Le legal privilege des juristes en entreprise adopté par les députés

11.07.2023

Gestion d'entreprise

Lundi soir, l’Assemblée nationale a validé l’amendement Marseille sur le legal privilege des juristes en entreprise. A l’initiative du gouvernement, le dispositif adopté a toutefois été revu par un amendement transpartisan.

L’Assemblée a adopté lundi soir le legal privilege des juristes en entreprise. Comme au Sénat, le principal argument en faveur de cette disposition a été la compétitivité de nos entreprises et du droit français. Ainsi, pour le rapporteur Jean Terlier, « parce qu’elles n’ont pas de legal privilege, à l’international nos entreprises sont considérées comme des pestiférés : un juriste d’entreprise qui met en garde son entreprise sur un contrat, peut être sanctionné de ce chef-là. »

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Opposés à la disposition, les députés Insoumis ont d’abord souligné les risques de concurrence pour les avocats. En réponse, Jean Terlier a insisté : « Ce n’est pas une prise de guerre des juristes d’entreprise sur le secret des avocats ». L’autre argument des opposants a été la création de « boîtes noires » au sein des entreprises, avec une nouvelle extension du secret des affaires. L’autorité des marchés financiers avait d’ailleurs suggéré un amendement pour exclure les autorités indépendantes du champ du legal privilege, mais il n’a pas été défendu.

Le ministre Eric Dupond-Moretti a, lui aussi, défendu ce « legal privilege à la française ». L’amendement qu’il a proposé, et qui a été déposé à l’identique par les groupes LR, Renaissance et les rapporteurs est un « travail de coconstruction avec les parlementaires ». Son « écriture reflète un équilibre entre les différents intérêts en présence, ceux des juristes, ceux des avocats, et par l’intermédiaire du ministère de l’économie et des entreprises, ceux des autorités administratives en charge des contrôles. Cette rédaction permet, par une approche par le document, la consultation juridique, d’éviter l’écueil de la création d’une nouvelle profession du droit et de répondre ainsi clairement à la seule véritable inquiétude des avocats. Elle répond aussi à la crainte des autorités administratives de voir se créer des boîtes noires au sein des entreprises : seules les consultations précisément identifiées seront protégées. »

Des précisions importantes à l’amendement Marseille

Le dispositif adopté au Sénat est amendé sur plusieurs points. D’abord, les titulaires sont élargis, puisque seront considérées comme confidentielles « les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité ». Le juriste d’entreprise, ou le membre de son équipe, devront justifier du suivi de formations initiales et continues en déontologie et être titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent. Le député Modem Philippe Latombe a souligné le caractère contraignant de cette condition, certains juristes d’entreprise n’ayant qu’une maîtrise.

Pour être protégées, les consultations devront être à destination des organes de direction, d’administration ou de surveillance, porter la mention « confidentiel – consultation juridique juriste d’entreprise » et faire l’objet d’une traçabilité particulière. Les documents seront protégés dans les procédures ou litiges « en matière civile, commerciale ou administrative », la confidentialité n’étant « pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale ».

Le juge des libertés et de la détention (JLD) pourra être saisi dans les quinze jours pour contester la confidentialité de ces documents, notamment si ces « documents auraient eu pour finalité d’inciter ou de faciliter la commission des manquements » visée par la procédure administrative concernée. L’ordonnance du JLD sera susceptible d’appel, avec une décision alors rendue dans les trois mois. Dans cette procédure, l’entreprise doit être représentée par un avocat, gage supplémentaire donné à cette profession.

Le fait d’apposer frauduleusement la mention : « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » sur un document sera passible des peines prévues pour « faux et usage de faux » (trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende). Enfin, les modalités d’application seront précisées par décret en Conseil d’État, et « notamment les conditions dans lesquelles l’entreprise assure l’intégrité des documents jusqu’à la décision de l’autorité judiciaire ».

Une CMP en octobre ?

L’amendement a été largement adopté, les groupes Renaissance, Modem, Horizons et LR votant pour, la NUPES contre et le RN, en retrait dans les débats, s’abstenant. L’AFJE, l’ANJB et le Cercle Montesquieu ont souligné l’importance de ce vote : « l’attractivité de la place de droit française sera substantiellement renforcée ». Si la matière pénale reste exclue, c’est une avancée importante.

L’amendement devrait passer l’étape de la commission mixte paritaire, les deux assemblées s’étant accordées sur le principe. Cette CMP ne devrait pas avoir lieu avant octobre, les élections sénatoriales gelant en partie le calendrier parlementaire. Toutefois, une ombre demeure : comme l’a souligné la députée socialiste Cécile Untermaier, le lien de l’amendement avec l’article 19 est tenu. Il se pourrait donc que le conseil constitutionnel le censure comme cavalier législatif.

Leslie Brassac
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