Se détournant des procédures classiques, quelques sociétés optent pour le recrutement prédictif afin de valider l’adéquation d’un candidat à l’ADN de l’entreprise. Algorithmes à l’appui. Mais la méthode est controversée.
Phénomène de mode ou tendance de fond ? Le recrutement prédictif, qui permet de présélectionner des candidats en fonction des attentes et des critères d’évaluation du client, fait son entrée parmi les techniques de recrutement. L’objectif est d’établir, à l’aide d’algorithmes, des corrélations entre la performance et les comportements, "c’est-à-dire d’identifier les postulants qui ont les plus fortes probabilités de s’adapter à l’environnement de l’entreprise, sa culture et son collectif de travail", avance David Bernard, co-fondateur d’Assessfirst, un éditeur d'outils d'évaluation RH et de tests de recrutement, pionnier dans la démarche.
Quelques sociétés se sont ralliées à sa méthode pour optimiser leur recrutement. Berner France, un distributeur d’outillage (1500 salariés), qui embauche quelque 200 commerciaux chaque année, y a recours pour limiter le turn-over caracolant à 25%. "La plupart des postulants n’ont pas une idée très précise des métiers que nous exerçons, reconnaît Cyrille Trollion, DRH de l’entreprise. Les CV n’apprennent rien. Parfois, aucun candidat n’était retenu à l’issue d’une procédure classique. Or, une annonce peut générer près d’une centaine de candidatures". D’où un "déficit de qualité" important dans les process à l’oeuvre. "Pour ce type de fonctions, on attend surtout des candidats motivés et dotés d’une forte personnalité". Parmi les qualités recherchées figurent, par exemple, le relationnel, la persévérance et même "la résistance à l’échec" ; trop de salariés "abandonnant leur poste après quelques annulations de rendez-vous clients".
Le BHV/Marais cherche, de son côté, à limiter l’étape chronophage de la présélection des candidats. "Cette méthode agit comme un premier filtre pour un recrutement de masse, avance Fathallah Charef, DRH de l’enseigne. Avant d’utiliser cet outil, on recevait tous les candidats en entretien individuel. Soit quelque 1500 à 2 000 personnes pour 500 postes à pourvoir chaque année. Aujourd’hui, notre process est bouclé en 30 jours, contre plus de 45 auparavant". Le questionnaire de 70 questions est envoyé automatiquement sitôt le dépôt de candidature. Un rapport est transmis, 48 heures après, au candidat comme au chargé de recrutement, pour établir le profil.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Le plus fastidieux consiste à définir les indicateurs destinés à déceler les candidatures les plus adaptées aux postes proposés. C'est la phase la plus longue. Et la plus déterminante. Car de ce check-up découle le modèle prédictif. L’entreprise réalise un audit des salariés du cru afin de dégager les points forts (aptitudes, motivation, personnalité) qui caractérisent les top performers. Il peut s’appuyer sur les parcours de carrière ou les performances des collaborateurs. Et nécessite de collecter les données des collaborateurs en poste, à l’aide de tests ou des comptes rendus d’entretiens annuels. Le BHV/Marais a ainsi passé au crible le parcours de ses commerciaux prometteurs pour établir un profil type sur trois métiers : vendeur, responsable des ventes, responsable du département clientèle. Berner France a, lui, décrypté les traits de personnalité de ses salariés les plus fidèles.
Les résultats servent à établir une cartographie de compétences attendues. Berner France, par exemple, a retenu une quarantaine des questions pour sonder les motivations. Reste alors à lister les corrélations entre le profil et des éléments intangibles à l’entreprise, tels que ses valeurs, sa culture, ses process. Le logiciel trie alors les candidatures selon les critères de sa recherche. La sélection s’effectue sans intervention humaine. Assessfirst conseille de recruter en priorité des candidats qui valident au moins 60% des indicateurs du modèle. Soit le seuil de compatibilité requis pour éviter les erreurs de casting.
