musique ou encore de l’audiovisuel recrutent très largement sur une image de marque, rémunérant faiblement en évoquant le prestige. Mais les candidats sont de plus en plus pragmatiques dans leurs choix, entrainant un turnover important sur ces types de poste.

Certains secteurs sont également historiquement assez peu attractifs financièrement, le justifiant en ce qu’ils sont porteurs de sens et d’engagement : l’associatif et le service public en sont deux exemples. Le sens du service public, des missions quotidiennes et de l’utilité sociale peuvent effectivement compenser pour certains candidats le sacrifice financier.

Enfin, d’autres secteurs du privé sont aujourd’hui peu en phase avec les engagements écologiques des plus jeunes générations : c’est le cas des secteurs de l’automobile, de la défense, ou encore de la pétrochimie. La compensation est généralement financière puisqu’on constate un montant de rémunération plus élevé ainsi qu’un package général (mutuelle, CE…) lié à la taille de ces structure qui peut être déterminant pour certains.

Mais alors, l’entreprise aussi doit-elle « se vendre » ?

Oui, car recruter les meilleurs talents d’aujourd’hui – et miser sur ceux de demain – s’avère un véritable avantage concurrentiel pour les entreprises.

Car le recrutement de façon générale coûte cher à une entreprise : en identification des besoins, en recrutement en lui-même, en formation mais aussi en intégration, et en terme d’image de marque de la direction juridique tant en interne qu’en externe. Cela se paie également dans le fonctionnement et dans la « mémoire corporate » de la direction juridique. Face à un turnover important, qui aura assez d’ancienneté pour former les nouvelles recrues ? Qui connaîtra parfaitement l’organisation de l’entreprise et ses contacts clefs afin d’accélérer les négociations ?

Mais alors, comment recruter les meilleurs talents ? Les diplômes ne sont plus si différenciant, tout au plus la (très bonne !) maîtrise des langues sera-t-elle un atout. Face à l’évolution rapide de la technologie, il n’est pas illusoire de croire que les « hard skills » - c’est-à-dire la pure compétence technico-juridique - sera à terme automatisée par des logiciels d’intelligence artificielle.

Les « soft skills »! Personnels, individuels et non (encore !) automatisables, ils sont propres à chaque candidat, et c’est en réalité ce qui fera la différence entre tous. Outre les évidences, il est aujourd’hui attendu des candidats qu’ils soient ouverts sur la profession, au fait des pratiques digitales et des évolutions du marché, réactifs et informés, prêts à prendre la parole en public pour animer formations ou conférences afin de contribuer au rayonnement de leur direction juridique tant en interne qu’en externe. La vraie valeur ajoutée des entreprises repose sur les personnes qu’elle recrute (et conserve… !).

Bref, l’humain a encore de beaux jours devant lui !

*Enquête Cadremploi/Ifop « La vision des cadres sur leur carrière », menée auprès d’un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population cadre du secteur privé. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas. Les interviews ont été réalisées en ligne du 29 septembre au 3 octobre 2019.

Emilie Letocart-Calame

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