La transition écologique a longtemps été pensée comme la réduction de l’impact du travail sur l’environnement et, donc, comme une transition vers de nouvelles activités moins impactantes. Les débats publics se focalisaient sur les questions d’emploi et de compétences. On notera que le sujet des conditions de travail était déjà clé dans ce débat. En effet, les métiers dits "verts" sont souvent, de fait, moins attractifs que les métiers traditionnels. Ainsi, les progrès obtenus en termes de sécurité et de conditions de travail dans les secteurs historiques de l’économie ont-ils été le fruit d’une histoire qui n’est pas toujours celle des nouveaux métiers. A titre d’exemple, les conditions dont bénéficie un ouvrier de la métallurgie sont bien meilleures que celles d’un technicien de maintenance dans l’éolien.
Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.
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La réduction de l’impact du changement climatique sur les conditions de travail devient un enjeu central des débats

Désormais, la réduction de l’impact du changement climatique sur les conditions de travail devient un enjeu central des débats. Les impacts concrets, directs et indirects sur les conditions de travail du changement climatique sont désormais incontestables, tout comme les risques pour la santé des travailleurs (et leur productivité). La chaleur, pour ne citer qu’un exemple, cause de la fatigue, conduit à l’épuisement, engendre de la nervosité, diminue les temps de réaction et affecte les capacités de concentration et de vigilance. Outre la dégradation des conditions de travail, on voit bien comment ces impacts contribuent à accentuer le risque d’accidents de travail.
La France compte 3,6 millions de travailleurs en extérieur (1). L’étude menée par France Stratégie en 2023 (2), pointe les secteurs du bâtiment, de l’agriculture et de l’industrie comme les premiers à subir le plus directement l’impact du changement climatique - des secteurs majeurs de l’économie française, qui représentent presque un quart de la valeur ajoutée en 2023 (3). L’étude mentionne plus précisément certains métiers, comme ceux exercés par les ouvriers du bâtiment et des industries de process et de technologies, les maraîchers, les agriculteurs, les viticulteurs, les jardiniers, les policiers, les militaires, les pompiers ou les cuisiniers. Tous ces métiers seront concernés par un besoin d’adaptation de leurs conditions de travail en cas de températures élevées.
La multiplication des événements climatiques extrêmes exige déjà et exigera des ajustements de la part de toutes les entreprises

Mais les adaptations dépassent la question des températures. Elles toucheront tous les secteurs d’activité et pas seulement les travailleurs extérieurs. En effet, le changement climatique compte deux facettes :
- les changements climatiques graduels - augmentation soutenue des températures, modification du régime des précipitations, stress hydrique, dégradation de la qualité de l’eau, érosion côtière, changement du niveau de la mer, acidification des océans ;
- les événements climatiques extrêmes - vagues de chaleur, gel, inondations, sécheresse, feux de forêts, grêle, précipitations extrêmes, ondes de tempête, glissements de terrain, vents extrêmes, tornades, cyclones tropicaux.
Le changement climatique concernera chaque territoire différemment. La multiplication des événements climatiques extrêmes exige déjà et exigera des ajustements de la part de toutes les entreprises. Les inondations, feux de forêt et tempêtes posent déjà des difficultés de transports et d’accès aux lieux de travail.
La complexité réside d’abord dans la coordination des échelles auxquelles les réflexions et adaptations doivent s’opérer : mondiale, européenne, nationale, territoriale, sectorielle, entreprises, individus. Pour être mises en œuvre efficacement, elles doivent en outre mobiliser de nombreuses parties prenantes : législateurs, branches, dirigeants, organisations syndicales, inspection du travail, délégations territoriales, salariés, chercheurs, organismes de prévention, etc.
Les dernières années ont vu un foisonnement de stratégies et de dispositifs. A titre d’exemple, on citera récemment l’intégration des conséquences du changement climatique dans le Plan santé au travail (4). Malheureusement, plusieurs études (5) ont souligné le fonctionnement siloté des différents acteurs impliqués et l’absence de pilotage transversal du sujet, y compris à une échelle nationale. La transversalité du pilotage et l’intégration d’acteurs de toutes les échelles semblent pourtant être une clef pour la réussite d’une transition qui évite les mal-adaptations et favorise les co-bénéfices.
De notre point de vue, le premier enjeu demeure encore aujourd’hui celui de la connaissance. La multiplication des formations sur le sujet est essentielle. Une fois chacun conscient, l’identification des risques ainsi que le recensement des dispositifs d’adaptation existants constituent une deuxième étape indispensable. Cette appréciation doit forcément se faire dans le cadre d’une échelle temporelle, à court, moyen et/ou long termes.
Comme le changement climatique aura des conséquences très locales, il sera indispensable de croiser les cartographies à l’échelle des territoires avec celles des secteurs d’activité. De ce point de vue, les branches ont un rôle primordial à jouer. Des études combinant les échelles territoriales et sectorielles doivent être produites.
On soulignera, bien sûr, l’augmentation manifeste des risques liés au changement climatique en cas de facteurs individuels, relatifs à l’état de santé du salarié ou organisationnels concernant le travail lui-même : port de charge lourde, etc. Dès lors, l’entreprise et chaque site devraient s’astreindre à ce travail de cartographie.
Il est probable que la signature d’accords d’entreprise sur ces thèmes se multiplie

