Le groupe La Poste est enjoint à plusieurs égards de consolider sa démarche relative au devoir de vigilance

Le groupe La Poste est enjoint à plusieurs égards de consolider sa démarche relative au devoir de vigilance

18.12.2023

Gestion d'entreprise

Dans cette chronique, Olivier Dorgans, avocat associé chez Ashurst, nous dresse le panorama des points clefs identifiés dans la première décision, rendue au fond, en matière de devoir de vigilance.

L’affaire concerne le contentieux engagé par le syndicat Sud PTT contre le groupe La Poste, relatif aux critiques émises sur les plans de vigilance 2019 et 2020 de La Poste au regard des exigences du devoir de vigilance (telles qu’énoncées par l’article L. 225-102-4 du code de commerce).

Parties prenantes et contexte de l’affaire La Poste

La Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications – Syndicat Sud PTT était demandeur à l’action. Il est intéressant de noter que jusqu’à la présente affaire, les précédentes actions contentieuses et précontentieuses étaient principalement portées par des groupements d’associations et collectivités. Le Syndicat a, notamment, intenté une action en injonction à l’encontre du groupe La Poste (S.A. La Posta)(L. 225-102-4 du Code de commerce). L’assignation datait du 22 décembre 2021 et concernait le plan de vigilance 2020 de la demanderesse. Notons ici l'envoi non pas d'une mais de trois mises en demeure préalables par le demandeur, relevant de façon systématique les amendements apportés aux différents plans de vigilance du groupe (2019, 2020) comme insuffisants.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Remise en cause de la cartographie des risques

Le tribunal accueille la demande en injonction visant à compléter le plan du groupe La Poste par une cartographie conforme aux exigences de l'article L. 225-102-4 du code de commerce et critique in concreto de la cartographie du groupe. Le jugement caractérise tout d'abord la cartographie comme étant un pilier du plan de vigilance en énonçant que la « cartographie des risques des activités est la première étape de l'élaboration du plan de vigilance qui revêt un caractère fondamental dans la mesure où ses résultats conditionnent les étapes ultérieures et donc l'effectivité de l'ensemble du plan ». Et que : « [s]i rien n’interdit à la société mère et donneuse d’ordre de disposer confidentiellement d’une cartographie détaillée enrichie de données chiffrées répertoriées par unités opérationnelles, la version publiée doit permettre au public et aux parties prenantes de connaître l’identification précise des risques que l’activité fait courir aux droits humains, à la santé et à la sécurité ainsi qu’à l’environnement ».

En l'espèce, le jugement présente une critique détaillée de la cartographie des risques du groupe. Tout d’abord concernant les données qui y sont présentées : « la cartographie élabore une description des risques à un très haut niveau de généralité ». De plus, « la cartographie ne permet pas de déterminer quels facteurs de risque précis liés à l’activité et à son organisation engendrent une atteinte aux valeurs protégées ».

La méthodologie est également mise à mal. Une hiérarchisation des risques a été déterminée par la défenderesse en fonction de la gravité des risques tels qu'ils subsistaient après l'application des mesures d'ores et déjà appliquées par la défenderesse (hors plan de vigilance). Pour le tribunal « ce procédé a pour effet de relativiser sensiblement les implications concrètes de l’activité et par voie de conséquence de niveler l’ensemble des risques « nets » à un niveau de faible intensité ».

En conclusion de cette partie, le jugement indique que « la cartographie ne permet pas de connaître, même de manière synthétique, quels sont les facteurs liés à l’activité ou l’organisation pouvant concrètement faire naître les risques ». Et que la « hiérarchisation à un niveau très général, en intégrant d’ores et déjà les effets des mesures en vigueur, ne permet pas plus d’identifier les actions devant être instaurées ou renforcées prioritairement ».

Elément important, l'absence de contestation de la pertinence de la cartographie des risques, lors de l'élaboration du plan de vigilance, par une partie prenante - en l’occurrence un syndicat - ne saurait la priver de son droit de mettre en demeure la société assujettie.

