Le Parlement européen reconnaît l'écocide

06.04.2023

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Le 29 mars 2023, dans le cadre de la révision de la directive du 19 novembre 2008 sur la criminalité environnementale, les eurodéputés ont adopté à l'unanimité l'inscription de l'écocide dans le droit européen. Présentation des tenants et aboutissants de cette nouvelle infraction tant plébiscitée, qui doit encore être confirmée par un accord du Conseil représentant les États membres de l'Union européenne.

A l’aune de la nécessité de réguler les infractions les plus graves causées à l’environnement, dont la répression se retrouve parfois face à un vide juridique (et notamment lorsqu’elles sont transfrontalières) ou à une insuffisante prise en considération, les députés européens se sont mis d’accord pour combler ces incertitudes. Marées noires, effluents toxiques et atteintes à la santé humaine, destruction de la biodiversité et criminalité organisée… Ces hypothèses seront désormais réprimées par un nouveau texte européen visant à remplacer la directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal.

La constitution de l’infraction d’écocide

Le texte approuvé par le Parlement européen se fonde sur la définition proposée par le Panel international pour le crime d’écocide. Il s’agit de « tout acte causant des dommages graves et étendues, ou graves et durables, ou graves et irréversibles à l’environnement ».

L’élément légal

Les eurodéputés ont également souhaité élargir la notion « d’illicite » au sens de la définition prévue à l’article 2 de la directive 2008/99/CE, notamment en prévoyant qu’il puisse s’agir de toute violation du droit de l’Union (et non plus de la « législation » de l’Union), ce qui permet une appréciation bien plus étendue des textes pouvant faire l’objet d’une violation.

L’élément matériel

L’article 3 de la directive 2008/99/CE prévoyait une liste d’actes constituant une infraction environnementale. Les eurodéputés sont parvenus à imposer une clause générale afin d’englober le plus de comportements répréhensibles possibles.
La définition adoptée par le Parlement est donc particulièrement large, puisque la notion de dommage environnemental couvre autant les dommages à la santé humaine que les dommages « à la qualité de l’air, à la qualité du sol ou la qualité de l’eau, à la biodiversité, aux services et fonctions des écosystèmes, aux animaux ou aux plantes ». Il est particulièrement remarquable que cette définition prenne en considération une vision aussi synergique et fonctionnelle de l’environnement.

La liste prévue par la directive est néanmoins maintenue, sous le statut de législation secondaire, et quatre nouveaux types d’infractions sont ajoutés : il s'agit des violations à la réglementation sur le mercure, aux directives sur les OGM, à la politique commune de la pêche et des infractions liées aux incendies de forêt.

Le texte prévoit également que l’infraction peut être constituée nonobstant le fait que son auteur puisse bénéficier d’une autorisation. Il ne saurait donc s’en prévaloir comme un moyen de défense si sa responsabilité pénale était recherchée.
Des circonstances aggravantes sont également prévues, telle que la commission de l’infraction en bande organisée ou au bénéfice de cette entreprise infractionnelle (le trafic illégal d’espèces animales coïncidant souvent avec la commission d’infractions telles que le blanchiment d’argent ou la corruption). La qualité de personne dépositaire de l’autorité publique de l’auteur sera également une circonstance aggravante.

Concernant les auteurs, il est regrettable que les eurodéputés n’aient pas convenu de supprimer, dans la définition des personnes morales, l’exception faite des États ou des organismes publics exerçant des prérogatives de puissance publique et des organisations internationales publiques. Une telle adoption aurait permis de poursuivre les États auteurs d’infractions environnementales, notamment commis sur un autre territoire de l’Union européenne. Les députés européens relèvent néanmoins la possibilité de poursuivre ces fonctionnaires en tant que personnes physiques, étant précisé que toute infraction commise par ces personnes dans l’exercice de leurs fonctions serait considérée comme une circonstance aggravante.

L’élément intentionnel

Les eurodéputés ont cristallisé la notion de négligence grave pour que soit retenue l’infraction d’écocide. C’est la négligence qui est parfois à l’origine d’atteintes majeures à la biodiversité, telles que les pollutions de grande envergure ou les accidents technologiques, notamment du fait d’une absence de précautions ou d’un retard dans la mise aux normes.

