Le droit du licenciement, un frein à l’efficacité économique ?

Le droit du licenciement, un frein à l’efficacité économique ?

14.03.2016

Gestion du personnel

Le droit du licenciement actuel est-il un obstacle à la bonne conciliation entre la protection du salarié et l’efficacité économique ? C’est à cette question, qui a pris plus d’ampleur ces dernières semaines avec l’avant-projet de loi Travail, qu’ont tenté de répondre des juristes et des économistes, réunis vendredi matin, en confrontant le résultat de leurs observations.

C'est une conférence qui est tombée à point nommé pour éclairer les débats en cours sur le projet de loi Travail ! Les organisateurs du séminaire qui s'est tenu vendredi matin à Paris l'assurent : elle avait été programmée depuis juillet dernier. Les intervenants, juristes et économistes, ont ainsi débattu du point de savoir "si les conditions du licenciement sont un obstacle à une bonne conciliation de la nécessaire protection du salarié avec les besoins de l’efficacité économique" (*), rejoignant ainsi les discussions qui entourent le texte de la ministre du travail, Myriam El Khomri, sur l’éventualité d’un lien entre règles applicables au licenciement et embauches.

Le licenciement économique en mouvement

Rappeler le droit existant est un préalable pour comprendre les enjeux de la réforme, et c'est ce que s'est efforcé de faire Grégoire Loiseau, directeur de l’Ecole de droit de la Sorbonne et consultant pour Flichy Grangé Avocats. Il rappelle que si le droit du licenciement personnel est resté stable depuis 1973, tel n'est pas le cas du licenciement pour motif économique "qui a subi de nombreuses évolutions" (notamment avec la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 et la loi Macron du 6 août 2015). Selon lui, cette "instabilité chronique" témoigne bien de son "inadaptation pour concilier protection des salariés et efficacité économique".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Coût du licenciement et coût du contentieux

Il est aussi indispensable de ne pas confondre coût du licenciement et coût du contentieux dans les débats actuels. Ainsi, ces dernières années, un certain nombre de mesures ont été prises afin de sécuriser la procédure, réduisant ainsi les coûts du licenciement. C'est ce à quoi s'est attelée la loi du 14 juin 2013 "en quantifiant les délais sans possibilité de suspension", rappelle Grégoire Loiseau. "Les efforts ont porté sur la rationalisation de la procédure économique qui ont abaissé les coûts". La loi Macron a pour sa part revu les questions d'ordre des licenciements et de reclassement à l'étranger.

Variations autour de l’objectivation de la cause du licenciement

Ce qui est en jeu dans le projet de loi de Myriam El Khomri est davantage la question de la réduction du coût du contentieux, notamment avec l'instauration d'un barème d'indemnités. Pour Grégoire Loiseau, la question mérite d’être posée, car il peut exister "une variation de un à trois selon le juge". "Reste à savoir si les salariés seront moins bien protégés par cette standardisation".

Une autre proposition est de mieux encadrer la définition du licenciement pour motif économique. Tendre à objectiver la cause du licenciement n’est pas nouveau. Grégoire Loiseau souligne "les efforts de la jurisprudence sur l'objectivation de la cause du licenciement pour le soustraire à la subjectivité de l'employeur", surtout s'agissant du licenciement pour motif personnel. Mais avec la réforme en cours, il s’agit cette fois de sécuriser les entreprises. Une tendance que ne désapprouve pas le professeur de droit, car l'encadrement du motif économique tel que proposé par le texte "renforcerait l'efficacité économique, permettant de réagir aux creux et aux pics de commande. Plus on attend, plus les destructions d'emploi seront nombreuses", prévient-il. S'agissant de la question du périmètre du secteur d'activité permettant d'apprécier la réalité des licenciements ��conomiques, si Grégoire Loiseau constate que la disposition est "socialement mal perçue", elle est pourtant "économiquement de bon sens car elle permettrait de procéder à des réorganisations", assure-t-il.

L’essor des techniques d’évitement des licenciements

Aujourd'hui, les entreprises ont plutôt tendance à utiliser "des techniques d'évitement des licenciements", constate Grégoire Loiseau. Ces dernières "séduisent pour leurs vertus qui relèguent le licenciement à un mode de rupture par défaut". Il en veut pour preuve les plans de départs mixtes qui impliquent des licenciements seulement si les départs volontaires sont insuffisants. "C'est emblématique des politiques d'entreprise qui tablent sur une gestion plus souple des ruptures". Le nombre important de ruptures conventionnelles en est une autre illustration, avec une certaine prévisibilité du coût économique de la rupture.

L’emploi comme variable d’ajustement

L'avis de l'ancien DRH, Yves Barou, et actuel président du Cercle des DRH européens et de l'AFPA, tranche avec le discours ambiant. Il déplore que "la France ait développé une culture de la réduction d'effectifs" et rappelle que les allemands ont fait un autre choix. "L’Allemagne a su préserver ses collectifs de compétences en baissant la durée du travail et en recourant au chômage partiel. En France, la seule variable d’ajustement est l’emploi ; les salaires sont rigidifiés en l’absence d’inflation et le débat sur la durée du travail est compliqué". Mais il balaie d’un revers de main, la supposée lourdeur du code du travail. "Une entreprise décide d’embaucher ou de licencier non pas par rapport au code du travail, assure-t-il, mais seulement s’il elle du travail à proposer et si elle trouve les compétences nécessaires, et avec une bonne sécurité juridique".

Pour lui, le débat est ailleurs, dans la philosophie même de la réforme sur le droit du travail qui doit se fonder sur les préconisations du rapport Combrexelle qui suggère de donner la primauté au dialogue social dans les branches et davantage encore dans les entreprises. Car selon lui, "la clef ne réside pas dans les règles juridiques mais bien dans le dialogue social".

Il n’y a plus de grain à moudre

Pour conclure, Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit privé à l'Ecole de droit de Paris I-Sorbonne et à Sciences-Po et co-directeur du séminaire organisé vendredi, a rappelé que le contexte économique avait profondément changé.  "Les 30 glorieuses, c’est fini. Nous n’avons plus de grain à moudre si ce n’est l’emploi. Nous sommes passés d’un droit du travail protecteur à un droit de l’emploi, de l’avantage à la contrepartie".

Ce constat peut-il suffire à légitimer les mesures contenues dans le projet de loi Travail, objets de vives critiques ? Sont-elles réellement à même de changer la donne et de relancer l’emploi ? De mieux concilier efficacité économique et protection des salariés ? Grégoire Loiseau résume assez bien le pari que fait le gouvernement sur l'assouplissement du marché du travail : "Le diagnostic est difficile, le pronostic l'est plus encore !"

(*) Cette conférence s'est tenue dans le cadre du Séminaire "Politiques de l'emploi" organisé par la Direction générale du Trésor et la Direction générale du Travail, sous la co-présidence de Gilbert Cette et Jean-Emmanuel Ray.

Florence Mehrez
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