Le juge accueille également favorablement la demande de Sud PTT d’enjoindre au groupe d'établir des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques. Les mêmes lacunes sont mises en perspectives : la « cartographie ne précisant ni les facteurs précis de risque ni leur hiérarchisation, le plan ne permet pas réellement de mesurer si la stratégie d’évaluation est conforme à la gravité des atteintes ».

Pas d’obligation de lister les sous-traitants et fournisseurs au sein du plan

Le jugement précise que « l'identification des fournisseurs et sous-traitants » avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie « n'est pas indispensable dès lors :

  • « qu'il n'est pas démontré dans quelle mesure une telle identification serait nécessaire pour la mise en œuvre et l'évaluation du plan de vigilance,
  • et, que le plan p[eut] inclure des mesures adéquates selon des critères précis relatifs à ces tiers (secteur d'activité, localisation géographique, structure et dimension ou moyens) ».
Attention à concerter les organisations syndicales sur un mécanisme d’alerte « spécifique »

L’issue est également positive pour ce qui est de la demande tendant à l'injonction de compléter le plan par un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements (adopté conformément aux exigences de l'article L. 225-102-4 du code de commerce), après concertation avec les organisations syndicales représentatives. Le jugement relève que l'extension du système d'alerte préexistant (déployé en application de la loi Sapin II) au champ du devoir de vigilance et les consultations menées lors de son déploiement initial, ne permettent pas d'apprécier « la réalité de la concertation sur le dispositif spécifique au devoir de vigilance ». Le groupe a pourtant tenté d'établir la preuve d'une concertation des organisations syndicales représentatives lors d'une réunion dédiée au devoir de vigilance. Toutefois, le jugement énonce, qu'en l'absence de compte rendu de cette réunion, il n'est pas établi que les organisations syndicales « aient pu exprimer leur point de vue et échanger sur le dispositif présenté » par la direction du groupe.

Pas d’injonction concernant l’adoption d’actions précises d’atténuation des risques ou de préventions des atteintes graves

Le jugement écarte les prétentions de Sud PTT visant à enjoindre au groupe d'adopter des mesures très précises et concrètes dans certains domaines (c’est-à-dire en matière de sous-traitance, de risques psycho-sociaux ou de harcèlement). Il énonce que la loi devoir de vigilance ne prévoit pas de donner au juge le « pouvoir d'enjoindre à l'entreprise de prendre des mesures adéquates spécifiques, mais vise simplement « à faire respecter » à la société [assujettie] « les obligations prévues au I [de l'article L. 255-102-4 du code de commerce] », dont celle d’intégrer au plan « des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves » ».

Le jugement précise en ce sens que « la loi instaure ainsi un contrôle judiciaire sur l’intégration au plan de mesures concrètes, adéquates et efficaces en cohérence avec la cartographie des risques ». Elle donne le pouvoir au juge d'enjoindre la société d'élaborer, dans le cadre du processus d'autorégulation ces mesures et actions complémentaires. Mais la loi ne saurait « conduire le juge à se substituer à la société et aux parties prenantes pour exiger d’elles l’instauration de mesures précises et détaillées ».

Précision sur la mise en place d’un dispositif de suivi du plan

Bien que rejetant la demande tendant à enjoindre le groupe à la mise en œuvre effective de certaines mesures de vigilance, le jugement accueille favorablement la demande tendant à l'injonction du groupe de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance. La présentation d’un simple « compte rendu » en la matière ne permet pas de mesurer utilement l'efficacité des mesures prises ni de servir de bilan utile pour orienter l'action en matière de vigilance.

Le jugement refuse toutefois d'assortir l'injonction d'une astreinte dès lors qu'une démarche dynamique d'amélioration du groupe est observée. Il énonce pour cela que « la Poste modifie et enrichit annuellement son plan de vigilance qu’elle a commencé à élaborer dès l’entrée en vigueur de la loi ». Et  que la « comparaison des plans établis pour l’année 2020 et pour l’année 2021 démontre une évolution notable, dans le cadre d’une démarche dynamique d’amélioration ».

TJ de paris, 5 dec. 2023, n° 21/15827, Sud PTT c/ S.A. La Poste

Olivier Dorgans Co-auteur : Pauline Montaldier et Camille Mayet (avocate et senior associate Ashurst)
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