Pour mémoire, en France, la responsabilité de la santé et de la sécurité des travailleurs incombe à l’employeur avec une obligation de moyens renforcée. Une fois les risques à l’échelle de l’entreprise ciblés, le recensement des dispositifs déjà existants pouvant servir de leviers d’action s’impose. De multiples possibilités existent selon le risque identifié : transports, horaires et organisation du travail, immobilier, équipement, mise en place d’horaires flexibles et de télétravail, travaux d’aménagement dans les espaces les plus exposés, en passant par l’introduction de nouveaux équipements de protection individuelle.
Il est probable que la signature d’accords d’entreprise sur ces thèmes se multiplie. On pourrait notamment envisager des accords déterminant une température ambiante maximale pour le travail et prévoyant différentes adaptations en cas de dépassement : aménagement des horaires de travail, allongement des pauses ou augmentation de leur fréquence, limitation du travail isolé, construction de zones ombragées ou de points d’eau à proximité des postes, EPI propices au confort thermique (de couleurs claires, moins lourds), formation du personnel aux premiers secours… L’accord ERAM Canicule signé par la CFDT et la CFTC en 2022 en constitue un bon exemple. Comme toujours, le suivi et l’évaluation des mesures adoptées seront une étape essentielle, d’autant plus importante pour éviter les mal-adaptations et vérifier que les mesures adoptées s’accompagnent de ressources financières, techniques et humaines suffisantes. Cette évaluation devra toujours se faire en croisant plusieurs critères : l’efficacité climat ou biodiversité, la santé et le bien-être des salariés, la justice et l’équité des conditions de travail, l’acceptabilité sociale des changements, la faisabilité sur le long terme ou la viabilité des dispositifs mis en place, etc.
Par leur connaissance fine du travail, les représentants du personnel constituent des ressources salutaires à toutes les étapes du processus d’adaptation

Le dialogue social constituera définitivement un outil indispensable à toutes les étapes de l’adaptation des conditions de travail au changement climatique. Les organisations syndicales et les représentants du personnel sont des acteurs fondamentaux de la transition écologique. Ils se saisissent progressivement des enjeux climatiques et portent le sujet. Ils sont enfin les mieux à même d’évaluer les adaptations proposées et de proposer, le cas échéant, des alternatives. Par leur connaissance fine du travail, les représentants du personnel constituent des ressources salutaires à toutes les étapes du processus d’adaptation.
Parfois éléments déclencheurs de la prise en compte des changements climatiques dans les conditions de travail, ils participent à l’identification et à la mesure des risques. Rappelons qu’ils contribuent à l’élaboration du document unique d’évaluation des risques professionnels. Mais, au-delà de leurs prérogatives et de la négociation, ils assurent une remontée d’informations terrain indispensable au suivi qualitatif et quotidien des mesures d’adaptation adoptées.
L’adaptation des conditions de travail au changement climatique représente un défi central pour les années à venir. Le dialogue social doit être considéré comme un outil capital pour relever ce défi et permettre une transition écologique juste. Des dispositifs existent déjà. D’autres devront être inventés. Ils le seront par les acteurs qui se saisiront du sujet et qui, mieux que les autres, s’adapteront.
(1) Avis du CESE, "Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ?", avril 2023.
(2) France Stratégie, "Le travail à l’épreuve du changement climatique", juin 2023.
(3) Insee, comptes nationaux, base 2020.
(4) Voir les actions regroupées dans la section 5.3 "Prendre en compte les effets du changement climatique sur la santé des travailleurs, en particulier les effets des vagues de chaleur" du Plan Santé au Travail de 2021 (PST4 2021-2025).
(5) France Stratégie, op. cit.