L'affaire Christian Latouche est suspendue à la justice européenne
12.06.2023
Gestion d'entreprise

Le rapporteur général du H3C requiert la radiation de Christian Latouche de la liste des commissaires aux comptes pour avoir exercé des activités commerciales interdites. Le propriétaire de Fiducial, qui demande à être mis hors de cause, répond que la réglementation française est illégale sur ce sujet. Le verdict de la formation restreinte du H3C est suspendu à l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne.
Décidément, Fiducial a pour habitude de bousculer les habitudes. Quitte à secouer la profession comptable tantôt agacée tantôt réjouie par ses actions. C'est ce groupe qui a engagé une bataille juridique pour que le démarchage par l'expert-comptable soit autorisé. Il en est ressorti victorieux en 2011, la Cour de justice de l'Union européenne jugeant que la France n'avait pas le droit d'interdire à cette profession cette pratique commerciale. C'est aussi lui qui a préconisé, bien avant le relèvement par la loi Pacte en 2019 des seuils de désignation obligatoire du commissaire aux comptes, de remplacer l'audit légal des comptes des petites entreprises par un examen limité de l'expert-comptable.
C'est encore lui qui s'est investi pour libéraliser la détention du capital des sociétés d'expertise comptable en France au motif que le droit français n'était pas conforme à la directive services. Résultat : depuis 2014, le capital est complètement ouvert même si les professionnels doivent posséder plus des deux tiers des droits de vote. C'est lui qui a milité pour fusionner l'Ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. C'est également lui qui a soutenu le lancement de l'auto-entreprise, un régime pourtant critiqué au départ par une bonne partie de la profession comptable. C'est aussi lui qui a demandé à mettre officiellement fin à la prérogative d'exercice sur la tenue comptable. Un sujet qui fait toujours débat aujourd'hui (lire notamment cet article).
Actionnaire du stade toulousain depuis 2008, c'est encore lui qui a osé s'opposer, en vain, au rachat de l'éditeur de logiciels CCMX par Cegid, le groupe fondé par Jean-Michel Aulas. C'est toujours lui qui s'est lancé très tôt dans des domaines non traditionnels pour le secteur comptable au point d'offrir aujourd'hui des services informatiques, des prestations de sécurité, des activités bancaires ou encore la vente de fournitures de bureau. Résultat : il revendique avoir réalisé 1,83 milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2021, disposer de 1 230 bureaux dans le monde et un effectif de 19 600 personnes.
Cette histoire "extraordinaire" est étroitement liée à Christian Latouche, fondateur et principal propriétaire du groupe Fiducial. Et ce n'est pas fini. Une nouvelle page est en train de s'écrire. Et quelle qu'en soit le contenu, elle marquera. Deux scénarios peuvent se produire : soit une nouvelle libéralisation du commissariat aux comptes (voire aussi de l'expertise comptable) dans l'hypothèse où la réglementation française de cette profession est illégalement liberticide en matière d'activités commerciales, soit une sanction disciplinaire prononcée contre Christian Latouche laquelle peut aller notamment jusqu'à sa radiation de la profession de commissaire aux comptes. Tout va dépendre du jugement que doit rendre la formation restreinte du H3C à l'égard de Christian Latouche — et ce verdict pourra ensuite faire l'objet d'un recours. Un jugement qui est en attente de la réponse à la question préjudicielle posée à la Cour de justice de l'Union européenne.
Cette page qui s'écrit renvoie donc à une affaire judiciaire. La formation du H3C qui statue sur les cas individuels accuse Christian Latouche d'avoir violé la déontologie des commissaires aux comptes. Elle considère qu'il a exercé, directement ou indirectement, depuis le 3 janvier 2016, des activités commerciales incompatibles avec le commissariat aux comptes (cf article L 820-10 du code de commerce). Rappelons qu'avant la loi Pacte de 2019, les fonctions de Cac étaient incompatibles avec toute activité commerciale, qu'elle soit exercée directement ou par personne interposée. Depuis la loi Pacte, deux exceptions sont permises : dans le cadre d'activités accessoires à la profession d'expert-comptable et dans celui d'activités accessoires exercées par une société pluri-professionnelle d'exercice.
Cette formation du H3C lui reproche d'avoir exercé, au travers de deux sociétés de Fiducial, les activités commerciales suivantes qui ne sont pas accessoires à la profession d'expert-comptable : prestations de sécurité, vente de fournitures et de mobilier de bureau, activité d'agent immobilier et de gestion de sociétés civiles de placement immobilier, activité bancaire et prestations dans le secteur des médias. A noter au passage que cette formation du H3C reconnaît que la fourniture de services informatiques est une activité accessoire à la profession d'expert-comptable. Le rapporteur général de cette formation du H3C demande ainsi que Chritian Latouche soit radié de la liste des commissaires aux comptes et qu'il lui soit infligé une sanction pécuniaire de 250 000 euros.
