Le projet de loi « Industrie verte » : entre développement et durable, faut-il choisir ?
20.06.2023
Gestion d'entreprise

Le 16 mai dernier, le projet de loi pour soutenir l'industrie verte a été déposé sur le bureau du Sénat. Le texte a pour double objectif de créer de nouveaux emplois et de produire plus proprement. Dans cette chronique, Patricia Savin et Yvon Martinet, associés du cabinet DS Avocats, décryptent les principales mesures intéressant particulièrement les directions juridiques.
Le projet de loi relatif à l’industrie verte, déposé le 16 mai 2023 devant la commission des lois du Sénat, n’en est pas au bout de ses peines. Après 300 auditions et plus d’une centaine de contributions, les « pilotes » du projet ont émis 29 propositions, dont une partie seulement a été retenue dans le cadre du projet de loi. L’examen du texte en commission lui a ensuite valu plus de 80 amendements des sénateurs.
Et pour cause : le projet, affichant un double objectif de réindustrialisation de la France et de décarbonation de son industrie, incarne toutes les limites des injonctions contradictoires contenues dans l’objectif d’un développement durable.
Au prix de quelques concessions, le projet « Industrie verte » devrait notamment permettre de faciliter l’implantation des industries et de simplifier leur mise à l’arrêt ; il échoue en revanche à verdir de manière convaincante la commande publique.
Outre la planification du développement industriel au niveau régional, prévue à son article 1, le projet de loi entend raccourcir les procédures administratives nécessaires à l’implantation des projets industriels.
En premier lieu, son article 2 accélère l’obtention des autorisations environnementales en modifiant leur procédure. En fusionnant la phase d’examen (incluant les avis des autorités consultées) et la phase de consultation du public, la réforme entend ramener les délais d’instruction observés de 17 à 9 mois en moyenne. Cette accélération doit être relativisée : en particulier, la proposition initiale visant à réduire le délai de recours en matière d’autorisation environnementale à 2 mois au lieu de 4, et d’accélérer l’instruction de ces affaires devant les juridictions, n’a pas été reprise dans le projet de loi. Rien n’est donc fait s’agissant des délais de recours et de jugement à rallonge.
L’article 3 permet également d’organiser en une seule fois la concertation publique, s’agissant de plusieurs projets homogènes d’aménagement envisagés sur le même territoire. Les projets envisagés pourront ensuite être mis en œuvre sans consultation du public, dans un délai de 10 ans. De même, les projets débattus publiquement à l’occasion de l’élaboration d’un plan ou programme seront dispensés de consultation publique s’ils sont conduits au plus tard 10 ans après. Cette possibilité représente un réel progrès pour les grands projets industriels, mais la perte de qualité de la consultation du public est certaine (voir en ce sens l’avis du conseil national de la protection de la nature sur le projet de loi sur l’industrie verte) : les futurs industriels et le détail de leurs projets ne sont pas nécessairement connus au moment de cette consultation.
En deuxième lieu, les articles 8 à 11 du projet de loi permettent d’accélérer l’implantation de projets industriels identifiés comme étant d’intérêt public, en particulier pour la transition écologique. Ces dispositions permettent notamment aux autorités étatiques d’intervenir directement pour modifier des documents d’urbanisme, ouvrant la voie à un projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, tout en lui accordant dans le même temps, et si nécessaire, le caractère de projet répondant à une raison d’intérêt public majeur.
Remarque : Ce qui autorise le projet à déroger aux dispositions protectrices des espèces protégées. Cette dérogation ne pourra être contestée qu’à l’occasion d’un recours contre le décret reconnaissant au projet le caractère de projet d’intérêt national majeur.
Le Sénat n’a pas manqué d’amender cette procédure pour exiger un avis favorable de la collectivité territoriale compétente ; on peut toutefois se demander si cette procédure ne serait alors pas vidée de son intérêt, en privant l’industriel d’un interlocuteur unique en la personne du préfet.
En troisième lieu, le projet prévoit à son article 7 une refonte du système de compensation des atteintes à la biodiversité. Le nouveau système permet aux industriels de remplir plus facilement leurs obligations de compensation de biodiversité en achetant des « unités de restauration et de renaturation ». A cet égard, il ne manquera pas de faire l’objet de vifs débats dans les semaines à venir, dans la mesure où l’avancée qu’il représente pour les porteurs de projets est toute aussi forte que les risques qu’il fait peser sur la protection de la biodiversité : on peut le targuer d’organiser en quelque sorte un « droit à porter atteinte à la biodiversité », moyennant finances.
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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Quant à la fin de vie des installations classées, dont font partie les industries, la procédure de tiers détenteur pourra désormais être étendue à la mise en sécurité du site (et non plus seulement à la remise en état de celui-ci). En revanche, le projet prévoit aussi qu’en cas de défaillance du tiers détenteur, l’ancien exploitant ne sera plus responsable que de la seule mise en sécurité de son site (à l’exclusion de la remise en état de celui-ci, beaucoup plus coûteuse). Cette disposition semble contradictoire avec la logique du code de l’environnement et du projet de loi lui-même, en particulier en ce qu’elle favorise l’émergence de friches polluées, faute de responsable chargé de les remettre en état.
S’agissant de la commande publique, les principales nouveautés du projet « Industrie verte » se résument à deux dispositions inefficaces : élargir l’obligation d’adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables (SPASER), et permettre aux acheteurs d’écarter les candidats ne respectant pas leurs obligations de transparence.
La première disposition a de quoi surprendre, puisqu’en décembre 2022, seulement 32% (51 collectivités sur 160 ; une quinzaine d’autres collectivités étaient alors en cours d’élaboration de ce document) des personnes publiques soumises à l’obligation d’établir un SPASER en avaient dressé un. On peine alors à voir en quoi élargir cette obligation est utile, alors même qu’elle ne fait toujours pas l’objet d’une sanction.
La seconde est tout aussi décevante. Si, au premier abord, l’idée d’écarter les entreprises n’établissant pas leur bilan de gaz à effet de serre ou manquant à leur obligation de reporting de durabilité au titre de la directive CSRD peut paraître utile pour (enfin) inciter les entreprises à respecter ces obligations, le dispositif est entièrement facultatif. Or, les exclusions facultatives sont très peu utilisées en commande publique, de sorte que ces dispositions ne seront que très peu suivies d’effet. Il serait sans doute plus efficace, comme l’a décidé la commission des lois du Sénat, de remplacer cette exclusion par une hausse des sanctions prévues à l’encontre des entreprises ne respectant pas leurs obligations de transparence.
Au bilan, le projet de loi « Industrie verte » propose certaines avancées bénéfiques pour l’implantation et le recyclage au sein des industries, au prix d’une moindre implication du public, mais peine à convaincre sur ses tentatives de favoriser les entreprises vertueuses sur le plan environnemental. La discussion du projet en séance au Sénat, depuis le 20 juin, permettra peut-être de redresser son ambition.
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