Le nouveau dispositif de publication des comptes des sociétés est-il constitutionnel ?

Le nouveau dispositif de publication des comptes des sociétés est-il constitutionnel ?

31.05.2016

Gestion d'entreprise

Depuis 2014, les micro-sociétés peuvent en principe opter pour une relative confidentialité de leurs comptes annuels. Question : la liberté d’entreprendre des autres entreprises est-elle respectée ?

De très nombreuses sociétés commerciales françaises bénéficient d’une mesure d’intelligence économique. Depuis deux ans, l'accès à leurs comptes annuels peut être restreint. Ce dispositif provient de la nouvelle directive comptable de 2013 (directive 2013/34/UE) qui offre aux Etats membres la possibilité de rendre confidentiels les états financiers statutaires de leurs micro-sociétés. Une option levée par la France (voir notamment l'article L232-25 et l'article D123-200 du code de commerce). Concrètement, cela concerne, sauf exceptions, les sociétés qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 700 K€ de chiffre d’affaires ; 350 K€ de bilan ; 10 salariés.

Confidentialité limitée

Toutefois, le dispositif hexagonal n’assure pas une complète confidentialité des comptes annuels. Ces derniers, qui doivent dans tous les cas être déposés au greffe du tribunal de commerce, restent accessibles aux autorités administratives (au sens de l'article 1er de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000), aux autorités judiciaires, à la Banque de France, aux investisseurs et financiers. Cette mesure s’applique aux comptes afférents aux exercices clos à compter du 31 décembre 2013 et déposés à compter du 1er avril 2014. Un dispositif «analogue» va bientôt s'appliquer aux petites sociétés. Ces dernières pourront opter, pour les comptes afférents aux exercices clos à compter du 31 décembre 2015 et déposés à compter du 7 août 2016, pour la confidentialité de leur compte de résultat.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Pas de saisine a priori du Conseil constitutionnel

A l’issue du parcours législatif de la loi sous-jacente, aucun parlementaire n’avait saisi le Conseil constitutionnel mais rien n’empêche de poser une question prioritaire de constitutionalité (QPC). Car la problématique de la conformité de ce dispositif où cohabitent deux régimes de publication se manifeste sur le fondement de la liberté d’entreprendre. En effet, cette mesure d'intelligence économique revient à imposer à certaines entreprises de divulguer leurs comptes annuels tandis que d'autres en sont exonérées, en tous cas à l'égard de certaines parties prenantes. Deux types d’entreprises pourraient être considérées comme restreintes dans cette liberté. Premièrement, les micro-sociétés qui ne peuvent bénéficier de ce secret. Cela concerne, notamment, les établissements de crédit et les entreprises d'assurance. Deuxièmement, les autres catégories d’entreprises, c’est-à-dire grosso modo les moyennes entreprises, les grandes entreprises et les entités d’intérêt public qui ne peuvent rendre confidentiels leurs comptes annuels — ainsi que les petites sociétés en ce qui concerne leur bilan qui doit rester public.

Le cas du reporting fiscal pays par pays

Cette problématique a d’ailleurs été effleurée fin 2015 par le Conseil constitutionnel. Des députés avaient saisi les Sages dans le cadre du nouveau reporting fiscal pays par pays imposé aux multinationales. L’article 121 de la loi de finances pour 2016 oblige ces entreprises à fournir certaines informations à leur administration fiscale nationale laquelle doit ensuite échanger ces informations avec ses homologues européens. Les parlementaires invoquaient notamment le fait que le dispositif méconnaît la liberté d’entreprendre au motif qu’il impose à ces entreprises de divulguer des informations stratégiques à des Etats étrangers "sans qu'il soit garanti que ces États respecteront le caractère confidentiel de ces informations". Le Conseil constitutionnel a jugé que ce dispositif de reporting fiscal est bien conforme à la Constitution car les informations en jeu ne peuvent être rendues publiques. Au passage, il a rappelé "qu'il est loisible au législateur d'apporter �� la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi". On peut donc se demander si l'option de confidentialité offerte aux micro-sociétés (et aux petites sociétés) est constitutionnelle ou au contraire si c'est l'obligation de publier les comptes des autres sociétés commerciales — obligation qui provient de la directive comptable — qui est constitutionnelle. La deuxième question renverrait à une problématique supplémentaire : celle de l'articulation de la Constitution française avec une obligation issue du droit de l'Union européenne.

Ludovic Arbelet
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