Le débat sur la profession comptable britannique va-t-il traverser la Manche ?

Le débat sur la profession comptable britannique va-t-il traverser la Manche ?

04.04.2019

Gestion d'entreprise

Au Royaume-Uni, les voix sont de plus en plus nombreuses à demander de séparer économiquement les activités de Deloitte, EY, KPMG et PwC voire d'imposer des cabinets d'audit pur. Des idées qui vont plus loin que ce que l’Union européenne impose.

Carillion, BHS, Pendragon… Depuis la crise financière de 2007-2008, ces scandales sonnent la profession comptable outre-Manche (voir l’encadré ci-desous). Au point qu’ils alimentent parfois le retour d'une idée ancienne, celle de démanteler au Royaume-Uni Deloitte, EY, KPMG et PwC. Avant-hier, c’est une commission parlementaire qui a fait entendre sa musique dans l'objectif d'améliorer le contrôle légal des comptes des entités cotées au FTSE 350. Elle recommande une séparation dite structurelle des Big four, c'est à dire la création de cabinets d'audit pur, ou, au moins, une scission dite opérationnelle entre les activités d’audit et les autres, c'est à dire grosso modo une séparation des profits par activité.

Conflits d’intérêt

"Il y a toujours des craintes que les auditeurs soient en conflit avec la culture commerciale dans laquelle ils exercent, argumente cette commission de la chambre des communes (commission Business, energy and industrial strategy). La culture des services de conseil ne se marie pas facilement avec la culture du challenge requis par l’audit", ajoute-t-elle. Fin 2018, l’autorité britannique de la concurrence, le CMA (competition & markets authority), avait proposé une séparation opérationnelle des grands cabinets comptables — une idée ouverte à commentaires jusque fin janvier 2019. Précisément, elle recommandait de scinder les activités d'audit et de non audit dans des entités opérationnelles clairement définies, avec un management, des comptes et une rémunération séparés plutôt que de démanteler les cabinets internationaux. "De cette façon, les auditeurs seraient uniquement récompensés pour la fourniture d'audits de qualité mais seraient toujours capables de bénéficier de l'expertise de leurs entreprises soeurs", imaginait le CMA.

Les Big four plutôt défavorables à une séparation de leurs activités

Qu’en pensent les grands cabinets comptables ? D’après la commission parlementaire de la chambre des communes, ils reconnaissent les bénéfices de la séparation… à des degrés divers. Quand on lit le compte-rendu de leurs auditions, on s’aperçoit que Deloitte, EY et PwC sont clairement opposés à l’idée d’une séparation opérationnelle. La position de KPMG est quant à elle plus ambiguë. "Je soutiens une séparation opérationnelle de la fonction d’audit mais pas avec une barrière complète, dure", répond Bill Michael, le patron du cabinet au Royaume-Uni.

Quel impact pour le reste du monde ?

Indirectement, cette affaire concerne la profession comptable du monde entier. Parce que la place financière de Londres est l’une des plus importantes. Et parce que la profession comptable outre-Manche a joué, et joue encore, un rôle très important dans le mouvement de mondialisation comptable. Si cette séparation — opérationnelle ou structurelle — des cabinets intervenait, cela impacterait forcément le reste du monde. En particulier l’Union européenne qui n’impose aucune de ces scissions — les séparations européennes entre l’audit et les autres services portent, pour les auditeurs d'entités d’intérêt public, sur des notions telles que des principes à respecter (l’indépendance notamment) et des règles telles que celle de l’interdiction de pratiquer certains services. C'est donc une sorte de Brexit de la profession comptable qui est en débat.

Au Royaume-Uni, plusieurs scandales comptables ont éclaté depuis la crise financière de 2007-2008

Liquidé en janvier 2018, Carillion était un géant britannique du BTP. Il a disparu très rapidement en laissant derrière lui une dette de 7 milliards de livres sterlings contre seulement 29 millions de cash. Pourtant, il présentait quelques mois plus tôt une santé financière florissante… en apparence. En juin 2017, il distribuait 55 millions de livres sterlings de dividendes. Deux mois plus tard, cette entreprise aux 43 000 employés dans le monde avait lancé deux alertes sur les résultats pour un montant total d’environ 1 milliard de livres sterlings relatif à des provisions. Ce qui correspond aux bénéfices cumulés sur les 7 années précédentes ! "En échouant à exercer — et à exprimer — un scepticisme professionnel à l’égard des jugements comptables agressifs de Carillion, KPMG s’en est rendu complice", résume un rapport parlementaire qui ne comprend pas que le cabinet n’ait jamais émis de réserve. Un diagnostic contesté par KPMG qui considère notamment que cela ne reflète pas le travail difficile et l'engagement de l'équipe d'audit. Dans ce dossier, une autre enquête a été engagée, celle du financial reporting council (FRC), le superviseur de l’audit outre-Manche. Ses résultats n’ont pas encore été publiés.

Depuis la crise financière de 2007/2008, d’autres scandales comptables ont émergé outre-Manche. Les plus grands cabinets d’audit au monde portent parfois une part de responsabilité. Le FRC a ainsi condamné notamment PwC pour son contrôle des comptes de BHS, une chaîne de 163 magasins qui employait 11 000 personnes avant sa disparition en 2016. En 2015, c'est KPMG qui a été sanctionné pour ne pas avoir respecté les règles d'éthique qui s'imposaient à lui dans l'audit des comptes de Pendragon, un réseau de concessions automobiles qui a réalisé un chiffre d'affaires de 3,5 milliards de livres sterlings en 2011. Et la liste des dysfonctionnements comptables majeurs peut être étendue à d'autres pays, alimentant régulièrement les critiques sur le travail des auditeurs : Olympus (KPMG et EY ; Japon), Petrobras (PwC ; Brésil), Satyam (PwC ; Inde), la famille Gupta (KPMG ; Afrique du sud)...  ou encore Lehman Brothers (EY ; Etats-Unis).

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Ludovic Arbelet
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