L'affaire du siècle, une nouvelle décision historique en matière climatique

02.02.2021

Environnement

Se basant sur les travaux du GIEC et de l'ONERC, le tribunal administratif de Paris reconnaît l'existence d'un préjudice écologique lié au changement climatique. La carence partielle de l'État à respecter les objectifs qu'il s'est lui-même fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité.

Le 14 mars 2019, l'association Notre Affaire à Tous a déposé en partenariat avec Greenpeace, Oxfam et la Fondation pour la Nature et l'Homme une requête devant le tribunal administratif de Paris pour carence fautive de l’État dans son action climatique, afin d’obtenir sa condamnation à réparer leur préjudice moral mais aussi le préjudice écologique, et de mettre un terme aux manquements de l’Etat  (v. notre actualité du 18/03/19 "L'Affaire du siècle portée devant le tribunal administratif").

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Le juge administratif reconnaît un préjudice écologique lié au climat
Pour demander la condamnation de l’État à leur verser la somme symbolique d’un euro et le prononcé d’une injonction d’adopter les mesures nécessaires, les requérantes soutiennent que l’État est responsable d’un préjudice écologique par ses carences dans la lutte contre le changement climatique.
Le premier enseignement du jugement porte sur la recevabilité de l'action concernant le préjudice écologique. Par la lecture combinée des articles 1248 du code civil et L. 142-1 du code de l'environnement, le tribunal juge que l’action en réparation du préjudice écologique est recevable et ouverte contre l’Etat.
Ensuite, sur l'existence même du préjudice écologique, le tribunal utilise les derniers rapports spéciaux du GIEC "auxquels la France participe activement, dont elle contribue au financement à hauteur de 15 %, et aux conclusions desquels elle adhère" ainsi que les travaux de l'ONERC pour juger que le préjudice écologique est établi.
Précision : sur les travaux du GIEC, voir notamment nos articles du 8/10/18 "Climat : rapport du GIEC sur un réchauffement planétaire de 1,5 °C" et du 1/10/19 "Le rapport glaçant du GIEC sur l'océan et la cryosphère".
L'Etat responsable d'une partie du préjudice écologique
Les juges examinent ensuite s’il existe un lien de causalité entre ce préjudice écologique et les différents manquements reprochés à l’Etat.
Ils constatent que l’État a méconnu le premier budget carbone en le dépassant substantiellement de 3,5% et n’a ainsi pas réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles de réduire les émissions de GES.
Les requérantes sont donc fondées à soutenir qu’à hauteur des engagements qu’il avait pris et qu’il n’a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, l’État doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice écologique.
Précision : le tribunal ajoute que la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité, dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de GES, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué.
Supplément d'instruction et réparation en nature

Selon le code civil, la réparation du préjucide s’effectue prioritairement en nature. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation que le juge condamne la personne responsable à verser des dommages et intérêts au demandeur, ceux-ci étant affectés à la réparation de l’environnement.

En l'espèce, la demande de réparation en argent, faite à titre symbolique par les associations, est rejetée : d’une part, les requérantes ne démontrent pas que l’État serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique dont le jugement le reconnaît responsable, d’autre part, la demande de versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique est sans lien avec l’importance de celui-ci.
En revanche, les requérantes sont fondées à demander la réparation en nature du préjudice écologique.
Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation, les juges prononcent un supplément d’instruction, assorti d’un délai de deux mois.
Remarque : "L’état de l’instruction ne permet pas au tribunal de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État à cette fin" : l'utilisation du verbe devoir laisse peu de doute quant à la réalité des mesures à venir.
Symbolique, la réparation du préjudice moral des associations
Enfin, le tribunal estime que les carences fautives de l’Etat à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES qu’il s’est fixés portent atteinte aux intérêts collectifs défendus par chacune des associations requérantes.
Il condamne ainsi l’Etat à verser à chacune des quatre associations un euro, tel que symboliquement demandée par ces dernières, en réparation de leur préjudice moral.
Le dynamisme du contentieux climatique français
"Le Gouvernement prend acte de la décision du tribunal administratif relative au non-respect du premier budget carbone de la Stratégie Nationale Bas Carbone pour la période 2015/2018. Le tribunal a jugé que l'action de l’Etat en matière de lutte contre le dérèglement climatique avait été insuffisante par le passé. Le Gouvernement a conscience du fait que les premiers objectifs fixés sur cette période passée n’ont en effet pas été atteints".
Telles sont les premières lignes du communiqué de presse du ministère de la transition écologique, pour lequel il aurait été difficile de faire plus minimaliste.
Brandis par le gouvernement pour justifier de ses récents efforts, la loi d’orientation des mobilités, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, la loi Energie-climat, le plan de relance ou encore le projet de loi Climat et Résilience seront-ils suffisants ? Selon les associations requérantes, l'étude d’impact réalisée par le gouvernement montrerait que le projet de loi Climat ne permettrait d’atteindre que la moitié, voire les deux tiers des objectifs...
La décision du tribunal intervient dans un contexte chahuté pour le gouvernement, déjà sommé par le Conseil d'Etat de justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée (v. notre actualité du 20/11/20 "On ne joue pas avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre").
Et ce alors qu'en décembre, la Commission a mis en demeure a France d'exécuter l'arrêt de la CJUE d'octobre 2019 sur la qualité de l'air dans les grandes agglomérations et zones de qualité de l'air françaises (v. notre article du 4/12/20 "Qualité de l'air : la France une nouvelle fois mise en demeure par la Commission".
Pas de doute, ça chauffe!
Camille Vinit, Code permanent Environnement et nuisances

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