Le masque « Easybreath » de Decathlon parasité ou le difficile équilibre entre la libre concurrence et le parasitisme
24.07.2024
Gestion d'entreprise

Si les idées sont de libre parcours et la simple reprise d’un concept en le déclinant par un concurrent ne constitue pas une faute en soi, la volonté d’un tiers de copier le produit d’un concurrent représentant une valeur économique identifiée et individualisée afin de se placer dans le sillage du copié caractérise un acte de parasitisme. Dans cette chronique, Karine Disdier-Mikus, avocate associée et Marguerite Senard, avocate de Fiducial Legal by Lamy commentent la décision de la Cour de cassation du 26 juin 2024.
La Cour de cassation a rappelé les conditions permettant de caractériser le parasitisme dans un arrêt du 26 juin 2024 opposant les sociétés Decathlon aux sociétés Intersport et Phoenix Group (Cass. Com. 26 juin 2024, n°22-17.647).
Bien que n’opérant pas de revirement jurisprudentiel en matière de parasitisme, cet arrêt est l’occasion pour la Cour de préciser les critères d’appréciation du parasitisme en les appliquant rigoureusement au cas d’espèce.
En effet, la Cour estime qu’en distribuant des masques fortement inspirés de l’apparence du masque à tuba intégré « Easybreath » de Decathlon, lequel bénéficiait d’une valeur économique identifiée et individualisée, pendant la période au cours de laquelle ce même produit faisait l’objet d’investissements importants et bénéficiait d’un grand succès commercial, les sociétés Intersport et Phoenix se sont placées dans le sillage de Decathlon et ont commis des actes de parasitisme.
Avant même de statuer sur le parasitisme, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir rejeté la demande en nullité du modèle enregistré sur le masque invoqué. Decathlon avait en effet bien la qualité d’ayant droit du créateur et la divulgation du modèle dans le délai de grâce de douze mois précédant la date du dépôt de modèle n’était pas destructrice de la nouveauté de ce modèle.
Néanmoins, la Cour de cassation n’était pas saisie des questions portant sur le grief de contrefaçon des droits détenus par Décathlon sur le modèle invoqué ni sur celui de concurrence déloyale également développés en première instance et devant la Cour d’appel. Ainsi, la Cour ne revient pas sur le rejet par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 28 janvier 2022 du grief de contrefaçon ni sur celui de concurrence déloyale. La Cour d’appel de Paris avait en effet considéré sur le terrain de la contrefaçon que la plupart des ressemblances entre les masques étaient dictées par des considérations techniques et que les différences existantes suffisaient à générer une impression visuelle globale différente, et sur le terrain de la concurrence déloyale, qu’indifféremment de l’existence ou non d’un droit privatif, la concurrence déloyale ne trouvait pas à s’appliquer à défaut d’avoir pu démontrer un risque de confusion, critère pourtant essentiel à toute action en concurrence déloyale.
Pour autant, même si les griefs de contrefaçon de modèle et de concurrence déloyale ont été écartés, l’arrêt de la Cour de cassation rappelle que des agissements échappant à ces deux griefs peuvent toutefois être condamnés au titre du parasitisme.
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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
La Cour de cassation rappelle la définition du parasitisme consacrée par une jurisprudence constante, lequel consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété acquise ou des investissements consentis. Deux critères essentiels sont retenus : d’une part, la victime de ces actes doit démontrer la valeur économique identifiée et individualisée des éléments copiés qu’elle invoque et d’autre part, la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage.
C’est sur la question de valeur économique identifiée et individualisée que l’arrêt apporte tout son éclairage. Pour la retenir, la Cour de cassation retient successivement la grande notoriété du masque « Easybreath », la réalité du travail de conception et de développement ayant durée 3 ans pour un montant de 350 000 euros, le caractère innovant de la démarche, les investissements publicitaires de plus de 3 millions d’euros et le chiffres d’affaires de plus de 73 millions. Tous ces éléments de développement ont contribué à identifier et individualiser une valeur au produit dont toute reproduction ou imitation est de nature à constituer un acte de parasitisme, à supposer que la deuxième condition d’une telle condamnation soit remplie, à savoir celle pour le tiers de se placer dans le sillage sans bourse délier, c’est-à-dire sans consentir d'efforts financiers, intellectuels, ou promotionnels propres.
