Françoise de Saint-Sernin, avocate au sein du cabinet éponyme, revient sur la baisse progressive des saisines prud’homales. En dix ans, le niveau des demandes s’est réduit de près de 60 %. Interview.
La chute du nombre saisines des conseils de prud’hommes, déjà pointée du doigt par le ministère de la justice, en 2019, ne cesse de s’amplifier. A ce rythme, vous n’hésitez pas à évoquer une éventuelle disparition de la justice prud’homale. Pourquoi ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
En additionnant le chiffres du Rapport annuel de performance de la mission Justice, en 2018 et ceux de la Cour des comptes, on observe une chute des saisines prud’homales de 55,6 % en 10 ans, entre 2010 et 2020. Leur nombre est passé sous la barre des 100 000 (96 379 en 2020) alors qu’il était largement au-dessus des 200 000 sur la décennie précédente (217 661 en 2010). La France comptant 19,7 millions de salariés travaillant dans le privé, seulement 0,49 % des salariés français saisissent chaque année le conseil des prud’hommes pour faire valoir leurs droits. Si la baisse observée entre 2010 et 2020 devait se maintenir au même rythme, le nombre de saisines pourrait passer sous la barre des 50 000 dès 2025.
Le recours aux prud’hommes se gentrifie. Ce sont les cadres qui ont les moyens de prendre un avocat qui saisissent la justice prud’homale. D’autant que des montants financiers plus conséquents sont en jeu. En effet, si la baisse des recours concerne toutes les sections prud’homales, elle est moins marquée pour la section "encadrement". En revanche, les sections industrie-commerce-activités diverses, qui concentrent les employés et les ouvriers, enregistrent des records de désaffection. Ces derniers sont victimes des nouvelles règles de procédure.
Et l’assistance se fait de plus en plus par les avocats au détriment des délégués syndicaux.
Pourquoi ?
La procédure prudhomale, réformée par la loi sur la croissance et l'activité du 6 août 2015 ou "loi Macron" et appliquée depuis le 1er août 2016, a beaucoup changé les habitudes. Et peut vite se transformer en véritable casse-tête.
Le salarié doit désormais présenter une requête argumentée en fait et en droit. Avant une simple demande sur papier libre suffisait. Résultat, des populations peu à l’aise avec le droit, le formalisme juridique ou tout simplement le français, ont renoncé.
Par ailleurs, en cas d’oubli ou lorsque la situation a évolué, le salarié doit présenter une nouvelle requête, ce qui reporte l’affaire à un délai plus ou moins long. Il ne peut plus, comme avant, ajuster ou fusionner ses demandes, en fonction de l’évolution de son dossier. A chaque nouvelle démarche, il repart à la case zéro.
Ainsi, s’il a saisi le conseil des prud’hommes d’une plainte pour harcèlement moral et s’il est licencié juste avant de plaider devant le bureau du jugement, il perd son tour. Il doit ressaisir le conseil des prud’hommes puisque sinon l’employeur affirmera que les demandes découlant du licenciement sont des demandes nouvelles, sans lien avec le harcèlement moral.
Quel est l’impact du barème Macron ?
Nous attendons que la Cour de cassation se prononce enfin sur le fond. Ce barème a, en effet, changé la donne, en devenant très dissuasif … pour certains salariés. Désormais ceux qui saisissent les conseils des prud’hommes pour contester un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont ceux qui ont de l’ancienneté. Prenons un exemple avec deux cadres âgés de 55 ans. Le premier a trois ans d’ancienneté ; il n’ira pas au conseil des prud’hommes car il n’obtiendra pas plus de quatre mois d’indemnités. Le second, en revanche, a 30 ans d’ancienneté. Il va saisir la justice et pourra obtenir 20 mois, l’indemnité maximale.
Or, le conseil des prud’hommes ne retient plus ici le véritable préjudice causé par ce licenciement abusif, à savoir l’impossibilité ou la grande difficulté à se repositionner sur le marché du travail. Alors qu’il y a un décrochage anticipé des seniors de la vie active, bien avant l’âge de la retraite à taux partiel qui s’ouvre légalement à 62 ans. Et avec la crise économique actuelle, leur nombre pourrait fortement augmenter. Depuis le début de l’année, on déplore déjà une frénésie de certains employeurs à se débarrasser de leurs quinquas, trop vieux, trop chers, trop peu formés aux nouvelles technologies.
Constatez-vous avec la chute des recours un raccourcissement des délais ?
C’est le paradoxe, malgré la chute de 55% d’affaires en dix ans, le délai des dossiers s’est considérablement allongé dans certaines juridictions, avec un malheureux record à la section encadrement du conseil des prud’hommes de Nanterre (92), qui traite des dossiers des salariés travaillant au sein des sièges sociaux des entreprises de la Défense. Il faut attendre quatre ans pour obtenir un jugement. L’effectif des conseillers prud’homaux est resté constant, mais celui des greffiers s’est considérablement réduit. Or, sans greffier, pas d’audience. Comme le flux d’affaires s’est plutôt maintenu par rapport à d’autres juridictions, l’embouteillage est incommensurable. Nous attendons donc lors des futurs Etats généraux de la justice un rétablissement des postes de greffiers qui ont été supprimés pour favoriser le bon fonctionnement de la justice prud’homale.
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