AvoSial (*) publie des chroniques pour actuEL-RH. Aujourd'hui, Sophie Binder, Demet Cacan et Ralph Caudoux, respectivement avocate associée, avocate et juriste au sein du cabinet Barthélémy Avocats, analysent la jurisprudence relatives aux relations amoureuses au travail, des débuts à la rupture.
Selon une étude réalisée en 2022, 37 % des Français ont déjà éprouvé "un intérêt sentimental particulier" pour un(e) collègue de bureau et, parmi eux, 59 % ont déjà entretenu une relation de nature sexuelle ou amoureuse au travail.
Si le monde du travail est ainsi propice à la formation de couples, cela n’est pas sans conséquence au sein de l’entreprise. En effet, l’imbrication de la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés peut parfois mener à des situations inconfortables pour les principaux concernés, l’employeur mais aussi les autres salariés et ce, à tous les stades d’une relation amoureuse.
De ses prémices à sa rupture, voici quelques rappels en cette saison estivale favorisant les rencontres, concernant la gestion des relations amoureuses au travail.
Toute relation amoureuse est supposée être précédée d’une période de séduction à laquelle les salariés consentent tous les deux. Toutefois, la tentative de séduction menée par un(e) salarié(e), au travail, peut être mal vécue par l’autre salarié(e) et conduire à la caractérisation d’un harcèlement sexuel.
Or, un employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner (article L.1153-5 du code du travail). De ce fait, il doit être en mesure de pouvoir identifier une telle situation afin de préserver la santé et sécurité de ses salariés au temps et lieu de tavail.
Le harcèlement sexuel est caractérisé, aux termes de l’article L.1153-1 du code du travail, par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Ce même article précise que toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers est, par ailleurs, assimilé à un harcèlement sexuel.
En fonction des circonstances, une situation de harcèlement sexuel (ou assimilé à) peut être caractérisée ou être exclue.
Si la jurisprudence a pu admettre à une époque qu’une salariée ne puisse pas se prévaloir d’une telle situation en raison de son attitude ambiguë et de sa participation à un jeu de séduction réciproque avec son supérieur hiérarchique (arrêt du 25 septembre 2019), il semblerait qu’elle ait récemment décidé d’aller au-delà de toute idée de consentement.
En effet, elle a récemment admis qu’une situation de harcèlement sexuel était présumée en présence d’une salariée ayant eu des relations sexuelles avec l’un de ses supérieurs hiérarchiques et ce sans prendre en considération l’argument de l’employeur selon lequel il s’agissait d’une relation privée instituée de manière consentante par les deux salariés. En l’espèce, les juges du fond ont considéré que l’absence de limite fixée par ce supérieur hiérarchique entre vie privée et vie professionnelle lui avait permis de créer les circonstances lui permettant de se rapprocher de la salariée pour obtenir des faveurs sexuelles (arrêt du 15 février 2023).
Prudence est donc de mise sur la gestion des prémices d’une relation amoureuse, le consentement, aussi fondamental soit-il ne permet pas de facto de faire échec à toute reconnaissance du harcèlement sexuel. L’employeur doit pouvoir, lorsque saisi de telles problématiques, diligenter une enquête afin d’éclaircir les circonstances d’une telle situation et prendre toutes les mesures adéquates au regard de son obligation de sécurité et son pouvoir disciplinaire.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
La période de séduction finie, une relation amoureuse peut naître entre salariés et ce même si l’employeur aurait pris le soin d’insérer une clause de célibat au sein des contrats de travail (arrêt du 7 février 1968). Davantage, il ne pourra pas licencier les salariés concernés en raison de cette relation amoureuse car, même au temps et lieu du travail, le salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée et d’en tirer l’ensemble des droits qui en découle (ex : période de congés payés identique pour les conjoints et partenaires liés par un PACS, possibilité de débloquer de manière anticipée tout ou partie des droits acquis au titre de la participation en raison d’un mariage ou de la conclusion d’un PACS).
Toutefois, il n’est pas rare qu’une relation amoureuse ait un impact au sein de l’entreprise.
D’une part, les occasions ne manqueront pas, notamment en présence d’une relation entre un(e) supérieur(e) hiérarchique et un(e) salarié(e), de réserver un traitement de faveur à l’autre. Afin de prévenir une telle situation, certains employeurs demandent par le biais de politiques internes à leurs salariés de signaler l’existence (même potentielle) d’un conflit d’intérêt, voire décident d’organiser un changement d’équipe pour l’un des deux salariés concernés.