A cet égard, dans le cas d’espèce, la circonstance que les sociétés Intersport et Phoenix ne justifiaient d’aucun travail de mise au point et d’investissements relatif au produit et qu’ils aient commercialisés les produits litigieux dans la période au cours de laquelle Decathlon investissait grandement sur le masque et sa communication ont été pris en compte. En effet, c’est dans ce contexte qu’ils ont pu largement bénéficier de cette communication sans eux-mêmes avoir consenti d’efforts financiers, intellectuels ou promotionnels, caractérisant ainsi la faute de parasitisme. On peut s’interroger sur le fait de savoir si une commercialisation hors de cette période aurait tout autant permis de caractériser l’acte de parasitisme reproché à Intersport et à Phoenix Group.
Par conséquent, pour que des actes de parasitisme soient constitués, il ne suffit pas qu’un produit soit copié, il faut que celui-ci ait une réelle valeur économique sur le marché et que sa création, son développement et sa promotion aient nécessité des investissements financiers, humains et promotionnels importants.
A noter néanmoins que le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser cette valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la longévité, du succès et de la commercialisation du produit, ces seuls éléments étant insuffisants.
C’est ainsi d’ailleurs que la Cour de cassation dans un arrêt rendu le même jour (Cass Com. 16 juin 2024, n°23-13.535) n’a pas retenu la valeur économique identifiée et individualisée de tasses et bols reproduisant des clichés libres de droit disponibles sur internet, commercialisée sur une période limitée et étant une combinaison banale qui n’a jamais été mise en avant comme étant emblématique d’une collection dont le genre était en vogue. La Cour applique donc stricto sensu les mêmes principes que ceux qu’elle applique dans l’arrêt Decathlon.
L’arrêt Décathlon confirme qu’à défaut de contrefaçon, l’imitation d’un produit peut constituer un acte parasitaire fautif au titre de la responsabilité civile de l’article 1240 du Code civil.
Ainsi, quand bien même une entreprise ne bénéficierait pas de droits de propriété intellectuelle sur son produit, que des actes de contrefaçon ne pourraient être retenus en application des dispositions du Code de la propriété intellectuelle, ou que les conditions d’une concurrence déloyale feraient défaut, l’entreprise peut encore exciper du grief de parasitisme visant à protéger son savoir-faire et ses investissements. Toutefois, pour l’invoquer, l’enseignement de l’arrêt est qu’il est impératif d’avoir conservé et d’être en mesure de fournir toute preuve chiffrée desdits investissements et que, pour que ce grief ait des chances de prospérer, le tiers-copieur ne parvienne pas à démontrer avoir fait des investissements réels de son côté démontrant d’un savoir-faire et d’efforts réels visant à développer un produit concurrent.
Le parasitisme vise donc à condamner la déloyauté représentant un usage abusif de la liberté du commerce, mais ne peut absolument pas servir à restreindre le jeu d’une saine concurrence, l’objectif étant de condamner uniquement les comportements illégaux d’entreprises ou d’individus qui se placent dans le sillage d'un(e) autre en profitant des efforts qu'il ou elle a réalisé, et de la réputation de son nom et de sa notoriété.
Cet arrêt nous rappelle aussi qu’il est indispensable pour toute entreprise évoluant sur un marché donné de conserver les documents comptables, financiers et juridiques permettant d’établir la réalité des investissements réalisés. A défaut, ou en cas d’insuffisance de preuve, une action en parasitisme serait vouée à l’échec. Le jeu de la libre concurrence reste en effet le principe de base.
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