La semaine de quatre jours à la table des négociations

La semaine de quatre jours à la table des négociations

29.06.2023

Gestion du personnel

Dans cette nouvelle chronique, Maud Stéphan, déléguée générale de Réalités du dialogue social, fournit des clés de lecture et liste des points d’attention pour mieux appréhender le sujet de la semaine de quatre jours dans la négociation collective. En cela, elle s’appuie notamment sur les discussions entre ses membres qui ont témoigné de leurs expériences, lors d’un Cercle d’échanges.

Une frilosité en France ?

Depuis plusieurs années déjà, dans différents pays européens, des tests de passage à la semaine de quatre jours sont réalisés à grande échelle et s’inscrivent dans une transformation sociétale :

En Islande, un essai mené de 2015 à 2021 a été jugé positif (*) au regard des effets sur le bien-être des salariés (réduction du stress et du burnout) et de la progression de la productivité. Au Royaume-Uni, entre juin et décembre 2022, cet aménagement du temps de travail a été initié dans une soixantaine d’entreprises. En Espagne, depuis 2022 ce sont 200 entreprises volontaires qui tentent ce changement pour une période de trois ans. En Belgique, depuis la réforme “deal pour l’emploi ” approuvée, le 29 septembre 2022, par la chambre des représentants belges, des initiatives fleurissent au sein des entreprises du public et du privé.

En France, le phénomène demeure éclaté auprès d’entreprises qui, en général sur impulsion de l’employeur, lancent une expérimentation. Ce pour diverses raisons :  le souci d’accroître l’attractivité face à une pénurie de main d’œuvre ou un marché concurrentiel sur certains profils, répondre aux attentes de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, proposer une alternative aux salariés dont les postes sont non éligibles au télétravail, réduire les arrêts maladie et l’absentéisme.

Côté organisations syndicales, les confédérations ou certaines fédérations commencent à plaider pour cette évolution au point de l’inscrire dans leurs résolutions (Unsa) ou de lancer une campagne sur le sujet (Ugict-CGT), en veillant à placer des garde-fous face aux risques d’allongement de la durée journalière de travail, d’une hausse du nombre d’heures supplémentaires ou d’un décalage occasionnel de la charge de travail sur le jour de repos reposant la question de la déconnexion. Globalement, les organisations demeurent prudentes quant à une généralisation de la semaine de quatre jours dans la mesure où tous les enseignements n’ont pu être tirés des phases tests. L’Association vous en propose quelques-uns.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Une mise en place progressive

Le principe de base de la semaine de quatre jours est de proposer aux salariés de conserver le même salaire qu’avec la semaine de cinq jours mais en travaillant une journée de moins. Pour autant, sont observées des divergences quant à la mise en œuvre. 

Une réduction du temps de travail hebdomadaire à 32 heures réparties sur quatre jours tout en conservant la rémunération à hauteur de 35 heures. C’est la formule défendue par plusieurs organisations syndicales. Quelques entreprises l’expérimentent tout en laissant aussi la possibilité de travailler cinq jours, avec un paiement d’heures supplémentaires lorsque des projets le nécessitent et si les collaborateurs sont d’accord. 

Une réorganisation du temps de travail avec le maintien de la durée hebdomadaire à 35 heures mais répartie sur quatre jours et non plus cinq jours. C’est l’option privilégiée par les entreprises qui se lancent dans cette aventure.

La deuxième question qui se pose rapidement est le choix du jour non travaillé, fixe ou flottant, imposé ou non. L’échec récent énoncé de l’initiative prise à l’Urssaf Picardie atteste de l’importance de préserver une souplesse dans le choix du jour non travaillé. Les pratiques jugées réussies dans les entreprises montrent que les salariés choisissent leur journée off et la conservent sur une période déterminée ou la décision de passer à la semaine de quatre jours se prend en équipe. Le principe de réversibilité est aussi envisagé ; le salarié peut revenir sur sa décision à n’importe quel moment et reprendre le rythme d’une semaine de cinq jours.

Quelles que soient les modalités choisies, la phase test s’avère indispensable car le modèle demande un temps d’adaptation ainsi qu’un changement des méthodes de travail. Certaines entreprises ont indiqué avoir même revu en profondeur leur organisation. Les collaborateurs doivent être accompagnés, par exemple via des ateliers, des guides de bonnes pratiques, des sessions de questions-réponses et partages d’expérience ainsi que des formations. Un pilote peut par exemple être mis en place afin de mesurer les bénéfices pour les salariés et l’entreprise mais aussi déterminer des dysfonctionnements non anticipés.

Les points de satisfaction et de vigilance

Les bénéfices d’un point de vue collaborateur sont de plusieurs ordres : une réduction du stress et de la fatigue grâce à la réduction des déplacements entre le domicile et le lieu de travail ; un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle dès lors que ce rythme de travail se conjugue avec une plus grande flexibilité dans la gestion du temps.

Les employeurs constatent de leur côté une baisse de l’absentéisme et du turnover. En revanche, le critère d’attractivité n’est pas toujours vérifié auprès de certains profils, notamment les jeunes. Il est également spécifié l’instauration d’une meilleure ambiance de travail et une émulation qui remodèle la culture d’entreprise.

Face au risque que l’entreprise devienne un lieu fantôme, la semaine de quatre jours peut à la fois répondre aux attentes émergentes des salariés et maintenir un collectif que le télétravail peut déstabiliser. Il faut mettre des garde-fous, en particulier poser l’articulation avec le télétravail, en réduisant le nombre de jours à distance. Certaines entreprises qui ont opté pour ces nouvelles modalités ont choisi d’interdire le télétravail, sauf exception.

Plusieurs inconvénients sont relevés ou plutôt une complexité de mise en œuvre :

  • sur le plan opérationnel, afin d’éviter tout impact négatif sur la continuité de services auprès des clients, la qualité de la production - cela suppose de travailler en équipe et de garantir une communication idoine ; 
  • d’un point de vue juridique. Le passage à une semaine de quatre jours peut nécessiter la modification du contrat de travail selon son contenu. Le temps de travail des salariés en forfait-jours ne se décompte pas en heures mais en jours. Aussi, mettre en place la semaine de quatre jours avec un jour "de repos" dans la semaine reviendrait à "passer" ces salariés en forfait réduit et donc opérer une réduction de salaire. Cela suppose donc de passer en revue de nombreux dispositifs : temps partiel, CET, dons de jours, astreintes, horaires variables… sans oublier les droits à la retraite en cas de diminution de la durée de travail.
L’ouverture d’une négociation

En lançant ce chantier, comme tous les sujets qui touchent à l’organisation et au temps de travail, il est nécessaire de le placer à la table des négociations et, s’il y a accord, de prévoir une commission de suivi avec plusieurs indicateurs. A titre d’exemples : le taux d’absentéisme et de turnover, l’engagement et la satisfaction des collaborateurs au quotidien, les retours client, ce dernier ne devant pas pâtir de cette nouvelle organisation.

Négocier permet d’identifier les populations, postes et activités éligibles, définir les modalités pratiques et pallier les conséquences sur l’organisation du travail, notamment en matière de charge de travail et d’amplitude horaire. C’est aussi l’occasion d’interroger la position managériale qui doit composer avec de nouvelles dynamiques.

Il est encore trop tôt pour déterminer toutes les conséquences d’un tel changement ; c’est pourquoi, les partenaires sociaux dans certaines entreprises font le choix de signer un accord à durée déterminée.

 

(*) Rapport Association for Democracy and Sustainability - Alda

Maud Stephan
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