Le ministère public se prononce en faveur de la conventionnalité du barème d'indemnités de licenciement injustifié

Le ministère public se prononce en faveur de la conventionnalité du barème d'indemnités de licenciement injustifié

24.05.2019

Gestion du personnel

Hier, pour la première fois, un avocat général s'est exprimé sur le barème d'indemnités sans cause réelle et sérieuse. Devant la cour d'appel de Paris, ce dernier a demandé aux juges d'écarter le moyen tiré de l'inconventionnalité du barème. Selon lui, le barème n'empêche nullement une réparation adéquate et appropriée du salarié en cas de licenciement injustifié.

L'audience qui s'est tenue hier matin au Palais de justice de Paris n'était pas tout à fait une audience comme une autre. Car derrière le licenciement d'un salarié, se joue le sort du barème d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. En mars dernier, la partie salariale a en effet demandé la réouverture des débats, acceptée par la cour d'appel, afin de pouvoir discuter, à titre subsidiaire, de l'inconventionnalité de barème prévu à l'article L.1235-3 du code du travail. La cour a également sollicité l'avis du ministère public, comme l'y invitait la circulaire de la chancellerie du 26 février 2019. Mais avant d'entendre la position de l'avocat général, la cour a écouté les plaidoiries non seulement des deux parties, mais aussi celles de syndicats ayant demandé à intervenir :  la CGT, la CFDT, FO, le SAF, l'Union syndicale anti-précarité et Solidaires.

Entre 3 et 13,5 mois de salaire pour une ancienneté de 16 ans, une réparation suffisante ?

Les argumentaires se sont ainsi enchaînés permettant à la partie salarié d'exposer tous les éléments qui s'opposeraient à la conventionnalité du barème. Bien sûr, les faits de l'espèce ont leur importance pour l'une et l'autre partie. Ce salarié de la société Natixis, âgé de 46 ans, a été licencié avec une ancienneté de 16 ans. Si la cour reconnaît le caractère injustifié de son licenciement, le salarié pourrait prétendre, en application du barème, à une indemnité oscillant entre 3 mois de salaire et 13,5 mois. Tout l'enjeu est de savoir si l'application du barème peut suffire à apporter au salarié une réparation adéquate du préjudice qu'il a subi et, de manière plus générale, si le barème en lui-même est bien conventionnel.

S'agissant du salarié, son avocate met en avant le fait que ce dernier est toujours pris en charge par Pôle emploi, qu'il a quatre enfants dont deux scolarisés en premier cycle et deux qui étudient en dehors du foyer, ce qui créent des charges supplémentaires pour la famille. Or, selon ses calculs, la perte sèche financière subie par le salarié en raison de la rupture de son contrat de travail est, au minimum, de 14 mois, donc au-dessus du plafond de l'indemnité prévue par le barème pour 16 ans d'ancienneté.

Du côté de l'employeur, la vision est tout autre. "46 ans, ça reste jeune professionnellement. Il a deux enfants qui sont déjà majeurs. Il est diplômé de l'école centrale de Paris, il a reçu pléthore de formations lorsqu'il était chez Natixis. Quelques mois avant son licenciement il a suivi une formation certifiante de data-science de 18 jours pour un coût de 9000 euros", soutient l'avocate de la société.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le barème au péril de normes européennes et internationales

En arrière-plan, c'est un débat juridique très technique qui fait rage qui va bien au-delà du cas de ce salarié, comme en témoignent les jugements de conseil de prud'hommes qui l'ont écarté, même si l'avocate dénie "le tsunami de décisions" évoqué par les syndicats. En cause, l'article 10 de la convention OIT 158 et l'article 24 de la Charte sociale européenne, auxquels l'avocat de la CFDT, a ajouté hier les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Plusieurs questions sont posées au regard de ces normes internationales et européennes. Le barème permet-il une réparation adéquate et appropriée des licenciements sans cause réelle et sérieuse ? Le salarié dispose-t-il de voies alternatives afin d'obtenir une indemnisation complémentaire ?

Les organisations syndicales dénient toute voie d'indemnisation complémentaire notamment, selon l'avocate de la CGT, car "il n'est possible d'obtenir l'indemnisation du préjudice au civil et que l'on ne peut pas mobiliser la responsabilité délictuelle". Le barème, seul, ne permet pas d'obtenir cette réparation intégrale, estiment ensuite les avocats des syndicats. Pour l'avocate de la CGT, "les plafonds sont trop bas pour permettre une indemnisation adéquate. Le plus bas est d'un mois, c'est absolument dérisoire ; le plus haut est de 20 mois, c'est insuffisant". L'avocate estime par ailleurs "qu'il est paradoxal d'utiliser une moyenne comme un plafond". Autre argument à l'encontre du barème : "l'ancienneté est l'unique critère du barème avec le salaire brut, qui dépendent tous deux de l'ancienne relation de travail et ne prennent pas en compte la situation du salarié postérieure au licenciement : la capacité à retrouver un emploi équivalent, les formations reçues pendant l'emploi, la situation éventuelle de handicap, la situation de famille, le préjudice éventuel moral et de santé,..."

