"Le plan de partage de la valorisation pourrait constituer un véritable outil de rétention pour les entreprises"

"Le plan de partage de la valorisation pourrait constituer un véritable outil de rétention pour les entreprises"

19.03.2023

Gestion du personnel

L'accord national interprofessionnel sur la partage de la valeur a été finalisé le 10 février dernier. Le gouvernement s'est engagé à le transcrire dans la loi. Bastien Nicolini et Charlotte Debiemme, avocat associé et avocate senior au sein du cabinet BRL Avocats, analysent les points saillants de l'accord. Des infographies réalisées par Emilie Delannoy, élève-avocate, complètent l'interview.

Dans quel contexte législatif et réglementaire l’ANI s’inscrit-il ?

Bastien Nicolini : Ces dernières années, le partage de la valeur et l’épargne salariale ont fait l’objet de nombreuses réformes. En partant de la Loi "Pacte", on dénombre quatre textes législatifs et cinq décrets. Ces dispositifs sont donc au cœur des préoccupations du législateur et du gouvernement depuis maintenant plusieurs années.

Ces textes ne sont pas touts porteurs de la même ambition, mais ils visent deux objectifs communs :

1) assouplir le cadre juridique pour inciter les entreprises à mettre en place ces dispositifs de partage de la valeur. On pense notamment à la possibilité de conclure des accords d’intéressement pour une durée d’un an, qui a rencontré un franc succès en pratique (1) ; 

2) sécuriser les entreprises en réformant la procédure de contrôle qui intervient lors du dépôt des accords, à travers l’intégration "officielle" de l’Urssaf dans cette procédure.

Il y a eu aussi la création de la prime de partage de la valeur (PPV) très utilisée par les entreprises, démontrant ainsi qu’elles étaient dans l’attente d’un outil de rémunération collective pérenne, bénéficiant d’un régime social favorable, et qui repose sur un référentiel temporel différent de celui de l’intéressement ou de la participation.

En parallèle de ces mesures, le gouvernement a incité les partenaires sociaux à adopter une réflexion plus profonde sur le sujet du partage de la valeur, avec pour objectifs affichés sa généralisation dans les entreprises, l’amélioration de l’articulation des dispositifs existants, et l’orientation de l’épargne vers des investissements plus responsables. Cependant à ce stade, l’accord est "programmatique" puisque les mesures qu’il contient devront être reprises par le législateur pour être intégrées dans des textes législatifs et réglementaires pour être effectives.

La participation va-t-elle devenir obligatoire pour les entreprises de moins de 50 salariés ?

Charlotte Debiemme : Une obligation de mise en place est imposée, à titre expérimental, aux sociétés de 11 à moins de 50 salariés qui réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives (2). Il ne s’agit toutefois pas d’une obligation de conclure un accord de participation, mais plus généralement de mettre en place un dispositif de partage de la valeur. Il peut donc s’agir d’un accord de participation, mais également d’un accord d’intéressement, d’un abondement sur un plan d’épargne salariale, ou encore d’une prime de partage de la valeur (PPV).

Si l’entreprise opte - pour répondre à cette obligation - pour le versement d’une PPV, le montant à distribuer ne résultera pas d’une formule de calcul préalablement établie mais pourra être déterminé par l’entreprise en valeur absolue, ce qui est beaucoup moins contraignant, et ce d’autant plus qu’à date, aucun montant minimum n’est prévu. 

En outre, si l’entreprise opte, pour satisfaire son obligation, pour la mise en place d’un accord de participation, cet accord pourra prévoir une formule de calcul dérogatoire moins favorable que la formule légale, ce qui n’est pas possible actuellement.

Sur ce dernier point, notons que lors de l’engagement des négociations, les partenaires sociaux avaient été appelés par le ministère du travail à moderniser la formule de calcul de la participation. Ils n’y sont pas parvenus, mais une alternative a ainsi été trouvée pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Quel est le rôle dévolu par l’ANI aux branches professionnelles ?

Bastien Nicolini : Depuis longtemps le législateur tente de dynamiser la négociation de dispositifs de partage de la valeur au niveau des branches, pour favoriser leur mise en place dans les entreprises de moins de 50 salariés. On se souvient que la loi Macron de 2015 imposait la négociation d'un accord d'intéressement et de participation, au niveau des branches, au plus tard le 31 décembre 2017. Dans la mesure où les résultats n’ont pas été satisfaisants, la loi Pacte d’abord, puis la Loi "Asap" ont renouvelé cette obligation en l'étendant aux plans d'épargne et en repoussant par deux fois la date limite de négociation.

