Le projet de loi Sapin II place la compliance au coeur des entreprises

Le projet de loi Sapin II place la compliance au coeur des entreprises

31.03.2016

Gestion d'entreprise

Programme de compliance obligatoire, protection des lanceurs d'alerte, peine de mise en conformité : voici les principaux apports du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

La réforme était attendue. Présenté hier en conseil des ministres, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a été privé de sa mesure phare, celle de l'instauration d'une justice pénale négociée - par le biais de la conclusion d'une transaction pénale entre les entreprises et le parquet pour des faits de corruption. En effet, le Conseil d’État, dans un avis rendu le 24 mars, s’est opposé à la convention de compensation d’intérêt public - ou transaction pénale - (prévue dans l’article 17 de l’avant-projet de loi) qui s’inspirait de la justice pénale négociée à l'anglo-saxonne. Le ministre des Finances, Michel Sapin, a précisé qu’il comptait sur les parlementaires pour remettre cette disposition au cœur des débats, lors de la conférence de presse de présentation du projet.

Néanmoins, d'autres dispositions prévues auront un impact sur la vie des entreprises.

La compliance, nouvelle obligation légale (article 8 du projet de loi)

Bien connue des entreprises, notamment des groupes internationaux, la compliance est désormais actée légalement. Le projet de loi oblige, au sein des entreprises d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros, que des  « mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence » soient prises (article 8 du projet de loi). Les filiales ou sociétés contrôlées, au sens de l’article 233-3 du code de commerce, qui respectent ces seuils sont aussi concernées par ces nouvelles obligations.

Ainsi, les présidents, directeurs généraux et gérants de ces sociétés ou membres du directoire des sociétés anonymes vont devoir justifier de l’existence et de la mise en œuvre :

  • d’un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire car susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
  • d’un dispositif d’alerte interne ;
  • d’une cartographie des risques ;
  • de procédures de vérification de l’intégrité des clients et des fournisseurs de premier rang ;
  • de procédures de contrôle comptables internes et externes ;
  • de dispositifs de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés ;
  • et d’un régime de sanction disciplinaire (article 8, II du projet de loi), etc.

Le respect et l’efficacité de ces programmes de compliance seront contrôlés par un service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption par le biais d’enquêtes sur pièces ou sur place. Ce nouveau service de l’État, placé sous l’autorité conjointe de la Chancellerie et du ministère du budget, se substitue à l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC), instauré par loi anti-corruption de 1993 qui ne disposait d’aucun pouvoir d’enquête (article 1 du projet de loi).

Ce contrôle donnera lieu à un rapport transmis à l’autorité qui l’a demandé (l’un des deux ministères) et aux représentants de la société en question. En cas de manquement constaté, un premier avertissement sera adressé aux dirigeants (article 8 du projet de loi).

Dans un second temps, le service pourra saisir la commission des sanctions afin d’exiger des dirigeants d’adapter leurs procédures internes. Les sociétés ne respectant pas les demandes du service national se verront infliger une sanction pécuniaire d’1 million d’euro maximum et de 200 000 € pour les personnes physiques. Son calcul prendra en compte la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée et sera proportionnel à la gravité des manquements constatés. Et cette amende pourra être rendue publique (article 8 du projet de loi).

Création d’une peine de « programme de mise en conformité » (article 9 du projet de loi)

En cas de délit, et en plus de la sanction pénale normalement encourue, une seconde peine « de programme de mise en conformité » pourra être prononcée. En effet, le projet de loi prévoit que les peines encourues par les sociétés jugées responsables des infractions de corruption et de trafic d’influence (articles 433-1, 434-9 et 434-9-1 du code pénal) sont complétées par un nouvel article 131-39-2, inséré dans le code pénal. Celui-ci oblige les entreprises visées à se soumettre à un programme de mise en conformité interne de prévention et de détection des faits de corruption ou de trafics d’influence, pour s'assurer de l'adoption des mesures détaillées plus haut (code de conduite, dispositif d'alerte interne, cartographie des risques, etc. (à l'article 9, 1°, II du projet de loi).

