Le pop art sous pression : les juges condamnent un artiste pour usage des marques Rolex

Le pop art sous pression : les juges condamnent un artiste pour usage des marques Rolex

25.05.2025

Gestion d'entreprise

Le 2 avril 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné l'artiste Johann Perathoner pour atteinte à la renommée de des marques Rolex et parasitisme. Dans cette chronique, Agathe Zajdela, avocat of counsel chez DTMV Avocats, revient sur cette affaire.

En 2018, l’artiste plasticien Johan Perathoner créé une collection d’œuvres en trois dimensions intitulée « 3D Watches », représentant des villes miniatures intégrées dans des cadrans reproduisant les boîtiers des montres les plus emblématiques de la haute horlogerie, dont Rolex. Les titres de ses tableaux reprenent les marques des horlogers et le nom des modèles reproduits tels que « Yacht-Master » et« GMT-Master ».

Face à ce constat, Rolex a mis en demeure l’artiste de cesser toute utilisation de ses marques et l’a ensuite assigné devant le tribunal judiciaire de Paris pour atteinte à la renommée de ces dernières et parasitisme.

Atteinte à la renommée des marques Rolex

Le tribunal reconnaît la renommée des marques verbales Rolex et de son logo. Elle retient notamment« l’importance du budget publicitaire sur plusieurs années, le référencement dans la presse française, l’existence de sondages et d’enquêtes de notoriété, ainsi que l’usage prolongé et l’étendue géographique de la marque ».

Il constate ensuite que l’artiste « a fait usage de signes identiques sur ses réseaux sociaux, dans un clip promotionnel et une exposition artistique organisée en avril et mai 2022 à l’hôtel Royal Monceau ». Il ajoute que si l’usage des signes « Rolex » dans les titres des œuvres relève de la liberté d’expression artistique, leur utilisation à des fins promotionnelles sur les réseaux sociaux et dans une vidéo YouTube dépasse les usages loyaux. En effet, cette communication permettait à l’artiste de tirer profit de la notoriété de Rolex pour valoriser ses œuvres, et la répétition des signes et du logo pouvait créer, pour les amateurs de montres de luxe, une impression d’association commerciale avec Rolex. Le tribunal retient en conséquence une atteinte à la renommée des marques « Rolex ».

En revanche, la renommée n’est pas reconnue pour les marques protégeant les modèles « Yacht-Master », « Milgauss » et « GMT-Master ». Selon les juges, Rolex n’a pas réussi à démontrer une exploitation autonome de ces dernières, lesquelles apparaissent systématiquement associées à la marque Rolex. Aucune condamnation n’est donc prononcée du fait de l’usage de ces dernières par l’artiste. 

Gestion d'entreprise

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Pas de contrefaçon pour les marques Yacht-Master, Milgauss et GMT-Master

A noter qu’aucune demande en contrefaçon des marques protégeant les modèles Yacht-Master, Milgauss et GMT-Master n’a été formulée par Rolex.

En l’absence de renommée, la protection de ces marques est limitée aux produits et services similaires à ceux couverts par les dépôts, ce qui ne devrait en principe pas inclure les œuvres d’art objets du litige.

Il est dommage que le tribunal n’ait pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question. En effet, il aurait été intéressant de savoir si un tableau reproduisant une montre peut être jugé similaire aux montres dans le cadre de l’appréciation du risque de confusion. Dans cette hypothèse, cela ce aurait permis de sanctionner ces reproductions illicites des marques non renommées sur le terrain également de la contrefaçon de marque.

Condamnation pour parasitisme sur les mêmes faits que l’atteinte à la renommée

En principe, le parasitisme ne peut être retenu en plus de la contrefaçon que si des faits distincts le justifient, afin d’éviter une double condamnation pour les mêmes actes.

Dans cette affaire, plusieurs éléments non sanctionnés au titre de la contrefaçon auraient pu caractériser le parasitisme, à savoir l’usage des noms des modèles « Yacht-Master », « Milgauss » et « GMT-Master », ou encore la reproduction des boîtiers et bracelets de montres de Rolex, non poursuivie au titre du droit d’auteur

Pourtant, le tribunal condamne l’artiste pour parasitisme sur les mêmes faits que ceux visés pour l’atteinte à la renommée des marques. Il justifie cette condamnation distincte par l’atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial de ROLEX, pourtant identiques aux marques renommées opposées.

A cet égard, la Cour de cassation a tout récemment reconnu qu’«un même acte matériel peut caractériser des faits distincts s'il porte atteinte à des droits de nature différente ». Elle ajoute cependant que la réparation d’un préjudice distinct a lieu d’être « seulement si le préjudice n'est pas déjà réparé au titre de la contrefaçon » (Cass. Com., 26 mars 2025, n°23-13.589).

La motivation du tribunal apparaît donc ici critiquable en ce qu’elle conduit ainsi à une double condamnation pour les mêmes faits.

Une réparation limitée du préjudice

Le tribunal rappelle que la réparation du préjudice en matière de contrefaçon de marquedoit tenir compte des conséquences économiques négatives, du préjudice moral et des bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissement. Il relève ici que :

  • Trois tableaux évoquant la marque Rolex ont été vendus pour 5 448 € ;

  • Aucune perte économique n’est démontrée par Rolex ;

  • L’usage des marques renommées a causé un préjudice moral par dilution et banalisation.

Sur cette base, l’artiste est condamné à verser 2 500 € à chacune des sociétés Rolex (soit 5 000 € au total), sans que le tribunal ne précise la ventilation entre les différents postes de préjudice. Il en résulte une incertitude : soit seuls les bénéfices ont été pris en compte, soit le préjudice moral a été ignoré ou réduit à une valeur symbolique.

Par ailleurs, le tribunal n’évalue pas les économies d’investissement intellectuel, matériel et promotionnel tirées par l’artiste de la notoriété des marques Rolex — notoriété qui a pourtant contribué à valoriser sa démarche artistique et à soutenir la vente d’autres œuvres.

Enfin, Au titre du parasitisme, le Tribunal rappelle qu’un acte de concurrence déloyale entraîne nécessairement un trouble commercial, fût-il moral (Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-24.373), et condamne l’artiste à verser 3 000 € à Rolex.

Freiner les usages abusifs de marques dans l’art

Cette affaire illustre les limites posées à la liberté de création artistique : l’usage de marques, même dans une démarche pop art, n’est pas libre de toute condition. Une sanction n’est toutefois justifiée que lorsqu’il y a détournement de la marque à des fins commerciales — ce qui était le cas ici, l’artiste ayant multiplié les références aux marques dans sa communication. Il avait même dédié une collection entière aux montres de luxe, bien que ce point soit peu souligné par le tribunal.

La solution aurait sans doute été différente si l’usage s’était limité à une œuvre isolée, sans démarche promotionnelle construite autour de l’univers des marques.

Le montant limité des condamnations pécuniaires trahit néanmoins une certaine retenue du tribunal, soucieux de ne pas heurter excessivement la liberté d’expression artistique.

Pour autant, on ne peut que saluer cette décision, qui contribuera à freiner les usages abusifs de marques de luxe dans des objets décoratifs présentés comme des œuvres d’art, mais dont la finalité réelle est de capter, à moindres frais, le prestige et l’image de ces marques.

 

Agathe Zajdela
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