La transparence de la rémunération ne peut s'appliquer du jour au lendemain

La transparence de la rémunération ne peut s'appliquer du jour au lendemain

17.04.2025

Gestion du personnel

Pierre-Yves Goarant, directeur de projet en dialogue social et négociation chez VOXNEGO, cabinet de conseil et de formation en relations sociales, souligne l'importance pour les entreprises de s'emparer dès à présent de la directive relative à la transparence salariale.

Le projet de loi en faveur de la transposition de la directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence de la rémunération est annoncé pour cet automne, en vue d’une application en juin 2026. En attendant, des concertations sont en cours entre la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, et les organisations syndicales afin d’en définir les contours dans le droit français. Il est vrai que le chantier à venir est conséquent pour les entreprises, au regard des impacts qu’il entraînera dans les organisations.

Le temps est donc compté, puisque les entreprises de plus de 250 salariés seront les premières concernées à compter du 7 juin 2027, par l’obligation de communiquer les données sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Cette directive renforce considérablement les droits à l’information individuel des salariés, avant l'embauche mais également durant la relation de travail sur la structure de rémunération et la politique de progression aux travers des critères objectifs et non sexistes. De même, tout salarié a le droit de demander et de recevoir, par l’intermédiaire des ces représentants des informations sur son niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunérations moyens ventilés par sexe, pour la catégorie d’emploi identique ou de même valeur. Au travers de ces exemples, on saisit parfaitement en quoi ce chantier de mise en conformité est vaste. Il est donc indispensable pour les DRH de s’atteler dès à présent à la construction d’un projet transverse et d’un calendrier social, adapté aux priorités et enjeux de son organisation. Cela peut paraître simple en théorie, mais dans la pratique quotidienne des RH, le sujet semble parfois mal compris. Il est vrai que le titre "transparence de la rémunération" peut effrayer plus d’un salarié (ou DRH), tant notre culture du secret autour des salaires est ancrée. Ce que l’on constate de manière générale, c’est que la directive est tantôt méconnue, tantôt ignorée, que ce soit involontairement ou délibérément. Dans une grande entreprise dotée d’une direction RH structurée, le chantier est souvent déjà en phase de projection ou de mise en œuvre. Pour les autres, les postures sont plutôt attentistes vis-à-vis du texte attendu cet automne… en somme : " on verra bien ".

La transparence de la rémunération ne peut s'appliquer du jour au lendemain

Il faut dès maintenant s’intéresser à la directive, car elle précise clairement les chantiers à ouvrir. Pour cela, il est nécessaire de lancer un diagnostic sur les impacts structurels de la politique de rémunération existante. Il conviendra ensuite de mesurer les écarts entre la situation actuelle et les exigences de la directive. Car à l’avenir, la politique de rémunération et d’évolution de carrière devra être lisible, traçable et mesurable pour tous les collaborateurs.

En matière de recrutement, les recruteurs ne pourront plus demander aux candidats leurs rémunérations passées, et devront indiquer la rémunération initiale, ou une fourchette, pour le poste proposé. L’ensemble de la politique RH est ainsi concerné, et devra s’appuyer sur des critères objectifs, transparents et non discriminants. 

Au-delà de l’aspect technique de la mise en conformité, c’est tout un enjeu sociétal qui se joue, puisque les rémunérations et les parcours professionnels ne devront plus être genrés. Les entreprises ayant déjà mis en place une politique de diversité et d’inclusion et d’égalité professionnelle efficace auront un écart d’adaptation moins important. Pour les autres, une acculturation devra être engagée à l’échelle de toute l’organisation. Il est important de le rappeler : les sentiments d’équité et de justice favorisent la performance collective et l’attractivité des talents.

Les SIRH seront également mis à l’épreuve : il faudra s’assurer que les outils sont conformes pour collecter et traiter les données exigées. Le reporting sera lui aussi renforcé : en plus de l’obligation de transmettre régulièrement les nouveaux indicateurs, les salariés pourront demander, à tout moment, directement ou via un représentant du personnel, des informations sur leur rémunération individuelle ainsi que sur les niveaux moyens de rémunération, ventilés par sexe, pour des postes équivalents ou de valeur comparable. Bien entendu, les exigences en matière de RGPD devront être strictement respectées.Des groupes de travail spécifiques devront être constitués pour aborder ces aspects techniques, en lien avec les directions informatiques, juridiques et RH, afin de garantir une mise en œuvre efficace.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Former pour mieux transformer

De tels bouleversements ne peuvent s’opérer sans former tous les acteurs de l’entreprise, à commencer par les managers. Au regard des enjeux, il devient indispensable de les accompagner via des formations techniques descendantes, adaptées aux réalités du management au quotidien. De plus, une sensibilisation aux biais et stéréotypes permettra à l’avenir de prendre des décisions managériales basées sur des critères objectifs et équitables.

L’empressement ne favorise ni la créativité, ni le dialogue social

Cette directive nourrit une réflexion commune sur le rôle des partenaires sociaux dans sa mise en place et son  application, car elle tend à renforcer le rôle majeur du  dialogue social dans les nouvelles négociations à venir. Mais force est de constater que les sujets en matière d'égalité professionnelle ne sont pas l'apanage des organisations syndicales, préférant se consacrer à des négociations plus conventionnelles comme, selon la publication de la Dares, la participation, les salaires et primes, le temps de travail, etc. Ce désintérêt n’est pas lié à un manque d’intérêt, mais plutôt à un “défaut de formation des élus sur l’égalité professionnelle", comme l’a souligné Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, lors d'une table ronde le 7 mars 2025 organisée par le ministère du travail. Acculturer et former les élus à ces questions est donc aussi primordial que pour les managers. Pour instaurer un dialogue constructif, il faut partager les informations pertinentes - ici, la directive - et en expliciter les enjeux. Cette compréhension commune permettra de poser un diagnostic partagé avec les partenaires sociaux, étape indispensable à l’accompagnement du futur texte, que ce soit dans les négociations ou dans le suivi des indicateurs, par exemple via la création d’une commission ad hoc au sein du CSE.

Vous l’aurez compris, l’anticipation est le maître-mot face aux impacts d’un tel projet. Ce texte ne reflète plus seulement une volonté nationale d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais incarne désormais une exigence européenne. La question qui vient naturellement d’ailleurs aux groupes ayant des filiales en Europe, voire dans le monde, est de savoir si cette exigence de transparence s’applique à tous les niveaux de manière homogène ou bien si l’on laisse des latitudes en fonction de la réalité des terrains sociaux.

Pierre-Yves Goarant
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