Le juge peut-il continuer à exercer correctement ses pouvoirs ?

C'est aussi l'office du juge qui est pointé du doigt. Le barème permet-il encore aux juges d'exercer leur pouvoir souverain d'appréciation ? C'est l'avocat de la CFDT qui met cet argument sur la table. L'article 6 de la CEDH prévoit que tout justiciable doit être entendu par un tribunal indépendant et impartial. "Avec ce barème, vous perdez votre plénitude de compétence", assure l'avocat à la présidente de la cour d'appel de Paris. Ce à quoi l'avocate de la société rétorquera, lorsque son tour viendra de prendre la parole : "Vous allez trancher entre 3,5 mois et 13,5 mois, c'est cela l'office du juge !"

Le ministère public défend, sans surprise, la conventionnalité du barème

A l'issue de ces plaidoiries, l'avocat général commence par écarter l'argument selon lequel ces normes internationales et européennes ne seraient pas d'application directe en droit interne, très largement discuté devant les conseils de prud'hommes. Il a ensuite rappelé que l'article 10 de la convention OIT n°158 et l'article 24 de la Charte sociale européenne n'interdisent pas aux États signataires de prévoir des plafonds d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. "Cependant, ces articles imposent que soit allouée au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse « une indemnité adéquate ou une autre réparation appropriée", poursuit-il.

Or, selon lui, le barème instauré par l'article L.1235-3 du code du travail, n'a pas pour objet de faire obstacle à une réparation adéquate et appropriée des licenciements sans cause réelle et sérieuse. Et il en veut pour preuve plusieurs éléments permettant de répondre aux arguments invoqués par les organisations syndicales.

"Le critère de l'ancienneté étant un critère incontestablement commun et applicable à tous les salariés, il apparaît comme un critère objectif pour servir de base à la création d'une échelle de plafonnement d'indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse. Mais surtout, il appartient au juge, sur le fondement de la norme ainsi définie, de prendre en compte, dans les bornes du barème, tous les éléments individuels déterminant le préjudice causé par le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement. Le juge dispose donc d'une marge d'appréciation souveraine entre un minimum et un maximum  préétablis afin d'octroyer une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse tenant compte de la situation particulière du salarié. Il peut notamment tenir souverainement compte, pour fixer le montant de l'indemnité, d'élément tels que la difficulté à retrouver un emploi, la situation familiale etc".

Par ailleurs, complète-t-il, "la détermination du montant de l'indemnité ne résulte pas uniquement de l'ancienneté du salarié mais d'un croisement de l'ancienneté avec le montant de sa rémunération mensuelle brute. L'évaluation du préjudice financier tient compte de la rémunération perçue. Or, le montant de la rémunération n'est pas seulement le fruit de l'ancienneté dans l'entreprise, il est essentiellement déterminé par la fonction du salarié et sa compétence. Ces facteurs ne sont donc pas indifférents dans la détermination du montant de l'indemnité accordée dans le cadre du barème. De même la plupart du temps l'âge du salarié est synonyme d'expérience donc de rémunération plus élevée, ce critère a donc également une incidence sur le montant de l'indemnité prévue par le barème".

Il rappelle ensuite que la reconnaissance de préjudices distincts est toujours possible et que, "si les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail prévoient la possibilité pour le juge de prendre en compte dans la détermination du montant de l'indemnité, les indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail, elles ne lui imposent nullement de déduire du montant finalement accordé au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, le montant de ces indemnités".

Enfin, l'avocat général a également rappelé que le barème contenait un certain nombre d'exceptions écartant son application lorsque l'employeur a manqué gravement à ses obligations, ce qui va également dans le sens d'une réparation intégrale du préjudice.

Le flou juridique en cas d'invalidation du barème

En conclusion, l'avocat général recommande à la cour d'écarter le moyen d'inconventionnalité soulevé par le salarié. Si l'audience est mise en délibéré au 25 septembre, il n'est pas certain que la cour d'appel se prononcera sur le barème, notamment si elle retient le caractère justifié du licenciement ou si elle le déclare nul. Ce sera ensuite au tour de la cour d'appel de Reims d'examiner une affaire similaire le 17 juin, puis à la  Cour de cassation de se prononcer sur l'avis dont elle a été saisie le 8 juillet.

L'invalidation du barème aurait des conséquences qu'aujourd'hui nul ne perçoit clairement. En effet, dans ce cas, le barème cesserait immédiatement d'être applicable entraînant l'absence de toute réglementation applicable à l'indemnisation du licenciement injustifié. Les dispositions antérieures abrogées ne pourraient en effet pas retrouver application. Il n'existera alors plus aucun plafond d'indemnisation, mais également plus aucun plancher. Une perspective qui explique que certains, côté salariés, ont tenté d'exposer une argumentation autour de la seule inconventionnalité des plafonds.

Florence Mehrez
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