En effet, l’existence d’un favoritisme risque de dégrader l’ambiance au sein de l’entreprise (ex : départs de salariés, conflits internes entre salariés…etc.) et d’impacter l’image de l’entreprise sur le marché du travail (ex : recrutement difficile de nouveaux talents). Qui plus est, un tel favoritisme peut aussi contribuer à la caractérisation d’un harcèlement moral (cour d'appel de Lyon, 1er décembre 2021, RG nº 19/00164). En l’espèce, un supérieur hiérarchique favorisait une salariée avec laquelle il entretenait une relation extra-conjugale au détriment des autres salariés qu’il harcelait (ex : humiliations publiques quotidienne, remarques désobligeantes et sexistes sur les tenues vestimentaires envers le personnel féminin, allusions grivoises et invitations déplacées…etc.).
L’employeur, au courant, d’une telle situation a donc tout intérêt à réagir et procéder à une enquête afin de déterminer la véracité du favoritisme dénoncé et prendre les mesures, notamment disciplinaire, adéquates.
D’autre part, la liaison et plus généralement la relation entre deux salariés peut néanmoins justifier une intervention de l’employeur sur le terrain du trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise (arrêt du 30 novembre 2005). Ce motif exige cependant que cette relation ait un retentissement particulier sur la marche de l’entreprise elle-même (arrêt du 30 mars 1982 ; arrêt du 19 novembre 1992), ce que l’employeur doit être en mesure de démontrer.
La taille de l’entreprise, la position hiérarchique des membres du couple et leur comportement au sein de l’entreprise peuvent contribuer à établir ce trouble et justifier le licenciement des salariés concernés. Il en a été jugé ainsi de deux salariés cherchant à s’isoler et se rencontrer sur le lieu de travail, leur comportement choquant le reste du personnel (cour d'appel de Dijon, 29 mars 1988, n°87-1358) ou d’une serveuse d’un bar-tabac entretenant des relations intimes avec le patron, connue de la femme, dans la mesure où la présence de celle-ci sur le lieu de travail créait un climat conflictuel entre les trois personnes y travaillant, compromettant la bonne marche de celui-ci (cour d'appel de Versailles, 26 février 1992, n° 91-6712).
Il sera rappelé que, si les deux salariés sont poursuivis pour la même faute, ils font l’objet de procédure de licenciement distinctes. A ce titre, un employeur ne saurait justifier le dépassement des délais de procédure à l’égard de l’un des salariés car il attendrait, pour l’autre ayant la qualité de salarié protégé, la réponse de l’inspection du travail (arrêt du 20 octobre 2009).
La relation amoureuse peut également prendre un mauvais tournant et se solder par une rupture.
Si certaines ruptures n’entraînent pas de conséquence particulière sur le lieu de travail, d’autres peuvent avoir un retentissement sur la vie de l’entreprise et justifier le licenciement des salariés concernés (arrêt du 19 novembre 1992). Sans la preuve d’un tel rattachement à la vie professionnelle, le licenciement du ou des salariés concernés serait dénué de cause réelle et sérieuse. Cette règle a récemment été rappelée par la jurisprudence (arrêt du 16 décembre 2020).
En l’espèce, un salarié avait posé une balise GPS sur le véhicule de son ex-compagne également salariée de l’entreprise et lui avait adressé deux courriels intimes par le biais de la messagerie professionnelle. Il a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave car ces faits constituaient aux yeux de l’employeur des faits de harcèlement moral. Les juges ont considéré que les faits reprochés au salarié ne constituaient pas un harcèlement moral notamment parce que la rupture de la relation amoureuse était consensuelle et non à la seule initiative de la salariée ; que le licenciement du salarié était dénué de cause réelle et sérieuse car les faits relevaient de la vie personnelle du salarié et n’avaient eu aucun retentissement au sein de l’entreprise ou sur la carrière de la salariée concernée.
Enfin, il peut arriver que la rupture d’une relation amoureuse pousse l’un des salariés concernés à quitter l’entreprise et que, par l’application d’une clause d’indivisibilité, celui de l’autre salarié soit également rompu. Illicite dans les contrats à durée déterminée, une telle clause d’indivisibilité n’est admise à l’égard des contrats à durée indéterminée que si la poursuite du second contrat de travail est rendue impossible par la rupture du premier (arrêt du 12 juillet 2005 ; arrêt du 5 juillet 2017). En pratique, une telle clause est essentiellement utilisée pour des "activités de couple" (ex : gardiens d’immeubles, gérants d’un magasin…etc.) et son application est rarement admise par la jurisprudence (ex : arrêt du 24 avril 2013 ; arrêt du 23 juin 2010).
(*) AvoSial est une association d'avocats en droit du travail et de la sécurité sociale qui conseillent et représentent les employeurs en justice.
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