Les débats autour de la vente du Doliprane par Sanofi ont mis en évidence les questions de souveraineté pharmaceutique, en application du contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Dans cette chronique, Olivier de Maison Rouge, avocat et directeur du MBA Executive Management stratégique et intelligence juridique, explique tout de cette affaire.
Il est incontestable que la crise sanitaire de 2020/2021 avait largement remis au goût du jour des notions qui avaient longtemps été éludées par la mondialisation de l’économie, telles que l’autonomie stratégique dont le terme s’est depuis lors imposé. Cela avait conduit à repenser la question des approvisionnements, de la constitution de stocks stratégiques, etc.
Ces principes prévalent désormais, mais doivent cependant être savamment conciliés avec l’attractivité économique d’un pays, sans omettre l’émotion palpable qui se traduit par l’opinion publique quand il s’agit de toucher à un totem de l’économie française, comme le Doliprane.
Rappelons au préalable que les IDE - cet acronyme qui désigne des investissements directs à l’étranger (IDE), selon la définition de l’OCDE (ou IDI pour « investissements directs internationaux) - servent de mesure d’attractivité d’un pays selon notamment sa législation sociale, le coût du travail, la compétitivité, sa fiscalité, ses savoirs-faires, etc.
Ils constituent, conjointement, une grille de lecture des mouvements de capitaux financiers. Les IDE sont facteurs de croissance économique par l’afflux de capitaux ainsi recensés et montrent l’intérêt significatif des acteurs financiers pour un pays.
Ils se traduisent alternativement par :
- la création d’une filiale étrangère dans le pays d’accueil ;
- des prêts financiers interentreprises de plusieurs nationalités étrangères ;
- mais aussi la prise de contrôle en capital par voie de rachat (fusion-acquisition) de titres d’entreprises dans le pays bénéficiaire. Ce fut le cas dans la vente d’Opella, filiale de Sanofi, qui possède notamment le médicament à base de paracétamol dénommé Doliprane, produit à Lisieux (Calvados).
On détermine habituellement une prise participation par un seuil de franchissement du capital à hauteur de 10% et plus.
Mais, au-delà du simple instrument de mesure macro-économique, les IDE peuvent également revêtir des prises de participation hostiles, dans des secteurs sensibles fragilisés, contribuant à la prédation économique, ou être le fruit d’un activisme consommé par des ONG et/ou acteurs d’ingérences étrangères.
C’est pourquoi, afin de veiller à la réalité d’investissements étrangers pertinents dûment orientés, traduisant l’attractivité des territoires, tout en préservant les filières économiques essentielles, contribuant à l’autonomie stratégique, l’Etat s’est doté d’une doctrine en matière de contrôle des investissements dans des secteurs identifiés.
Ainsi, l’article L. 151-1 du code monétaire et financier énonce dans son principe que les relations financières entre la France et l'étranger sont libres.
Par dérogation cependant, en application de l’article L. 151-2 du même code, le gouvernement peut, pour assurer la défense des intérêts nationaux notamment soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle la « constitution et la liquidation des investissements étrangers en France » (régime dit des IEF).
Dès lors, dans certains secteurs limitativement énumérés, touchant à la défense nationale ou susceptibles de mettre en jeu l’ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays, en application des articles L. 151-2 et L. 151-3 du code monétaire et financier, les investissements étrangers en France sont soumis à une procédure préalable d’autorisation du ministre chargé de l’économie (dans les faits, le dossier est soumis à la Direction Générale du Trésor – ou DGT – en charge des IEF). Cette procédure peut se clôturer soit par un refus, soit par une autorisation le cas échéant assortie d’engagements.
C’est dans ce cadre que le fameux décret dit « Montebourg » avait été tardivement élargi par le Ministre du Redressement productif pour contrer – sans succès – le rachat d’Alstom Energie par General Electrics, en 2014, après des fusions-acquisitions géantes d’Alcatel, Arcelor, Pechiney, Lafarge ou encore Technip qui avaient déjà contribué à démantelé l’arsenal industriel français.