Sur ce point, les partenaires sociaux semblent rejoindre la volonté du législateur. Ainsi, il est sollicité, toujours à titre expérimental, une modification du cadre légal pour que soit négocié au niveau de "chaque branche professionnelle" la mise en place d’un dispositif de participation destiné à être mis en œuvre par les entreprises de moins de 50 salariés qui le souhaitent (3). Ces dernières pourraient alors le mettre en place par accord collectif ou par décision unilatérale.

Un nouveau délai fixé au 30 juin 2024 serait alors imparti. Et surtout, pour inciter les branches à se saisir du sujet, elles seraient autorisées à mettre en place une formule de calcul pouvant donner un résultat "supérieur comme inférieur" à celui de la formule légale. Cette possibilité d’aboutir à un résultat inférieur à celui de la formule légale permettrait aux partenaires sociaux de trouver un juste milieu entre partage de la valeur pour les salariés et préservation de la marge pour les PME.

Enfin, il est intéressant de noter que la mise en place du dispositif de branche permettrait aux entreprises de 11 à 50 salariés de remplir leur obligation d’instituer un dispositif de partage de la valeur.

L’ANI envisage de permettre la possibilité de verser des avances en matière de participation. Qu’en pensez-vous ?

Bastien Nicolini : L’ANI indique actuellement que seul l’intéressement peut faire l’objet d’avances et les parties demandent à ce que cette possibilité soit sécurisée et étendue à la participation (4). Il est vrai qu’à ce jour le système des avances est une construction administrative dont le détail a été formalisé en dernier lieu dans le Guide de l’épargne salariale (5) Dans la mesure où ce dernier n’est pas juridiquement opposable, la prudence a toujours été de mise. Il est par exemple nécessaire d’intégrer une clause prévoyant la restitution des avances en cas de trop versé aux salariés.

On comprend donc que les parties à l’ANI demandent que ce mécanisme soit intégré dans le code du travail. On peut en effet imaginer que les organismes de contrôle ne l’apprécient pas toujours de la même façon. Dès lors, un texte normatif pourrait permettre aux entreprises et aux Urssaf d’adopter une position harmonisée, mais également de légitimer la restitution des sommes par les salariés en cas de trop versé.

Pour ce qui concerne la participation il faut noter que si le Guide de l’épargne salariale ne contient pas de paragraphe dédié au dispositif, il contient toutefois une référence à la notion "d’acompte" en ce qui concerne le versement de la participation (6). L’administration n’ignore donc pas le sujet. Cependant, cela rend l’exercice peu sécurisé pour les entreprises.

On évoque beaucoup en ce moment les "superprofits" réalisés par certaines entreprises. Comment les résultats exceptionnels devront-ils être pris en compte dans les accords de participation et d’intéressement ?

Charlotte Debiemme : Le "dividende salarié" appelé de ses vœux par Emmanuel Macron, et qui devait conditionner le versement de dividendes à la mise en œuvre d’un dispositif de partage des profits au bénéfice des salariés, a été écarté par les partenaires sociaux.

En revanche, il est imposé aux entreprises soumises à l’obligation de mise en place de la participation d'insérer dans leurs accords de participation et d'intéressement une clause prévoyant les modalités de prise en compte des résultats présentant un caractère exceptionnel.

Cette obligation est toutefois à relativiser car cette clause pourrait prévoir le versement, dans un tel cas, d’un supplément de participation ou d’intéressement, mais également se contenter de renvoyer à une nouvelle discussion sur la mise en place d'un dispositif de partage de la valeur.

En outre, les entreprises disposant d’un accord de participation prévoyant une formule dérogatoire conduisant à un résultat plus favorable que le légal ou d’un accord d’intéressement intégrant une clause prenant en compte les résultats exceptionnels en seraient dispensées. En pratique, certains accords prévoient effectivement le versement d’une prime d’intéressement additionnelle lorsqu’une surperformance est constatée. Reste à savoir si, dans ce cas de figure, l’entreprise pourra être considérée comme ayant rempli son obligation.

Enfin et surtout, les partenaires sociaux ont laissé à "l’employeur" la liberté de définir la notion de résultat exceptionnel.

La logique même de l’intéressement et la participation, qui implique de se référer à des critères objectivement mesurables et indépendants de la volonté de l’employeur (7), pourrait conduire les rédacteurs du texte à conférer cette prérogative aux parties, et non uniquement à l’employeur. Mais cela reviendrait à contrevenir aux engagements pris par le gouvernement.

En tout état de cause, il pourrait être envisagé de s’inspirer du rapport relatif au dividende salarié remis le 28 novembre 2022 par le député européen Pascal Canfin, qui prévoyait le versement aux salariés d’une "super-participation" en cas de réalisation de "superprofits", et les définissait comme des bénéfices supérieurs de 20 % à la moyenne des bénéfices des cinq dernières années.