La mise en œuvre de cette peine complémentaire sera contrôlée annuellement par le service national chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption. Les entreprises qui ne la respectent pas seront passibles de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Attention, le montant de l'amende peut être porté au montant de celle encourue au titre du délit pour lequel elles ont été condamnées.

Si l’obligation de la mise en œuvre de ce programme de compliance stricte est respectée durant au moins un an et que le suivi ne semble plus nécessaire, le procureur de la république pourra alors saisir le juge d’application des peines pour y mettre fin de manière anticipée.

Protection et encadrement des lanceurs d'alerte et lobbys (articles 7 et 13 du projet de loi)

Ce projet de loi était aussi attendu sur la question des lanceurs d’alerte. La loi les protège actuellement uniquement en matière d’environnement (article L 1351-1 du code de la santé publique) et de fraude fiscale (article L 1132-3-3 du code du travail) (voir notre article). L’article 7 du projet de loi crée un nouveau chapitre au titre III du livre VI du code monétaire et financier. Ainsi sera assurée la protection des personnes signalant à l’Autorité des marchés financiers ou à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, des manquements relatifs aux abus de marchés, aux règlements de titres dans l’Union européenne, aux documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance, aux marchés d’instruments financiers ainsi qu’aux placements collectifs commis par des sociétés de gestion. Une aide financière, destinée notamment à l'assistance juridique des lanceurs d'alerte est prévue (article 6 du projet de loi).

Par contre, le projet de loi ne fixe ni cadre précis du lanceur d’alerte ni définition. Le ministre des Finances a précisé, lors de la conférence de presse, que le texte sera complété par amendements lors des débats parlementaires au début des mois de mai ou de juin.

Enfin, à l’image du fichier de représentants d’intérêts qui existe pour le Parlement depuis 2009, le projet de loi, dans son article 13, prévoit que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique tiendra un répertoire numérique public de ces représentants. Chaque année, au plus tard au 1er octobre, toute entité considérée comme ayant des activités de lobby (article 13, II du projet de loi) devra transmettre son identité et expliquer le champ de ses activités à la Haute autorité. Des règles déontologiques sont aussi établies (article 13, IV du projet de loi) et leur respect sera contrôlé par la Haute autorité qui pourra prononcer une sanction financière d���un montant maximal de 30 000 € à l’encontre du représentant en question.

 

Abus de marché et principe non bis in idem

Ce projet de loi devait aussi être l’occasion de régler la question du principe non bis in idem en matière de délits boursiers, qui depuis une décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 attend d’être éclaircie par le législateur, avant la date butoir de septembre prochain (voir notre interview). Il ne le propose finalement pas. Compte tenu de ce délai, la répartition des compétences entre le parquet national financier (PNF) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) en matière de répression des abus de marché devrait être tranchée par la proposition de loi « réformant le système de répression des abus de marché », des députés Dominique Baert (Nord, PS) et Dominique Lefebvre (Val d’Oise, PS), en discussion hier en commission des finances de l'Assemblée nationale.

Le projet de loi Sapin II n'ouvre la voie qu’à un durcissement des sanctions. Le juge pénal pourrait prononcer des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 5 ans et des amendes de 100 millions d’euros maximum. De son côté, l’AMF pourrait, en plus de l’arsenal répressif dont elle dispose déjà, infliger des sanctions pécuniaires représentant jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires des personnes morales en cause (habilitation de publier une ordonnance sur ce sujet prévue à l'article 17 du projet de loi).

 

Mesures de simplification

Certaines mesures prévues par le choc de simplification (voir notre article) voulu par le premier ministre, Manuel Valls, se retrouvent dans ce projet de loi, notamment :

  • La possibilité de recourir exclusivement aux moyens de visioconférence ou de télécommunication pour la tenue des assemblées générales des sociétés dont les actions ne pas admises à la négociation sur un marché réglementé (article 46 du projet de loi) ;
  • La possibilité, pour un conseil d’administration ou le conseil de surveillance d’une société anonyme, de déplacer le siège social sur l’ensemble du territoire français (article 46 du projet de loi) ;
  • La possibilité de déroger à la désignation d’un commissaire aux apports en cas d’augmentation de capital par apport en nature (article 47 du projet de loi).

 

 

 

Delphine Iweins

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