Le secret des affaires enfin protégé
17.12.2018
Gestion d'entreprise

Le décret du 11 décembre 2018 relatif au secret des affaires donne aux juges des pouvoirs étendus pour prévenir ou faire cesser une atteinte au secret des affaires.
A contre-courant de l’hyper transparence prônée dans la vie des affaires, le décret d’application n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 sur la protection du secret des affaires permet aux entreprises de se protéger contre une appropriation illicite de leur savoir-faire ou de leurs informations commerciales et technologiques.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Pour ces entreprises, savoir-faire et informations ont une valeur patrimoniale qui leur procure un avantage concurrentiel inestimable, gage de leur compétitivité et de leur croissance, mais objet de convoitise.
Pris pour l’application de la loi précitée qui a transposé et repris de façon très fidèle les dispositions de la directive 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, le décret du 11 décembre 2018 en vigueur depuis le 14 décembre, précise les mesures provisoires et conservatoires que le juge peut prononcer sur requête ou en référé aux fins de prévenir ou faire cesser une atteinte à un secret des affaires. Sont également précisées les règles applicables lorsque le juge statue sur une demande de protection du secret des affaires à l'occasion de la communication ou de la production d'une pièce et lorsqu'il décide, aux mêmes fins de protection de ce secret, d'adapter la motivation de sa décision ou les modalités de sa publication.
La partie réglementaire du code de commerce est modifiée en conséquence -ainsi que d’autres dispositions du code de la propriété intellectuelle notamment que nous n’abordons pas ici- avec la création d’un nouveau titre V consacré à la protection du secret des affaires au sein du livre 1er relatif au commerce en général.
La notion de secret des affaires, dont la définition a été introduite dans le nouvel article L. 151-1 du code de commerce par la loi du 30 juillet 2018, reprend les trois critères cumulatifs de l’article 2 de la directive précitée, directement inspirés de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de 1995.
En substance, l’information qui peut être protégée au titre du secret des affaires est une information connue par un nombre restreint de personnes, ayant une valeur commerciale, effective ou potentielle en raison de son caractère secret et qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère secret.
Cette définition assez générale permet finalement une protection relativement large des informations puisqu’elle couvre aussi bien un savoir-faire, qu’une stratégie commerciale, une information économique, technologique, scientifique, (voire une idée, puisque le texte parle de valeur commerciale potentielle) contre une appropriation illicite par le vol, la copie non autorisée, ou encore l’espionnage économique que les nouvelles technologies rendent sans aucun doute plus facile.
Elle permet également de justifier, à revers des obligations de transparence du monde économique, la protection d’informations lorsqu’il existe un intérêt légitime à les garder confidentiels et une attente légitime de protection de cette confidentialité, compte tenu des enjeux financiers que cette protection représente pour l’entreprise. Enfin, elle fait peser sur les détenteurs de secrets d’affaires, une responsabilité quant aux mesures de protection qu’ils accordent à leur secret et le délai dans lequel ils réagissent à une atteinte à ces secrets d’affaires.
La loi du 30 juillet 2018 a étendu la protection du secret à toutes les phases de la procédure judiciaire, de la phase précontentieuse jusqu’au jugement, ainsi qu’en témoignent les articles R. 152-1 à R. 153-10 du code de commerce créés par le décret du 11 décembre 2018.
Un impératif de rapidité et d’efficacité dans la prise de mesures préventives s’impose lorsqu’on souhaite éviter la divulgation d’un secret d’affaires, compte tenu des conséquences économiques et financières potentiellement graves que cette divulgation pourrait engendrer.
Les articles R. 152-1 et suivants du code de commerce prévoient par conséquent des mesures provisoires rapides et avant toute instance au fond, pour mettre fin à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite du secret d’affaires. Ainsi, lorsqu'une juridiction est saisie aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, elle peut prescrire, sur requête ou en référé, toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. "Elle peut notamment :
- interdire la réalisation ou la poursuite des actes d'utilisation ou de divulgation d'un secret des affaires ;
- interdire les actes de production, d'offre, de mise sur le marché ou d'utilisation des produits soupçonnés de résulter d'une atteinte significative à un secret des affaires, ou d'importation, d'exportation ou de stockage de tels produits à ces fins ;
- ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers de tels produits, y compris de produits importés, de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché".
Conformément à l’esprit de la directive de 2016, le décret d’application du 11 décembre 2018 permet dans certains cas, au contrevenant supposé, sous réserve de la constitution d'une ou plusieurs garanties, de continuer à utiliser le secret d'affaires, notamment lorsqu'il n'y a guère de risque que ce secret entre dans le domaine public. La garantie constituée devra naturellement indemniser le détenteur du secret.