Une nouvelle réforme de la procédure de dépôt des accords est-elle envisagée ?

Bastien Nicolini : On a déjà évoqué l’intégration "officielle" de l’Urssaf dans le cadre de la procédure de dépôt. Pour rappel, cette procédure permet aux entreprises de considérer qu’un accord n’ayant fait l’objet d’aucune observation est validé et ne peut donner lieu, sauf en cas de mauvaise application, à un redressement Urssaf. En outre, avec la Loi Pouvoir d’achat, le législateur a supprimé le contrôle de forme qui était opéré par les Dreets, il y a encore quelques mois.

A ce stade, les partenaires sociaux souhaitent que le législateur aille au-delà de ces réformes, et sollicitent que les demandes de pièces formulées dans le cadre du dépôt des accords soient exclusivement limitées à ce qui est prévu par la loi (8). Il est vrai que dans certains cas, les Dreets auparavant, les Urssaf aujourd’hui, sollicitent des éléments chiffrés leur permettant d’apprécier le caractère aléatoire des accords contrôlés (par exemple, le chiffre d'affaire des trois dernières années).

Reste à voir si cette mesure qui vise à limiter l’étendue du contrôle des Urssaf sera reprise en l’état, et si elle sera intégrée dans des textes législatifs ou réglementaires, ou dans une Instruction ministérielle (9).

Il est aussi demandé au législateur d’imposer aux Urssaf de publier chaque année un guide des modalités de contrôle des accords d’intéressement. Si cette mesure est concrétisée, elle participerait à notre sens à la politique d’apaisement des relations entre les entreprises et les Urssaf menée depuis déjà quelques années.

La PPV va-elle devenir un outil de partage de la valeur comme les autres ? 

Bastien Nicolini : On évoquait en introduction l’objectif d’améliorer l’articulation entre les différents dispositifs. Les mesures qui concernent la PPV en font partie (10). puisque jusqu’à présent ce dispositif était un outil de rémunération collective qui devait permettre aux salariés de bénéficier d’un gain immédiat de pouvoir d’achat. Par conséquent, aucune mesure visant à inciter les salariés à placer la PPV sur les plans d’épargne salariale n’était prévue.

Tel ne serait désormais plus le cas puisque la PPV devrait pouvoir être placée sur le plan d’épargne au même titre que l’intéressement et la participation. De la sorte, l’employeur pourra abonder ces versements s’il souhaite encourager cette démarche.

L’intégration dans le champ du partage de la valeur et de l’épargne salariale se retrouve aussi au regard de la situation des entreprises de 11 à 50 salariés. En effet, lorsqu’elles rempliront les conditions les obligeant à mettre en place un dispositif de partage de la valeur, elles pourront le faire à travers la PPV.

Toutefois, les autres mesures qui concernent la PPV l’éloignent davantage des outils classiques en la matière. On pense en particulier à la possibilité de verser deux PPV par an, dans la limite des plafonds applicables. On retrouve ici le besoin des entreprises de disposer d’une marge de manœuvre leur permettant d’adapter leur politique de rémunération en fonction de l’évolution de la trésorerie. Ainsi, une entreprise pourra verser une première PPV au cours du premier semestre et considérer qu’elle est en capacité financière de procéder à un second versement plus tard dans l’année. De ce point de vue, la démarche est radicalement différente de celle poursuivie en matière de participation ou d’intéressement.

Le régime juridique de la PPV se rapprocherait donc effectivement de celui des autres outils de partage de la valeur, et serait désormais lié aux dispositifs d’épargne salariale, mais il conserverait toutefois quelques spécificités, notamment un régime social et fiscal qui se rapprocherait de celui de l’intéressement, sans pour autant y être totalement identique.

En quoi consiste le plan de partage de la valorisation de l’entreprise ?

Charlotte Debiemme : Les partenaires sociaux ont pensé ce plan de partage de la valorisation de l’entreprise comme une alternative à l’actionnariat salarié. Il permettrait en effet de verser aux salariés des sommes d’argent, tout en les intéressant à la valorisation de l’entreprise, comme le permet actuellement l’attribution d’actions de l’entreprise. Le mécanisme s’inspire à la fois du dispositif d’attribution gratuite d’actions, du fait de sa gratuité, mais surtout de celui des stock-options.

Ainsi, au moment de la mise en place du plan, un montant indicatif serait attribué aux salariés. Pour les stock-options, le prix de souscription ou d'achat de l’action est fixé au jour où l'option est consentie. A l’issue d’une période de trois ans, ce montant serait reversé aux salariés mais affecté d’un coefficient correspondant à la valorisation de l’entreprise.

