L’Autorité de la concurrence a publié le 24 mai dernier un document-cadre portant sur les programmes de conformité aux règles de concurrence. Dans cette chronique, Julie Catala Marty, associée chez Bryan Cave Leight revient sur les apports du texte mais aussi sur ses failles. Elle regrette notamment que le document laisse de côté la question centrale du legal privilege.
A l’heure où le déploiement de dispositifs de conformité constitue une obligation légale dans de nombreuses matières, l’Autorité de la concurrence a publié le 24 mai dernier un document-cadre portant sur les programmes de conformité aux règles de concurrence. Si rien n’oblige aujourd’hui les entreprises à déployer de tels programmes, elles y sont fortement incitées par ce nouveau document-cadre. Cette incitation reste toutefois limitée, puisque l’Autorité entérine à l’occasion de cette publication une approche « neutre », par laquelle elle n’attache aucune conséquence (négative ou positive) en termes de sanction encourue à l’existence d’un programme de conformité. L’Autorité considère que l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité en droit de la concurrence relèvent de la gestion courante des entreprises.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Ce nouveau texte, qui fait partie d’un éventail plus large de ressources mises à disposition par l’Autorité, reflète l’importance que l’Autorité attache à la dimension pédagogique et préventive de sa mission.
Un premier document-cadre sur les programmes de conformité avait déjà été publié en 2012 dans le but de soutenir les entreprises dans leurs efforts de création d’une culture de la concurrence. Afin d’encourager la mise en place d’un tel programme, le document-cadre de l’époque prévoyait une réduction de la sanction encourue pouvant aller jusqu’à 10%, si l’entreprise poursuivie s’engageait, dans le cadre d’une procédure de non-contestation des griefs, à mettre en place un programme de conformité crédible et efficace. Cette réduction s’ajoutait à celle liée à la procédure de non-contestation des griefs (10%) et au bénéfice éventuel d’une circonstance atténuante.
La suppression de la procédure de non-contestation des griefs par la loi dite « Macron » du 6 août 2015 et l’adoption de la procédure de transaction avaient motivé un changement de prisme qui s’est traduit en 2017 par le retrait du document-cadre de 2012 et l’adoption de la décision dite « des revêtements de sol résilients », par laquelle l’Autorité relève que la mise en œuvre d’un programme de conformité relève de la gestion courante des entreprises et n’a pas à donner lieu à une réduction de sanction en cas d’infraction.
Depuis cette décision, l’Autorité n’avait pas publié de nouvelles lignes directrices en matière de conformité. Avec le nouveau document-cadre, l’Autorité entérine la position exprimée en 2017 qui, bien que partagée par la Commission européenne, reste isolée au sein des pays de l’OCDE, dont la majorité considère l’existence d’un programme comme une circonstance atténuante ou aggravante.
Le nouveau texte comprend une introduction rappelant le rôle de l’Autorité dans sa mission de surveillance des marchés, ainsi que trois parties relatives :
- aux bénéfices des programmes de conformité ;
- aux conditions et critères, qui doivent être remplis afin de garantir leur efficacité ;
- au rôle que peuvent jouer les différents acteurs de la conformité, qui contribuent à sa réussite générale.
Pour être efficace, un programme de conformité doit être conçu sur-mesure, « par et pour l’entreprise », le cas échéant en s’insérant dans un dispositif de conformité global (portant par exemple également sur les obligations de l’entreprise en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption ou de protection des données personnelles) et être régulièrement mis à jour. L’Autorité rappelle les cinq piliers sur lesquels le programme doit reposer pour être considéré comme crédible et efficace :
- Un engagement des dirigeants en faveur du respect des règles de concurrence ;
- La désignation d’un référent, au sein de l’entreprise, chargé de la mise en œuvre du programme ;
- Des actions de sensibilisation, d’information et de formation du personnel ;
- Des mécanismes de contrôle, d’audit et d’alerte ;
- Un dispositif de suivi en cas de découverte d’infractions.
Le texte introduit par ailleurs de nouveaux outils, comme la cartographie des risques (concept emprunté à la loi Sapin II) ou des outils numériques, tels que des algorithmes programmant des mesures de conformité (i.e. « compliance by design », qui rappelle le privacy by design visé par le RGPD).
Enfin, l’Autorité met l’accent sur le rôle que doivent jouer certains acteurs dans la promotion d’une culture de la conformité. Le document-cadre vise notamment les organismes professionnels, qui doivent assurer la diffusion des bonnes pratiques et de la culture de la concurrence au sein de leur filière, mais aussi se doter eux-mêmes des outils nécessaires pour conduire leurs activités en conformité avec les règles de concurrence.
Cela s’inscrit dans une dynamique de responsabilité accrue des organismes professionnels en droit de la concurrence du fait de la transposition de la directive « ECN+ », qui procède à une « révolution copernicienne en termes de risques financiers ». Alors que le montant des sanctions encourues par les associations professionnelles était plafonné à trois millions d’euros, le nouvel article L. 464-2 I. du code de commerce dispose désormais que la sanction peut atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial de l’association concernée. Lorsque l’infraction a trait aux activités des membres de l’association, la sanction peut être portée à 10% de la somme des chiffres d’affaires mondiaux de chacun des membres actifs sur le marché affecté par l’infraction.
Outre les recommandations d’ordre général qu’il formule, le document-cadre vient combler un vide et répond à la demande de nombreuses entreprises de bénéficier à nouveau d’un texte de référence en matière de compliance. Ce faisant, il contribue à la sensibilisation aux problématiques de concurrence qui existent en entreprise, quand bien même sa mise en œuvre n’est pas obligatoire. Son bilan reste néanmoins contrasté, pour plusieurs raisons.
D’abord, on peut regretter le manque de pragmatisme de l’approche choisie par l’Autorité, qui revient à considérer qu’un programme est inefficace dans sa globalité dès lors qu’un salarié a participé à une pratique anticoncurrentielle. Il est pourtant illusoire de penser qu’un programme de conformité peut / doit être infaillible. Cette approche est radicalement différente de celle retenue outre-Atlantique, où le Department Of Justice peut décider de tenir compte de l’existence d’un programme de conformité, alors même que celui-ci n’a pas permis d’éviter le comportement fautif d’un salarié, pour autant que la direction de l’entreprise n’ait pas encouragé de quelque manière que ce soit (même tacitement) les pratiques anticoncurrentielles.
Ensuite, le document laisse de côté la question centrale du « legal privilege » en entreprise. Si l’on ne pouvait évidemment pas s’attendre à ce que le document-cadre tranche cette épineuse question, on peut néanmoins regretter qu’il l’élude totalement alors même que, dans le même temps, le « référent conformité » est désigné comme un maillon central du dispositif au sein de l’entreprise. Il est à cet égard encouragé à établir une cartographie des risques et à mener des enquêtes internes, alors même que les résultats de ses travaux sont susceptibles d’être saisis en cas d’inspection.
Enfin, le texte ne fait pas non plus état de la désignation d’un « référent conformité » au sein de l’Autorité, comme cela avait été annoncé lors du Webinar « @Echelle » organisé à l’occasion de la publication de l’étude thématique sur les organismes professionnels mis en ligne par l’Autorité en 2021.
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