Depuis lors, c’est sur le fondement du même régime de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) que la vente de l’industriel de visée nocturne Photonis avait été mise en échec contre un fond d’investissement américain (2020).
De même, Bruno Lemaire, alors ministre de l’Économie, avait annoncé user de son veto dans le cadre de la vente envisagée de Carrefour au Canadien Couche-Tard. Il ressort toutefois que ce secteur est absent de la liste des activités du décret d’application des IEF qui sont essentiellement cantonnées aux entreprises de la défense, du numérique et plus largement au régalien. Le sujet Carrefour était in fine une agitation politique, mais néanmoins efficace car l’acquéreur pressenti a renoncé.
Dans le cadre de la vente d’Opella par Sanofi au fond américain CD&R, suite à l’émotion soulevée par des tribunes publiques et des prises de position politiques, le Gouvernement s’est senti tenu de s’emparer du sujet.
Même si le choix de s’en référer aux IEF peut sembler discutable, dans la mesure où le décret d’application (article R. 151-3 du Code Monétaire et Financier) évoque littéralement « la protection de la santé publique », il appartiendra en conséquence à la DGT d’en faire une interprétation extensive.
Au terme du débat public, il ressort que Sanofi cèdera (comme cela était sa volonté) 51% de sa filiale Opella (conservant ainsi 49% du capital), BPI s’arrogeant 1% tandis que CD&R prendrait 50% non sans avoir au préalable engagé la procédure IEF qui pourrait être assortie d’engagements comme le maintien du siège et de la production en France.
La procédure IEF, aspects pratiques Au sens de la règlementation des IEF : - constitue un investisseur (CMF, art R. 151-1) « 1° Toute personne physique de nationalité étrangère ; « 2° Toute personne physique de nationalité française qui n'est pas domiciliée en France au sens de l'article B du code général des impôts « 3° Toute entité de droit étranger ; « 4° Toute entité de droit français contrôlée par une ou plusieurs personnes ou entités mentionnées au présent 1°, 2° ou 3°. - constitue un investissement: « le fait pour un investisseur: « 1° D'acquérir le contrôle, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, d'une entité de droit français ; « 2° D'acquérir tout ou partie d'une branche d'activité d'une entité de droit français ; « 3° De franchir, directement ou indirectement, seul ou de concert, le seuil de 10 % de détention des droits de vote d'une entité de droit français ». Des secteurs économiques stratégiques ciblés Régulièrement mis à jour, les secteurs stratégiques, qui entrent dans le champ du contrôle sont en substance (CMF art. R 151-3) : - les entreprises appartenant aux secteurs de l’aérospatial et de la protection civile, - les jeux d’argent à l’exception des casinos, - les activités de R&D portant sur des agents pathogènes, - les activités portant sur des matériels techniques permettant les interceptions de sécurité ou la captation de données, - la sécurité des systèmes des technologies de l’information, - les biens et technologies à double usage, - la cryptologie, - la défense nationale, - les infrastructures et services de réseaux dont l’intégrité, la sécurité, et la continuité sont jugées essentielles (énergie, eau, transports,...), - les entreprises qui mènent des activités de recherche et de développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, de fabrication additive, de semi-conducteurs, - les hébergeurs de certaines données sensibles. Le régime des sanctions en cas de non-respect de la règlementation des IEF En fonction de l’investissement projeté, le ministre chargé de l’économie dispose de trois alternatives : - autoriser l’investissement ; - autoriser l’investissement sous des conditions permettant d’assurer la préservation des intérêts du pays - rejeter la demande d’autorisation et refuser l’investissement si aucune condition ne permettrait de garantir les intérêts du pays en matière d’ordre public, de sécurité publique et de défense nationale ou encore si des doutes pèsent sur l’honorabilité de l’investisseur. Le ministre dispose également, en vertu de l’article L 151-3-2 du Code monétaire et financier, d’un pouvoir de sanction pécuniaire dont le montant s’élève au maximum à la plus élevée des sommes suivantes : - le double du montant de l’investissement irrégulier ; - 10% du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise ; - 5 millions d’euros pour les personnes morales et 1 million d’euros pour les personnes physiques. |
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