Les salariés bénéficieraient par conséquent, si la valeur de l’entreprise a augmenté au cours des trois années, d’une somme d’un montant supérieur à celui initialement fixé. Ce différentiel peut être comparé à la plus-value d’acquisition (ou gain de levée d’option) réalisée par les bénéficiaires de stock-options lorsqu’ils lèvent l’option.

Les sommes étant versées sous condition de présence, à l’issue d’une période de trois années pouvant être assimilée à une "période de vesting" [pratique juridique consistant à conditionner l'obtention de certains droits à l'écoulement d'une certaine durée], le plan de partage de la valorisation pourrait constituer un véritable outil de rétention pour les entreprises. Il bénéficierait en outre d’un régime social et fiscal de faveur, potentiellement similaire à celui prévu pour les actions gratuites ou les stock-options même si ce point n’est pas abordé en détail dans l’accord.

Toutefois, alors que les actions gratuites et stock-options peuvent être réservés à certains salariés, le mécanisme serait ici collectif. Il bénéficierait ainsi à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté, ce qui pourrait générer un coût important pour l’entreprise. Il s’agirait vraisemblablement d’une limite au développement du système.

En outre, dans la mesure où le dispositif devrait être mis en place par accord collectif, les parties devront négocier, pour les sociétés non cotées, une méthode de valorisation de l’entreprise. Les parties à l’ANI donnent pour exemple le recours à l’EBITDA [indicateur financier américain qui vient mesurer la rentabilité financière du cycle d'exploitation d'une entreprise, autrement dit de son processus de production]. Il s’agira toutefois d’un point extrêmement sensible des négociations. 

Comment l’épargne salariale est-elle associée aux enjeux environnementaux ?

Charlotte Debiemme : La protection de l'environnement est indéniablement un enjeu de notre temps, et l’épargne salariale peut avoir son rôle à jouer. C’est pourquoi lors de l’engagement des négociations, les partenaires sociaux avaient été appelés par le ministère du travail à réfléchir à des actions permettant d’orienter l’épargne salariale vers des investissements responsables et solidaires ainsi que vers l’économie productive et la transition écologique.

En effet, actuellement, mis à part les dispositions spécifiques qui permettent à l’abondement de l’employeur sur le Perco de bénéficier d’un taux de forfait social réduit, il n’existe aucune incitation ou contrainte quant aux fonds sur lesquels le PEE et le PER permettent d’investir.

Le texte adopté rappelle néanmoins que l’investissement socialement responsable représente aujourd’hui 40 % des encours de l’épargne salariale.

Afin de renforcer cette tendance, les partenaires sociaux demandent à ce que les gestionnaires de fonds proposent, dans les PEE et les PER en comptes titres, au moins deux fonds qui bénéficient d’un label permettant de les qualifier de fonds "socialement responsables", "verts", ou "solidaires". D’ores et déjà, les entreprises peuvent également, à leur échelle, œuvrer en ce sens, en prévoyant par exemple de verser un abondement majoré lorsque les sommes versées sur le PEE ou le PER sont affectées à de tels fonds.

En outre, trois nouveaux cas de déblocage anticipé du PEE sont prévus, dont deux ont une coloration "verte", puisqu’il s’agit des dépenses liées à la de la résidence principale et de l’acquisition d'un d'un véhicule "propre".

Vous trouverez en pièces jointes six infographies réalisées par le cabinet BRL Avocats sur les principales avancées de l'accord national interprofessionnel du 10 février 2023 : 

  1. Généraliser le partage de la valeur - Entreprises de moins de 50 salariés.
  2. Généraliser le partage de la valeur - Entreprises de plus de 50 salariés.
  3. Prime de partage de la valeur. 
  4. Intéressement. 
  5. Plan de partage de la valorisation de l'entreprise. 
  6. Epargne salariale.

 

(1) Article L.3312-5 du code du travail modifié sur ce point par la loi "Asap" n° 2020-1525 du 7 décembre 2020. 

(2) Article 7 de l’ANI. 

(3) Article 6 de l’ANI. 

(4) Article 12 de l’ANI.

(5) Page 33 du Guide de l’épargne salariale. 

(6) Page 68 du Guide de l’épargne salariale. 

(7) Page 25 du Guide de l’épargne salariale. 

(8) Article 18 de l’ANI. 

(9) A noter que dans un communiqué publié le 24 juin 2022 sur le site du Boss, la DSS indiquait que de nouvelles rubriques allaient prochainement l’enrichir, dont certaines porteraient sur le régime social de l’intéressement et de la participation.

(10) Article10 de l’ANI. 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Florence Mehrez
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