La poursuite de l’écocide

Conformément au droit européen, la directive laisse aux États membres le soin de transposer dans leur ordre interne ses nouvelles dispositions.

La prescription

Les députés européens ont placé le point de départ du délai de prescription au jour de la découverte de l’infraction, et non pas au jour de sa commission. L’infraction pouvant être constituée en cas d’atteinte à la santé humaine, une telle circonstance permet donc de pouvoir envisager l’infraction en cas de découverte de pathologies a posteriori. Il est possible à cet égard d’envisager l’hypothèse de maladies développées des années après la commission de l’infraction, telles que les cancers du fait de l’utilisation de pesticides. Les conséquences sanitaires et environnementales du chlordécone en sont un exemple, comme l’a évoqué l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint.

Les sanctions

Les eurodéputés ont souligné la distinction entre les sanctions à l’encontre des personnes physiques et celles à l’encontre des personnes morales.

Pour les personnes physiques, l’accent est placé sur la restauration des écosystèmes, plutôt que sur l’emprisonnement de l’auteur des faits. Les juristes français pourront y voir un parallèle avec l’article 1249 du code civil relatif à la réparation du préjudice écologique, qui privilégie une réparation en nature. De la même manière, si l’auteur des faits n’a pas la capacité de restaurer l’environnement atteint ou si l’atteinte est irréversible, il doit, ainsi de manière subsidiaire, compenser financièrement le dommage causé.

Concernant les personnes morales, il est indiqué qu’elles encourent une amende pouvant s’élever à 10 % du chiffre d’affaires mondial moyen, au cours des trois exercices précédant les décisions. Est également prévue la mise en cause des membres du conseil d’administration en tant que personnes physiques. Il est impossible de ne pas y voir une similitude avec la procédure engagée par ClientEarth à l’encontre du conseil d’administration de Shell. Une telle reconnaissance illustre une volonté de responsabiliser l’ensemble des parties prenantes, qui ne peuvent se retrancher derrière le voile de la société pour éluder leurs responsabilités pénales.

En outre, les auteurs peuvent se voir infliger additionnellement une exclusion de certaines procédures administratives tels que l’octroi de financements publics, l’exclusion des marchés publics ou encore certaines concessions ou permis.
En tout état de cause, le montant de l’amende doit être proportionné à la gravité et à la durée du dommage causé à l’environnement, ainsi qu’aux bénéfices engendrés par l’opération litigieuse.
Une réparation sur le plan civil est également possible pour les personnes s’estimant lésées du fait de l’atteinte à l’environnement. La complémentarité en droit français avec le régime du préjudice écologique est donc bien évidente, bien que l’action civile, notamment au regard de la réparation en nature qui doit être privilégiée, risque d’être redondante. En tout état de cause, il conviendra de préciser l’articulation entre les deux procédures.

Les juridictions compétentes

Le texte adopté par le Parlement est particulièrement ambitieux. En effet, concernant l’élément d’extranéité, les eurodéputés ont choisi d’étendre la compétence des États membres lorsque l’auteur de l’infraction est une personne morale établie sur leur territoire ou lorsque l’infraction est commise au profit d’une personne morale établie sur ce territoire. Cette dernière hypothèse permet donc de couvrir la situation dans laquelle une filiale commettrait une telle infraction.

A cet égard, une coopération transfrontalière entre les différents organismes (EUROPOL, Parquet européen) sera nécessaire pour capter l’ensemble des infractions commises sur le territoire européen.

Les eurodéputés insistent également sur la compétence des juges, qu’il s’agisse du ministère public ou des magistrats du siège, lorsqu’ils se retrouvent confrontés à ce type d’affaires.

Il convient néanmoins de rester prudent. En effet, si le Parlement européen a adopté en séance plénière la reconnaissance de l’écocide, le Conseil de l’Union européenne doit encore se prononcer.
 

Emmanuel Daoud Co-auteur : Mathilde Lacaze Masmonteil (Avocate au sein du cabinet Vigo)

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