Dans un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation admet qu'un salarié employé dans le cadre d'un CDI intérimaire peut demander la requalification de divers contrats de mission en CDI. La rupture du contrat de travail, analysée alors en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour non-respect de la procédure, permet au salarié de réclamer des indemnités à ce titre.
La Cour de cassation vient de se prononcer pour la première fois sur les règles de fond du CDI intérimaire dans un arrêt du 7 février dernier.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
► Rappelons que le CDI intérimaire a été rendu pérenne par la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. Le dispositif est le suivant : une entreprise de travail temporaire (ETT) conclut avec un salarié un CDI pour l’exécution de missions successives. Le contrat peut prévoir des périodes sans exécution de mission. Ce contrat de travail est régi par les dispositions du code du travail relatives au CDI, sous réserve de certaines dispositions spécifiques au CDI intérimaire. Le CDI intérimaire doit prévoir le versement d’une rémunération mensuelle minimale garantie au moins égale au produit du Smic, par le nombre d’heures correspondant à la durée légale hebdomadaire pour le mois considéré, compte tenu des rémunérations versées au cours de cette période.
Dans l'affaire qui était soumise à la Cour de cassation, une entreprise de travail temporaire avait mis à disposition d'une entreprise utilisatrice une salariée en tant qu'opératrice d'assemblage par la signature de contrats de mission entre le 8 avril et le 23 décembre 2015. Par la suite, le 13 janvier 2016, la société d'intérim avait conclu avec la salariée un CDI intérimaire (CDII). En exécution de ce contrat, l'entreprise de travail temporaire avait mis à la disposition de la même entreprise utilisatrice la salariée, entre le 13 janvier 2016 et le 31 mai 2019, puis avec deux autres sociétés, entre le 5 juin et le 12 juillet 2019 et entre le 29 juillet et le 30 août 2019.
Le 26 septembre 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification de ses missions au sein de la première entreprise utilisatrice et de contester la rupture de la relation de travail avec cette dernière. Le 26 novembre 2019, elle est licenciée pour faute grave par l'entreprise de travail temporaire.
Dans cette affaires deux questions inédites se posaient à la Cour de cassation.
La première : un salarié intérimaire mis à disposition d'une entreprise utilisatrice dans le cadre d'un CDII peut-il obtenir la requalification de ses missions en CDI à l'égard de celle-ci lorsqu'elle ne justifie pas du motif du recours au travail temporaire ?
La seconde : la cessation de fourniture de travail par un entreprise utilisatrice à un salarié intérimaire, mis à disposition au titre d'un CDII, ayant terminé sa mission ensuite requalifiée en CDI peut-elle s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
La cour d'appel de Grenoble, dans un arrêt en date du 16 juin 2022, décide de requalifier la relation de travail entre l'entreprise utilisatrice et la salariée en CDI à compter du 8 avril 2015 et juge que la rupture du contrat, décidée le 31 mai 2019, s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle condamne l'entreprise à verser à la salariée diverses sommes à titre d'indemnités compensatrices de préavis, de congés payés, de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur conteste cette décision estimant que la salariée ne peut être liée par deux CDI pour une même prestation de travail. Quant à la qualification de la rupture du contrat de travail, il avance l'argument selon lequel, quand bien même la salariée serait liée à l'entreprise de travail temporaire par un CDI intérimaire, le fait de cesser de fournir du travail au salarié au terme d'une mission conclue dans le cadre de ce CDII ne peut pas s'assimiler à une rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation va donner raison aux juges du fond.
► La Cour de cassation commence par rappeler que le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice (article L.1251-5 du code du travail). Il ne peut être fait appel à un salarié intérimaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas énumérés par le code du travail. En cas de méconnaissance de ces règles, l'entreprise utilisatrice s'expose à une requalification en CDI prenant effet au premier jour de la mission du salarié (article L.1251-40 du code du travail). Par ailleurs, quand bien même un CDII a été conclu entre le salarié et l'ETT, la rupture des relations contractuelles à l'expiration d'une mission à l'initiative de l'entreprise utilisatrice s'analyse si le contrat est requalifié en CDI en un licenciement qui ouvre droit à des indemnités de rupture.
Elle approuve la cour d'appel d'avoir décidé que, même si le salarié est titulaire d'un CDII, il peut solliciter la requalification des missions qui lui sont confiées en CDI de droit commun à l'égard de l'entreprise utilisatrice au motif qu'elles ont eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de celle-ci. En outre, elle estime justifié, à l'égard de l'entreprise utilisatrice par suite de cette requalification, comme de l'entreprise de travail temporaire en raison de son licenciement dans le cadre du CDII, d'avoir alloué à la salariée diverses sommes au titre des deux ruptures injustifiées, dès lors que l'objet des contrats n'est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d'une mission auprès de l'entreprise utilisatrice.
Dans son avis, l'avocat général référendaire avait estimé que l'application de la sanction de requalification en CDI à l'égard de l'entreprise l'utilisatrice n'était pas incompatible avec le régime du CDII liant le salarié à l'entreprise de travail temporaire et ce, pour quatre raisons principales :
- "il est admis de longue date que le salarié puisse exercer concurremment deux actions en requalification à l'encontre de l'entreprise utilisatrice et de l'ETT (arrêt du 20 mai 2009), lesquelles relèvent de deux fondements différents ce qui imposent aux employeurs de répondre in solidum des conséquences de la rupture du contrat ;
- le fait pour un salarié intérimaire d'être titulaire de deux CDI, le CDII originel et celui issu de la requalification avec l'entreprise utilisatrice n'est pas en tant que tel prohibé par le code du travail ;
- la requalification interviendra la plupart du temps, en pratique, après la rupture du contrat de travail initial par l'entreprise de travail temporaire sans que le salarié puisse solliciter sa réintégration et aura pour principale conséquence d'indemniser le salarié pour la période passée au titre des prestations effectuées au sein de l'entreprise utilisatrice ;
- l'objectif d'une relation de travail stabilisée entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire attachée au CDII s'inscrit dans celui plus large d'une lutte contre le recours abusif au travail précaire (...) ce qui justifie l'application d'une sanction dissuasive à l'égard de l'ETT pour le travailleur".
Or, les juges du fond ont bien constaté que le motif de recours n'était pas justifié pour la période antérieure à l'année 2016. Dès lors, pouvaient-ils en déduire que les missions exercées par la salariée auprès de l'entreprise utilisatrice devaient être requalifiées en CDI à compter du 8 avril 2015, date de début de la première mission.
S'agissant de la qualification de la rupture du contrat de travail, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir déclaré le licenciement intervenu le 31 mai 2019 à l'initiative de l'entreprise utilisatrice comme sans cause réelle et sérieuse car intervenu sans respect de la procédure de licenciement et d'avoir condamné l'entreprise à verser à la salariée des sommes au titre d'indemnités de préavis, de congés payés, de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans son avis, l'avocat général référendaire avait souligné que "la requalification des missions de travail temporaire emporte application rétroactive du régime du CDI dès la première mission irrégulière". Il avait également indiqué que "la rupture du CDI issu de la requalification est soumise au régime du licenciement même si le salarié s'est vu entretemps confier une nouvelle mission".
En retenant cette solution, la Cour de cassation aboutit à la situation selon laquelle le salarié se retrouve titulaire de deux CDI. Détenir un CDII n'empêche en effet pas la requalification de contrats de mission en CDI. Le salarié peut ainsi théoriquement obtenir des indemnisations à ces deux titres bien distincts.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.