La rupture conventionnelle est-elle compatible avec un arrêt maladie ?

La rupture conventionnelle est-elle compatible avec un arrêt maladie ?

23.11.2023

Gestion du personnel

Chaque semaine, L'appel expert, service de renseignement juridique par téléphone du groupe Lefebvre Sarrut, répond à une question pratique que se posent les services RH.

Quand et pourquoi la rupture conventionnelle a-t-elle été créée ?

La loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 a institué, aux côtés du licenciement et de la démission, une nouvelle façon de rompre le contrat de travail : la rupture conventionnelle homologuée. Sa caractéristique principale est qu’elle permet une rupture d'un commun accord, ce qui implique qu’elle ne peut être imposée ni par le salarié, ni par l’employeur. Dans la pratique la rupture conventionnelle résulte donc d’une convention entre les deux, ce qui permet d’attester de leur consentement mutuel (article L. 1237-11 du code du travail).

Mais que se passe-t-il si les parties souhaitent avoir recours à la rupture conventionnelle alors que le contrat est suspendu du fait d’un arrêt de travail pour maladie, accident du travail ou encore inaptitude médicale ? Suspension du contrat et rupture conventionnelle sont-elles compatibles ? La réponse à ces questions résulte d’une construction jurisprudentielle.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Peut-on conclure une rupture conventionnelle lorsqu’une inaptitude au poste de travail est médicalement constatée ?

En 2002 (avant donc la création de la rupture conventionnelle), via un arrêt du 12 février, la Cour de cassation a exclu la possibilité de signer une rupture d'un commun accord en cas d’inaptitude, la déclarant même "illégale".

Depuis la mise en place de la rupture conventionnelle, elle s’est de nouveau prononcée et a fait évoluer sa position. Dans un arrêt du 9 mai 2019, elle a cette fois approuvé la possibilité de rompre le contrat de travail en recourant à une rupture conventionnelle dans le cas d’un salarié déclaré inapte suite à un accident du travail. Plus précisément, la Cour nous dit que "sauf cas de fraude ou de vice du consentement, une convention de rupture peut être valablement conclue par un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d'un accident du travail". On retrouve cette même solution dans un arrêt du 28 mai 2014, cette fois à propos d'un salarié victime d'un accident du travail et déclaré apte avec réserves. Là aussi, la chambre sociale relève l'absence de fraude de l'employeur et le fait que le salarié n'invoquait pas de vice du consentement pour valider la rupture conventionnelle. Logiquement, ce principe de validité et les deux réserves émises (fraude et vice du consentement) semblent transposables à des situations où l’inaptitude ne serait pas d’origine professionnelle, mais aucune jurisprudence notable sur ce point n’existe à ce jour.

La rupture conventionnelle est-elle aussi compatible avec un arrêt pour maladie d’origine professionnelle ou accident du travail ?

Sur ce point deux positions antinomiques s’opposent. D’un côté, l’administration considère que parce que le législateur a fortement encadré la possibilité de rompre le contrat de travail pendant certaines périodes de suspension afin de protéger les salariés, une rupture conventionnelle ne peut pas être signée lors de ces suspensions. C’est ce qui ressort d’une circulaire DGT du 17 mars 2009 : "dans les cas où la rupture du contrat de travail est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension du contrat (par exemple durant le congé de maternité en vertu de l’article L 1225-4, ou pendant l’arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L 1226-9, etc…), la rupture conventionnelle ne peut, en revanche, être signée pendant cette période".

Mais rappelons que la doctrine administrative ne s’impose pas nécessairement aux juges, qui ont adopté le point de vue inverse dans des arrêts du 30 septembre 2014 et du 16 décembre 2015 et se sont alignés sur ce qui était retenu en matière d’inaptitude. "Sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail au cours d'une période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle".

Les juges n’appliquent donc pas à la rupture conventionnelle les principes dégagés en 2002 en matière de rupture amiable du contrat. Ceci peut s’expliquer par le fait que la rupture conventionnelle offre un certain nombre de garanties (homologation, indemnisation) qui n’existaient auparavant pas, les ruptures amiables étant en 2002 uniquement régies par le code civil.

Quid si la maladie justifiant l’arrêt n’est pas d’origine professionnelle ?

La jurisprudence est moins fournie en la matière mais s’il est possible de conclure une rupture conventionnelle lorsque la maladie est d’origine professionnelle, a fortiori ça l’est aussi lorsqu’elle est non professionnelle. Cela a été reconnu par des juges du fonds (cour d’appel de Toulouse 16 novembre 2012, voir en pièce jointe), mais aussi de manière implicite le 30 septembre 2013 par la chambre sociale. Une rupture conventionnelle avait été signée avec un salarié en arrêt depuis plus de huit mois et alors même qu’un différend existait entre les parties. En l’espèce le salarié faisait valoir qu’il était victime de harcèlement. Pour la Cour de cassation, "il ne résulte ni des pièces de la procédure ni de l'arrêt que le salarié a invoqué devant les juges du fond des agissements précis de l'employeur susceptibles de laisser présumer un harcèlement moral", "la cour d'appel a souverainement estimé qu'au moment de la signature de la convention le consentement du salarié était libre et éclairé" et "l'existence d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail". La rupture conventionnelle était donc valide.

De toutes ces décisions, il ressort tout de même qu’il faut être vigilant lorsque l’on conclut une rupture conventionnelle avec un salarié dont le contrat est suspendu pour raisons de santé puisque la fraude ou le vice du consentement pourraient entacher la valider de la convention. Dans l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse, même s’il a été débouté, le salarié faisait par exemple valoir une situation de faiblesse psychologique due à la maladie telle que son consentement à la rupture conventionnelle était vicié. Par ailleurs, la fraude de l’employeur a déjà été admise par la cour d’appel de Poitiers (voir en pièce jointe) : le fait de proposer une rupture conventionnelle à bas coût pour l'entreprise à un salarié accidenté du travail, entre les deux visites de reprise, constitue une fraude qui entraîne la nullité de la rupture. La nullité était ici également encourue sur le fondement de la discrimination à raison de l'état de santé. Certes ce jugement a ensuite été réformé par la Cour de cassation, mais uniquement sur les effets produits par l'annulation de la rupture conventionnelle, à savoir qu’elle avait été requalifiée en licenciement nul par la cour d’appel.

 

Elise Drutinus
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