Le dessaisissement du débiteur emporte-t-il changement dans la capacité ?

01.06.2016

Gestion d'entreprise

L'ouverture de la liquidation judiciaire ne peut interrompre le délai ouvert au débiteur pour interjeter appel d'une décision qui lui a été régulièrement signifiée avant le jugement d'ouverture.

Lorsqu’un jugement a été signifié à un débiteur qui sera mis ultérieurement en liquidation judiciaire, le liquidateur est-il fondé à demander à ce qu’il lui soit resignifié, afin que le délai d’appel ne coure contre lui qu’à compter de cette nouvelle signification ? La réponse de principe de l’arrêt commenté est négative (Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-25.997, n° 466 P + B). Mais toute discussion n’est pas complètement fermée. En l’espèce, une décision de justice est prononcée le 5 septembre 2013 et signifiée le lendemain à la partie condamnée. Par dérogation à la règle habituelle suivant laquelle l’appel est enfermé dans le délai d’un mois en matière civile ou commerciale, cette décision était susceptible d’appel dans le délai réduit de 10 jours. Le 6 septembre 2013, jour de la signification, ne comptant pas selon l’article 641, alinéa 1er du code de procédure civile, le délai d’appel expirait donc le 16 suivant, à 24 heures. Ce jour étant un lundi, aucune prorogation n’était possible. Mais le 16 septembre, la partie condamnée était mise en liquidation judiciaire. Or, le liquidateur n’a interjeté appel que le 3 décembre 2013. La cour d’appel a déclaré irrecevable ce recours comme tardif, avec l’approbation de la Cour de cassation.
 
La signification au débiteur in bonis est régulière
 
Le débiteur étant maître de ses biens au moment où il a reçu la signification du jugement le concernant, le créancier était fondé à le lui signifier personnellement et, aucun élément ne remettant en cause la régularité même de cette signification en la forme, elle a normalement fait courir le délai d’appel. Si ce délai avait expiré avant la mise en liquidation judiciaire du débiteur, aucune règle n’aurait permis de revenir sur cette conséquence. Mais la liquidation ayant été ouverte pendant le cours du délai, fût-ce à son extrémité, s’est posée la question de l’application de l’article 531 du code de procédure civile. Aux termes de ce texte, s’il se produit, au cours du délai, comme en l’espèce, un changement dans la capacité d’une partie à laquelle le jugement avait été notifié, le délai est interrompu et ne court qu’en vertu d’une notification faite à la personne qui a désormais qualité pour la recevoir. L’ouverture de la liquidation judiciaire de la partie qui a reçu la signification peut-elle correspondre à l’hypothèse envisagée par ce texte ? Il faudrait pour cela que la liquidation judiciaire emporte un changement dans la capacité du débiteur.
 
La liquidation judiciaire n’opère pas un changement de capacité du débiteur
 
Il convient d’abord de préciser que n’est pas en cause ici l’interruption, par l’effet de la liquidation judiciaire, d’une instance à laquelle le débiteur serait partie, interruption qui obéit à des règles spéciales. Il s’agit ici de l’interruption d’un délai de procédure qui courait contre le débiteur. Or, si le droit des entreprises en difficulté (C. com., art. L. 622-21, III) envisage, par exemple, l’interruption des délais impartis à peine de déchéance, il ne le fait qu’au profit des créanciers ou des cocontractants… du débiteur, mais pas de celui-ci, ce que la Cour de cassation prend soin de préciser par un motif distinct qui énonce qu’il ne résulte d’aucun texte que l’ouverture de la liquidation judiciaire interrompe le délai ouvert au débiteur pour interjeter appel d’une décision qui lui a été régulièrement signifiée avant le jugement d’ouverture. Il est donc nécessaire de se référer aux solutions du droit commun procédural, c’est-à-dire à l’article 531 précité du code de procédure civile.
 
C’est une interprétation stricte de ce texte qu’a retenue l’arrêt commenté. Seul un véritable changement de capacité au cours du délai d’appel justifie l’interruption de celui-ci et l’obligation de renouveler la signification du jugement au représentant légal de l’incapable. Même s’il est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens, le débiteur ne devient pas un incapable au sens juridique du terme. Non seulement ses droits personnels extrapatrimoniaux sont intacts, mais, même en ce qui concerne ses droits patrimoniaux, il conserve l’exercice de droits propres, comme le souligne l’arrêt rapporté, qui en déduit qu’il n’existe pas de changement de capacité au sens précis de l’article 531 du code de procédure civile. De plus, on pourrait observer que ce texte suit immédiatement l’article 530 qui évoque la situation des seules personnes en tutelle ou curatelle, à l’égard desquelles les délais ne courent pas d’une simple signification personnelle à la personne protégée. On peut penser que le changement de capacité qu’évoque le texte suivant vise aussi l’ouverture de la tutelle ou de la curatelle, pas la liquidation judiciaire.
 
L’atteinte possible au droit d’accès au juge
 
Il se peut qu’en fonction de la brièveté du délai et du fait que la liquidation judiciaire n’intervienne qu’en fin de celui-ci, il soit matériellement impossible au liquidateur de former un appel en temps utile. Mais l’on observera que la Cour de cassation n’était pas saisie de la question sous cet aspect et, par conséquent, ne s’en est pas expliquée.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Jean-Pierre Rémery, Docteur en droit, Conseiller-doyen à la Cour de cassation
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