Alors qu’il fait encore débat en France, le lanceur d’alerte est protégé au Royaume-Uni depuis 2008. Tour d’horizon des mesures britanniques dont le futur cadre législatif français pourrait s’inspirer.
Directive européenne sur le secret des affaires (voir notre article), projet de loi Sapin II, proposition de loi du député Yann Galut (Cher, PS), étude du Conseil d’État (voir notre brève), autant de textes qui ont mis au cœur du débat législatif français le statut et la protection du lanceur d’alerte.
L’association des juristes franco-britanniques proposait, lundi, de comparer les « dispositifs d’alerte professionnelle et codes de conduite en France et au Royaume-Uni ». Il est vrai que contrairement à son homologue britannique, la France ne prévoit, pour le moment, aucun cadre législatif sur les lanceurs d’alerte.
Au Royaume-Uni, le profil du lanceur d’alerte est plutôt simple. Dès lors qu'une personne divulgue des informations dénonçant une infraction criminelle, la violation d’obligations juridiques attenantes au secteur d’activité de l’entreprise, une erreur judiciaire, la mise en danger de la santé ou de la sécurité du public, des dommages à l’environnement ou bien encore la dissimulation délibérée de tout ce qui précède, elle est considérée comme un lanceur d'alerte. Peu importe les raisons qui l'ont poussé à donner l'alerte. « Auparavant le lanceur d’alerte ne devait pas être intéressé et devait être de bonne foi. Depuis 2014, l’intérêt et l’information du public prime. Il n’existe plus aucune obligation de bonne foi », développe Joséphine Van Lierop, avocate au sein du cabinet britannique Slater & Gordon LLP. Une vision bien loin de la française, l'histoire des deux pays faisant sans doute la différence dans le raisonnement adopté : « Le Royaume-Uni est parti d’une approche de transparence, contrairement à la France, où nous sommes partis d’une approche de délation », explique Julien Cheval, avocat associé du cabinet Vigo.
Dans sa dernière version, le projet de loi Sapin II ne fournirait aucun critère de définition du lanceur d'alerte. Néanmoins, le ministre des Finances, Michel Sapin, auditionné hier matin par les commissions des lois, des finances, et des affaires économiques de l’Assemblée nationale, a insisté sur la nécessité de « définir le lanceur d’alerte afin de l’identifier juridiquement et ainsi le protéger ». Un profil qui pourrait être déterminé lors de l'adoption d’amendements en débat public, début juin. « Il existe deux types de lanceurs d’alerte : ceux qui s’adressent directement aux autorités, et ceux qui font remonter l’information en interne afin de permettre à l’entreprise de mettre fin au problème rencontré », analyse Thomas Baudesson, avocat associé du cabinet Clifford Chance à Paris.
D’après les dernières statistiques divulguées par Joséphine Van Lierop, les lanceurs d’alerte britanniques travaillent principalement dans les secteurs de la santé, des collectivités territoriales, et de la finance. En France, la loi les protège uniquement en matière d’environnement (article L 1351-1 du code de la santé publique) et de fraude fiscale (article L 1132-3-3 du code du travail).
L’article 7 du projet de loi Sapin II, dans sa version examinée cette semaine par la commission des lois de l’Assemblée nationale, prévoirait de créer un nouveau chapitre au titre III du livre VI du code monétaire et financier. Ainsi serait assurée la protection des personnes signalant à l’Autorité des marchés financiers ou à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, des manquements relatifs aux abus de marchés, aux règlements de titres dans l’Union européenne, aux documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance, aux marchés d’instruments financiers ainsi qu’aux placements collectifs commis par des sociétés de gestion (voir notre article). « Le projet de loi Sapin II a un objet limité à la seule corruption. Or, la plupart des alertes, aujourd’hui, concernent surtout le droit du travail », regrette Julien Cheval.
Il est vrai qu’au Royaume-Uni, le cadre juridique s'adresse avant tout aux salariés d’entreprises privées et d’établissements publics ou privés. L’éventuel futur lanceur d’alerte est protégé dès son premier jour de travail, il ne peut donc pas être licencié sur ces motifs, et se voit indemnisé du préjudice subi. « Les indemnités obtenues par les lanceurs d’alerte ne prennent pas suffisamment en compte les dommages réputationnels », tempère Joséphine Van Lierop. La protection acquise reste donc fragile. Actuellement, les parlementaires britanniques réfléchissent, d'ailleurs, à exiger au moins 3 mois de présence au sein de l’entreprise pour bénéficier de cette protection en cas d’alerte lancée.
« L’autorité de la concurrence britannique peut offrir jusqu’à 100 00 livres en échange d’informations au sujet de cartels. L’information n’a pas besoin d’être totalement fondée, elle doit juste permettre d’ouvrir une enquête », développe Ioannis Kokkoris, professeur de droit et d’économie à la Queen Mary University of London. Néanmoins, la compensation dépend de nombreux facteurs dont la qualité de l’information et le degré de nécessité de protéger le lanceur d’alerte. |
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L'autre point de discordance important entre les deux pays européens est celui des conséquences des programmes de mise en conformité. Ces derniers sont devenus des automatismes pour les sociétés britanniques, du fait de la législation anti-corruption du Bribery Act (voir notre interview). En France, il va falloir attendre l'adoption définitive du projet de loi Sapin II pour voir si l’obligation légale de compliance, pour les entreprises d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires consolidé ou non est supérieur à 100 millions d’euros, est retenue.
Les alertes devraient alors être gérées avant tout en interne, la rémunération des lanceurs d'alerte étant exclue du débat public (ndlr : le projet de loi ne propose qu'une aide financière, destinée notamment à l'assistance juridique). « Lorsque l’information est rapportée en interne, elle va être normalement traitée par l’entreprise qui va faire une enquête. La question qui va ensuite se poser est : que fait-on de l’information rassemblée ? Peut-on aujourd’hui lutter contre le self-reporting des entreprises aux autorités judiciaires et administratives dans un monde globalisé ? », interpelle Thomas Baudesson. Pour Jean-Yves Trochon, ancien group general counsel et compliance officer de Lafarge et vice-président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), « l’entreprise doit absolument lutter contre l’auto-incrimination. C’est son choix, son risque ». « Tout doit être fait pour protéger l’entreprise sur le long terme. Il ne faut pas que le juriste soit instrumentalisé et soit conduit à distordre la réalité », insiste-t-il .
Rappelons que selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seuls huit pays dans le monde incitent réellement les entreprises au signalement d'actes répréhensibles et à la protection des lanceurs d'alerte (voir notre article). « L'instrumentalisation » des juristes n'est pas donc encore pour tout de suite.
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