Mais le juge peut également subordonner l'exécution des mesures provisoires et conservatoires qu’il ordonne, à la constitution par le demandeur d'une garantie destinée, dans le cas où l'action aux fins de protection du secret des affaires est ultérieurement jugée non fondée ou s'il est mis fin à ces mesures, à assurer l'indemnisation du préjudice éventuellement subi par le défendeur ou par un tiers touché par ces mesures.
Qu’il s’agisse des mesures provisoires ou des constitutions de garanties, ces mesures deviennent caduques si le demandeur ne saisit pas le juge du fond dans un délai courant à compter de la date de l'ordonnance de vingt jours ouvrables ou de trente et un jours civils si ce dernier délai est plus long (C. com., art. R. 152-1).
La perspective qu'un secret d'affaires perde son caractère confidentiel pendant une procédure judiciaire décourage souvent les détenteurs légitimes de secrets d'affaires d'engager des procédures judiciaires pour défendre leurs secrets d'affaires.
Les nouveaux articles R. 153- 1 à R. 153-10 du code de commerce envisagent à cet égard diverses mesures permettant de protéger durant la procédure judiciaires le caractère confidentiel du secret d'affaires, le juge devant prendre en compte la valeur du secret d’affaires, la gravité du comportement ayant débouché sur l’obtention et l’utilisation qui en a été faite.
Suivant l’article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Sur ce fondement, le juge saisi sur requête ou au cours d'une mesure d'instruction peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires (C. com., art. R. 153-1). Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces transmises au requérant.
Avant toute chose, celui qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée, doit remettre au juge dans le délai fixé par celui-ci, et sous peine d’irrecevabilité :
- la version confidentielle intégrale de cette pièce ;
- une version non confidentielle ou un résumé ;
- un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.
Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, ainsi que la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce (C. com., art. R. 153-3).
Restreindre le cercle des personnes pouvant accéder aux pièces
C’est notamment dans le cadre de la communication ou la production de pièces que la préoccupation légitime de secret d’affaires a été prise en compte, le nouvel article R. 153-2 donnant au juge la possibilité de restreindre le cercle des personnes habilitées à avoir accès aux éléments de preuve ou aux audiences ainsi que la possibilité de leur interdire d’en faire une copie, sauf accord du détenteur de la pièce (C. com., art. R. 153-2).
Restreindre l’accès aux audiences
Lorsque dans le cadre d’une instance, une partie demande au juge la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement, prendre connaissance seul de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis d’une personne habilitée à la représenter (C. com., art. L. 153-1).
Communiquer des pièces dans une version non confidentielle
Le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans sa version intégrale lorsque celle-ci est nécessaire à la solution du litige, alors même qu'elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires. Mais dans ce dernier cas, le juge désigne la ou les personnes pouvant avoir accès à la pièce dans sa version intégrale. Lorsqu'une des parties est une personne morale, il désigne, après avoir recueilli son avis, la ou les personnes physiques pouvant, outre les personnes habilitées à assister ou représenter les parties, avoir accès à la pièce (C. com., art. R. 153-6).
Lorsque seuls certains éléments de la pièce sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans une version non confidentielle ou sous forme d'un résumé, selon les modalités qu'il fixe (C. com., art. R. 153-7).
On sait que la juridiction peut ordonner toute mesure de publicité de la décision relative à l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicite d'un secret des affaires, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise (C. com., art. L. 152-7).
A la demande d'une partie, un extrait de la décision ne comportant que son dispositif, revêtu de la formule exécutoire, peut lui être remis pour les besoins de son exécution forcée. Le juge peut également décider de publier uniquement les éléments non confidentiels des décisions (C. com., art. R. 153-10).
L’atteinte au secret des affaires engage la responsabilité civile de son auteur et les actions relatives à une atteinte au secret des affaires sont prescrites par cinq ans à compter des faits qui en sont la cause (C. com., art. L. 152-1 et L. 152-2). Le texte est silencieux sur le cas où les faits seraient connus postérieurement à leur accomplissement et une éventuelle prolongation de la prescription.
L’ordonnance sur requête ou de référé est susceptible d’appel (C. com., art. R. 153-8 et R. 153-9).
L’article L. 152-6 du code de commerce créé par la loi du 30 juillet 2018, dispose que pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :
- les conséquences économiques négatives de l'atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
- le préjudice moral causé à la partie lésée ;
- les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte au secret des affaires, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte.
La juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
Enfin la loi a également prévu (C. com., art. L. 152-8) que toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive peut être condamnée au paiement d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l'absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l'amende civile ne peut excéder 60 000 €. L'amende civile peut être prononcée sans préjudice de l'octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure dilatoire ou abusive.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.