D’autres variantes existent. La start-up Cosh, spécialisée dans le recrutement prédictif de commerciaux, a développé son propre test de personnalité, le SQ-1, en se basant sur les travaux des chercheurs de l’université de Bath (Grande-Bretagne). Il permet d’identifier six profils types de commerciaux (expert, conseiller, technico-commercial, spécialistes de ventes en cycles courts…), à partir de 20 comportements spécifiques. Rick Rut adjoint au questionnaire une présentation vidéo du candidat.
Cette méthode ne fait, toutefois, pas l’unanimité. "Elle est fondée scientifiquement mais elle est actuellement limitée, assure Vincent Berthet, maître de conférences en sciences humaines, à l’université de Lorraine. Car disposer d'une base de données ne signifie pas nécessairement trouver des modèles de prédilection. A l'heure actuelle, les corrélations entre les tests de recrutement et la performance professionnelle sont modérées, il ya donc encore beaucoup à faire ". En clair : on signe un chèque en blanc. D’autant que "la puissance de prédiction est restreinte, poursuit l’expert. Car la performance d’un collaborateur ne dépend pas uniquement de sa personnalité mais de son environnement de travail. Or, la méthode prédictive ne peut pas prédire le potentiel de développement d’un individu. Steve Jobs aurait-il eu le même type de carrière dans un autre environnement ?".Ce paramètre n'est pas pris en compte. Autre risque : celui de recruter des clones. "Pour les commerciaux, par exemple, il pourra s’avérer que les plus efficaces sont les plus extravertis, observe Jean Pralong, responsable de la Chaire nouvelles carrières de Neoma Business School. Mais, à l’inverse, nous n’avons aucune preuve qu’un profil introverti ne pourra pas réussir". D’où un risque d’écarter les profils atypiques, les râleurs, les pinailleurs, les individualistes ou encore les rebelles. Des profils différents mais qui peuvent se révéler finalement moteurs dans l’entreprise. Attention donc aux remontées d’informations trop standardisées.
Surtout ces détracteurs insistent sur le facteur humain. "Ces logiciels ne peuvent pas détecter la motivation, le savoir-être, ni les accidents de vie d’un candidat (divorce, maladie…), trois critères essentiels", relève Laurent Hyzy, fondateur d’Alterconsult, un cabinet de recrutement. Ces outils n’auraient donc pas la même finesse qu’un humain.
Mais la méthode fait son chemin. "Nous n’avons eu aucune mauvaise surprise avec cette méthode", insiste Fathallah Charef. Le DRH envisage même de l’utiliser pour la gestion des carrières. L’exploitation des données permettant, par exemple, de proposer de nouveaux parcours de carrière, en tenant compte de l’expertise métier révélée lors de l’audit. Chez Berner France, également, le ton est enthousiaste. "Les candidats qui ont eu un taux de compatibilité supérieur à 55% à notre test, voilà trois ans, sont pour la plupart toujours en poste aujourd’hui, contrairement à ceux qui avaient un taux d’adéquation moindre". L’efficacité de la méthode est donc prouvée ici pour enrayer le turn-over des nouveaux recrutés. Mais elle n’a pas permis d’établir un lien de cause à effet entre profil et performance ou productivité.
La méthode constitue-t-elle une mise en garde pour les cabinets de recrutement? L’arrivée des éditeurs de logiciels sur le marché très convoité du recrutement bouscule les méthodes traditionnelles. Le coût est moindre : de 150 euros pour une start-up à 850 euros pour un groupe disposant d’un SIRH pour Rick Rut. Même si les tarifs d'Assessfirst peuvent s'envoler jusqu'à 20 000 euros. Toutefois, selon Antoine Morgaut, administrateur du Syntec recrutement, "ces outils ne jouent pas dans la même catégorie, en ciblant le marché des juniors et des non-cadres".
Une chose est sûre : il ne s’agit là que d’une étape complémentaire dans le process de recrutement, intervenant entre le sourcing et le premier entretien "de visu". Encore et toujours déterminant pour les deux parties.
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