Le fondateur de Fiducial demande à être mis hors de cause. Quelle est sa défense ? "M. Latouche n'a pas contesté, au cours de la procédure, avoir exercé les activités visées par la notification de griefs par personnes morales interposées, compte tenu de son implication dans les sociétés en cause en qualité d'associé et de dirigeant, ni qu'il s'agissait d'activités commerciales ne pouvant être qualifiées d'accessoires à la profession d'expert-comptable", précise le jugement rendu le 25 mai dernier par la formation restreinte du H3C.
Le fondateur de Fiducial se défend sur un autre terrain, celui de l'illégalité du droit français au regard du droit de l'Union européenne. Il estime que l'interdiction d'exercer une activité commerciale est "disproportionnée dès lors que l'indépendance des commissaires aux comptes et la prévention des conflits d'intérêts seraient suffisamment assurées par les autres dispositions légales, réglementaires ou déontologiques, françaises et européennes, auxquelles lui-même se serait conformé en exerçant les activités commerciales en cause".
Le cadre européen sur le contrôle légal des comptes n'aborde pas explicitement le sujet. Ni la directive 2006/43/CE sur le contrôle légal des comptes ni le
règlement 537/204 sur le contrôle légal des comptes des entités d'intérêt public (EIP) n'interdisent de façon générale au contrôleur légal des comptes de fournir des activités commerciales alors même que ce règlement, qui fixe un cadre complémentaire spécifique à l'audit des EIP, empêche le contrôleur légal des comptes de fournir certains services aux entités contrôlées ou aux entreprises qui leur sont liées (article 5). Toutefois, cette directive impose aux contrôleurs légaux des comptes une déontologie couvrant au minimum leur fonction d'intérêt public, leur intégrité, leur objectivité ainsi que leur compétence et leur diligence professionnelles (article 21). Elle leur exige aussi d'être indépendant de l'entité contrôlée et de ne pas être associé au processus décisionnel de l'entité contrôlée (article 22). Et que cette indépendance garantisse l'absence de conflit d'intérêts, existant ou potentiel. De plus, un Etat membre peut imposer des normes plus rigoureuses (article 52).
La question juridique qui se pose tourne autour de l'articulation de ce cadre avec la directive sur les services (directive 2006/123/CE). Cette dernière prévoit comme principe le droit des prestataires de services d'exercer plusieurs activités (article 25). Toutefois, les Etats membres peuvent (sous condition) limiter voire interdire la fourniture d'activités pluridisciplinaires. C'est notamment le cas pour les professions réglementées "dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions" (lire ci-dessous l'intégralité de l'article 25 de la directive services).
La formation restreinte du H3C, qui juge cette affaire, a décidé le 25 mai dernier de demander, avant de se prononcer sur le fond, l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur ce sujet, c'est à dire qu'elle lui dise si le cadre français qui s'impose au Cac en matière d'activités commerciales est légal. Contacté, Fiducial affirme que "Christian Latouche n'a aucun intérêt à contester la décision rendue par la commission restreinte. Il attendra sereinement la décision de la CJUE" (voir ci-dessous la réponse complète qu'il nous a adressée). Une fois l'arrêt de la CJUE rendu, la formation restreinte rendra son verdict. Ce dernier pourra alors être contesté devant le Conseil d'Etat.
Nous avons contacté Fiducial afin de savoir si Chritian Latouche souhaite apporter un commentaire à cette décision du H3C du 25 mai 2023 et s'il souhaite exercer un recours contre cette décision. Voici la réponse que Fiducial nous a fait parvenir : "Nous serons extrêmement sommaires dans nos réponses, car il s'agit d'une affaire en cours. Le H3C a demandé de lourdes sanctions contre Christian Latouche, estimant que la situation reprochée ne prêtait aucune discussion. Force est de constater que ce ne devait pas être le cas, sinon la commission restreinte n'aurait jamais sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la CJUE à ses questions préjudicielles. Les arguments développés par Christian Latouche ont dû être jugés suffisamment sérieux pour que la commission restreinte saisisse la CJUE ; une voie qui, à notre connaissance, n'a jamais été empruntée par l'organe disciplinaire d'une autorité administrative indépendante. |
"Article 25 Activités pluridisciplinaires 1. Les États membres veillent à ce que les prestataires ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes. Toutefois, les prestataires suivants peuvent être soumis à de telles exigences : a) les professions réglementées, dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions ; b) les prestataires qui fournissent des services de certification, d’accréditation, de contrôle technique, de tests ou d’essais,dans la mesure où ces exigences sont justifiées pour garantir leur indépendance et leur impartialité. 2. Lorsque des activités pluridisciplinaires entre les prestataires visés au paragraphe 1, points a) et b), sont autorisées, les États membres veillent à: a) prévenir les conflits d’intérêts et les incompatibilités entre certaines activités ; b) assurer l’indépendance et l’impartialité qu’exigent certaines activités ; c) assurer que les règles de déontologie des différentes activités sont compatibles entre elles, en particulier en matière de secret professionnel. 3. Dans le rapport prévu à l’article 39, paragraphe 1, les États membres indiquent les prestataires soumis aux exigences visées au paragraphe 1 du présent article, le contenu de ces exigences et les raisons pour lesquelles ils estiment qu’elles sont justifiées. |
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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
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