Le Premier ministre affiche à nouveau un désir de modernisation du droit de la concurrence

Le Premier ministre affiche à nouveau un désir de modernisation du droit de la concurrence

07.03.2019

Gestion d'entreprise

Lors des 10 ans de l’Autorité de la concurrence, mardi, Édouard Philippe a développé le programme de la majorité en matière de concurrence en vue des élections européennes.

« La libre-concurrence ne saurait être un dogme ». Au Palais Brongniart, pour les 10 ans de l’Autorité de la concurrence, Édouard Philippe reprenait les mots de Raymond Barre prononcés en 1977, lorsque celui-ci était Premier ministre et qu’il mettait en place la Commission de la concurrence française, l’« ancêtre » de l’Autorité. L’occasion de faire part, à nouveau, de la déception de l’État face au refus de la Commission européenne d’autoriser la fusion Alstom - Siemens et de réaffirmer un souhait de réforme de la politique européenne de la concurrence. Le 19 février, en réaction au blocage de l’exécutif européen à la création du champion européen - malgré le développement du concurrent chinois CRRC (China railroad rolling stock corporation) contrôlé par l’État -, le manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle proposait déjà des modifications aux règles concurrentielles. Édouard Philippe les a à nouveau énoncées.

Une concurrence mieux adaptée aux enjeux industriels

« Le temps est venu, alors que les élections européennes approchent, de faire évoluer le droit de la concurrence pour faire face aux défis d’aujourd’hui », lançait Édouard Philippe.

« Au niveau de la phase d’analyse des dossiers d’abord. Il me semble nécessaire d’élargir notre horizon. Il ne faut plus raisonner à 2 ans mais à 4 voire 7 ans. Comme il ne faut plus examiner uniquement le marché européen, mais le considérer dans sa dimension mondiale. Il faut aussi tenir compte des concurrents non-européens qui bénéficient d’aides d’État ».

Cette première « liste » d’amendements à réaliser, rappelle les demandes formulées par le couple Franco-Allemand dans son manifeste. Leurs doléances concernaient le contrôle des concentrations qui devrait davantage « prendre en compte le contrôle de l’État et des subventions accordées aux entreprises ». De plus, la Commission pourrait, selon les deux pays, être plus flexible dans son appréciation des marchés pertinents. Ce qui « permettrait une approche plus dynamique et à long terme de la concurrence à l’échelle mondiale » et nécessiterait « une adaptation du règlement n° 139/2004 et des lignes directrices actuelles en matière de concentration ».

Autres éléments au « programme » d’Édouard Philippe : le développement de remèdes réversibles ou « en sursis » et la prise en compte d’autres objectifs de politique publique dans la motivation des décisions de concurrence au niveau de l’UE.

Dernière demande du Premier ministre : « évoluer (…) sur la question du règne, quasi sans partage, des GAFA ». Pour cela, il propose de revoir les méthodes d’analyse de l’abus de position dominante. « Les modèles qui fonctionnent selon un principe de gratuité rendent caduque l’analyse par les prix et les parts de marché ». Il souhaite aussi qu’il y ait un contrôle du « phénomène qui consiste pour les géants du numérique à racheter des concurrents potentiels pour en empêcher le développement ». La méthodologie que va probablement mettre en place l’Autorité de la concurrence, via un possible contrôle ex-post des concentrations, lui semble une bonne piste. Enfin, il demande que soient appliqués aux plateformes les concepts « d’infrastructures essentielles » de même que « d’acteur systémique » ou de « plateforme incontournable ».

Dans leur manifeste, Allemands et Français prônaient également :

  • « Un droit de recours du Conseil qui pourrait revenir sur des décisions de la Commission » ;
  • et « l’intervention temporaire potentielle d’acteurs publics dans des secteurs spécifiques et à des moments précis pour assurer leur développement à long terme ».
Opposition des spécialistes

Lors de la plénière de clôture de l’événement, plusieurs « experts » européens de la concurrence ont réagi aux propos du Premier ministre. Tout d’abord Johannes Laitenberger, le directeur général de la DG concurrence de la Commission européenne :

« Le droit de la concurrence est très bien conçu. Appliquer des objectifs supplémentaires dans son périmètre pourrait avoir des résultats positifs tout comme le contraire. Nous devons avoir à cœur d’exceller en matière de droit de la concurrence et rien d’autre ! ».

Même réaction défavorable du côté d’Andreas Mundt, le président du Bundeskartellamt et de l’International competition network : « Personne n’est contre » l’émergence de champions. « La question est de savoir comment les faire émerger ? ». « Il faut faire attention et songer aux répercussions » d’une modification du seul droit de la concurrence. Car « les résultats pourraient être contraires aux attentes », clame-t-il. Les spécialistes de la matière semblent donc opposés aux réformes demandées par la France et l’Allemagne.

Sophie Bridier

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