Cécile Terret, avocat à la cour chez Bryan Cave Leighton Paisner LLP, nous explique comment les entreprises tenteront de brandir la menace de poursuites judiciaires pour faire cesser une atteinte à leur secret.
La loi sur le secret des affaires constitue une avancée pour l’entreprise dans la défense de ses informations stratégiques. Mais elle cherche aussi à préserver les intérêts des personnes potentiellement attaquées. Jusqu’où l’entreprise peut-elle aller ? Comment les anciens salariés, les représentants du personnel, les lanceurs d’alerte ou encore les journalistes pourront-ils se défendre ? Réponses pratiques de Cécile Terret.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Quels sont les secrets protégeables par une entreprise vis-à-vis de ses salariés ?
Sous réserve d’une protection raisonnable au sein de l’entreprise, beaucoup d’éléments pourront être protégés au titre du secret des affaires qu’ils touchent à la R & D, au savoir-faire et aux informations commerciales de l’entreprise, etc. Les projets d’acquisition de l’entreprise, un organigramme et plus largement toutes les informations non volontairement divulguées pourraient être concernés. La loi secret des affaires va donc plus loin que les dispositions du code de la propriété intellectuelle ou du code pénal - telles que le vol dont la définition était trop limitée - potentiellement utilisables par l’entreprise pour défendre ses informations stratégiques. L’entreprise va donc pouvoir protéger ses données réputées secrètes alors qu’auparavant leur utilisation et leur divulgation n’étaient pas protégées.
Comment s’y prendre ?
Prenons un exemple, celui d’un ancien salarié qui utiliserait un algorithme mathématique, identique à celui de son ancien employeur, pour créer un logiciel concurrent. L’entreprise pourrait engager sa responsabilité civile, en invoquant les nouvelles dispositions du code de commerce. L’ancien salarié pourrait être condamné au paiement de dommages et intérêts.
A titre préventif, l’entreprise serait aussi en mesure de demander des mesures conservatoires pour faire cesser une atteinte illicite ou encore pour prévenir une atteinte imminente. Le juge pourrait alors interdire à l’ancien salarié d’utiliser l’algorithme. L’entreprise devra cependant prouver l’atteinte manifeste au secret des affaires. Un constat d’huissier permettrait, par exemple, de rapporter la preuve de l’utilisation de l’algorithme par cet ancien salarié.
Peut-on protéger un secret avant son utilisation ?
Oui. Si l’entreprise a la connaissance de la détention d’un secret des affaires par un ancien salarié, parti chez un concurrent, par exemple, elle pourrait agir en référé. Le juge pourrait alors imposer à l’ex-employé de restituer les données invoquées et de ne pas les utiliser. Il faudra toutefois le prouver. L’interrogation des serveurs de l’entreprise, pour vérifier l’envoi de documents par le salarié sur sa boîte personnelle avant son départ, permettrait notamment de démontrer qu’il détient bien ce secret d’affaires. Et l’entreprise pourra se prévaloir d’une atteinte imminente à son secret devant le juge des référés.
La protection des informations confidentielles de l’entreprise au titre du secret des affaires pourrait aussi être utilisée par les entreprises comme une arme précontentieuse. L’envoi d’une mise en demeure à un ancien salarié de cesser son atteinte, sous peine d’être poursuivi en justice, pourrait le dissuader de faire usage d’un secret protégé par l’entreprise.
A l’inverse, du côté du salarié, comment se défendre ?
La loi cherche à préserver un équilibre entre l’intérêt direct des entreprises et celui de chaque citoyen, notamment des salariés ou ex-employés d’une entreprise.
Tout d’abord, un débat aura lieu devant le juge sur le bénéfice du régime du secret des affaires. Les informations que l’entreprise veut protéger sont-elles effectivement protégeables ? L’entreprise a-t-elle mis en place des mesures de protection raisonnables pour garder ces informations confidentielles ? Les avocats des deux parties argumenteront sans doute dans des directions opposées.
Si les informations sont qualifiables de secret des affaires, il appartiendra alors au salarié de faire valoir une ou des exceptions prévues par la loi (article L151-8 et L151-9 du code de commerce). Il a obtenu le secret dans l’exercice de son droit à l’information et à la consultation des salariés par exemple. Il a divulgué le secret à ses représentants salariaux dans le cadre de l’exercice légitime de leurs fonctions et la divulgation était nécessaire à cet exercice. Le salarié ou ex-employé peut aussi être un lanceur d’alerte, au sens de la loi, et avoir révélé le secret des affaires de bonne foi et dans le but de protéger l’intérêt général.
Pouvez-vous donner des exemples concrets ?
Un employé ayant obtenu une information sur la fermeture d’un site par les représentants du personnel, dans le cadre du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants et qui le communiquerait à un journaliste quelques mois avant que cela ne soit révélé au public, par exemple. Son utilisation ne pourra pas faire l’objet de poursuite pour divulgation illicite. Mais si l’information est divulguée à un concurrent et que celui-ci l’utilise, l’entreprise pourrait éventuellement se retourner contre son concurrent.
Le salarié pourrait aussi bénéficier d’une exemption si lui-même a obtenu l’information sur la fermeture d’un site et qu’il la communique aux représentants du personnel. Le secret leur serait inopposable. Mais il ne le sera pas forcément aux autres personnes à qui l’information serait communiquée. Les plaideurs devront cependant justifier de la nécessité pour les représentants des salariés d’avoir connaissance de l’information secrète pour l’exercice de leurs fonctions.
Un lanceur d’alerte pourrait-il demander une protection au titre de la loi secret des affaires et de la loi Sapin II ?
Si le lanceur d’alerte effectue, de bonne foi et dans le but de protéger l’intérêt général, un signalement portant sur des actes de corruption ou de trafic d’influence, ou plus généralement sur une activité illégale ou un comportement répréhensible, le secret des affaires n’est pas protégé selon la loi.
De plus, le texte fait une référence au régime Sapin II qui donne une définition plus large des lanceurs d’alerte. Celle-ci ne s’arrête pas à la révélation par une personne physique de faits illégaux, comme le restreint la loi secret des affaires. Car elle protège aussi les lanceurs d’alerte pour des signalements portant sur « une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ». Dès lors, les avocats des lanceurs d’alerte argumenteront sans doute sur la base des deux protections pour obtenir le prononcé d’une irresponsabilité civile du lanceur d’alerte divulguant une information confidentielle dans le but de protéger l’intérêt général.
Quel est le risque pour la presse qui bénéficie aussi d’une exception prévue par la loi ?
Le secret des affaires n’est pas protégé lorsque des journalistes d’investigation publient un article le divulguant et ceci notamment au titre de la liberté d’expression, de communication, et de la liberté d’information. Néanmoins, les journalistes d’investigation sont aujourd’hui systématiquement attaqués et devront donc se défendre. Ils devront à chaque fois prouver au juge dans le cadre de procès souvent long et coûteux (que certaines entreprises n’hésiteront pas à initier si elles estiment que le secret des affaires a été violé) qu’ils ont agi dans l’intérêt général.
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