Le soleil se lève enfin sur la juridiction unifiée du brevet

Le soleil se lève enfin sur la juridiction unifiée du brevet

10.10.2021

Gestion d'entreprise

La loi allemande ratifiant l’accord sur la Juridiction unifiée du brevet a finalement été promulguée. Il ne manque plus que deux États pour que le Protocole d’application provisoire entre en vigueur et que les préparatifs pour la juridiction soient initiés. La juridiction et le brevet unitaire pourraient être opérationnels fin 2022.

Selon Rabelais, sur la grande porte de Thélème était inscrit :
Cy n’entrez pas, hypocrites, bigotz
Vieux matagotz, marmiteux boursouflés… 

De même, sur la porte de la Juridiction unifiée du brevet (JUB), on pourra inscrire que les pessimistes, hypocrites et ennemis du progrès ont fini par perdre leur pari : la JUB entrera bien en vigueur et ce, prochainement.

Et pourtant, les adversaires de cet immense projet, attendu depuis plus de quarante ans par les utilisateurs du système des brevets n’ont pas désarmé. Une première attaque devant la Cour constitutionnelle allemande s’était soldée par l’annulation en février 2020 de la loi de ratification allemande en raison d’une insuffisante majorité lors du vote au parlement. Le gouvernement allemand, soutenu par la majorité des industriels et des utilisateurs de brevets, n’a pas tardé à présenter à nouveau au parlement la même loi de ratification. Celle-ci a été votée le 26 novembre 2020 à une large majorité (100 voix de plus que la majorité requise des 2/3).

Les adversaires, notamment la communauté open source, pensent que le brevet unitaire, rendu possible par la mise en œuvre de la juridiction unifiée, entraînerait un changement dans la protection du logiciel par brevet et même la destruction d’emplois. Ils ont donc soutenu le dépôt de deux nouveaux recours devant la Cour constitutionnelle allemande. Ces recours, avec demande d’injonction préliminaire, déposés en décembre 2020, se fondaient sur une prétendue violation de l’État de droit, sur une insuffisance d’indépendance des juges nommés pour six ans (et non à vie) et sur l’existence d’un plafonnement du montant des frais de représentation récupérables par la partie gagnante.

Le 23 juin 2021, la Cour constitutionnelle a rejeté les deux demandes d’injonction préliminaire et dit que la loi de ratification pouvait être promulguée sans attendre la décision au fond. Elle a considéré notamment que la prétendue atteinte à l’État de droit était insuffisamment motivée, que la procédure de nomination des juges ne portait pas atteinte aux principes démocratiques et enfin que l’article 20 de l’accord relatif à la JUB, qui mentionne la primauté du droit de l’Union européenne, avait seulement pour but d’éliminer les doutes sur l’application du droit de l’Union ou du droit national.

À la suite de cette décision, le président de la République fédérale d’Allemagne a procédé à la signature officielle de la loi de ratification le 7 août 2021 et elle a été promulguée le 12 août. La France, ainsi que dix-sept autres États de l’Union ayant déjà ratifié l’accord relatif à la JUB, ce dernier peut entrer en vigueur.

Il reste cependant quelques aménagements indispensables à réaliser, tels que la nomination des juges, l’établissement du greffe, la mise au point du système informatique ou la finalisation du règlement de procédure par le comité administratif. Tout cela demandera un certain temps avant que la juridiction ne soit pleinement opérationnelle. Le Protocole d’application provisoire (PAP) organise cette période transitoire. En outre, les conséquences du Brexit doivent être prises en compte.

À quoi sert le protocole d’application provisoire (PAP) ?

Le PAP, signé le 1er octobre 2015, prévoit que certaines dispositions de l’accord sur la JUB entrent provisoirement en vigueur.

C’est le cas de l’article 7, qui définit l’organisation de la 1re instance de la juridiction avec ses divisions locales et régionales et sa division centrale à Paris (avec les sections de Munich et de Londres). Il en est de même pour les articles 10 à 19 qui concernent le greffe, les différents comités administratifs, budgétaire et consultatif ainsi que les juges et leur formation. C’est encore le cas de l’article 35 sur le centre de médiation et de l’article 41 qui dispose que le règlement de procédure est définitivement adopté par le comité administratif après avis de la Commission européenne. Enfin, sont également concernées différentes dispositions prévues par les statuts de la juridiction, et notamment celles relatives aux élections des présidents de la 1re instance et de la cour d’appel.

Le protocole entre automatiquement en vigueur dès que treize États l’ont signé ou ont indiqué accepter l’application provisoire de ces dispositions. Le 27 septembre, un pas de plus a été franchi avec le dépôt par l’Allemagne des instruments de ratification du protocole. Il ne manque plus que deux États. On peut s’attendre à une ratification prochaine par l’Autriche et la Slovénie.

Dès l’entrée en vigueur du protocole, les préparatifs pour la mise en œuvre de la juridiction unifiée pourront commencer. Il s’agit notamment de la nomination des juges, de l’établissement du greffe, de la mise au point du système informatique ou de la finalisation du règlement de procédure. À cela on peut encore ajouter la finalisation du barème des taxes et des coûts récupérables. Tout cela demandera un certain temps, la durée probable étant estimée à environ huit mois.

Quid du Brexit ?

Le comité administratif pourra en outre procéder aux aménagements du texte de l’accord rendus nécessaires par le départ du Royaume-Uni. L’article 89, qui règle les conditions d’entrée en vigueur, ne nécessite aucun changement, le Royaume-Uni étant automatiquement remplacé par l’Italie en tant que troisième État avec le plus grand nombre de brevets après l’Allemagne et la France.

L’article 7-2 et l’annexe II de l’accord, qui mentionnent expressément une section de la division centrale à Londres, devront en revanche être modifiés. Il s’agit là de dispositions pratiques sans portée juridique, on peut donc penser que les aménagements rendus nécessaires à la suite du Brexit pourront être effectués par le comité administratif sans que les États membres aient l’obligation de procéder à de nouvelles ratifications d’un accord modifié. L’article 87-1 prévoit précisément la possibilité pour le comité administratif de décider d’une révision pour améliorer le fonctionnement de la juridiction. Les États membres peuvent cependant la refuser (art. 87-3), ce qui entraîne alors la convocation d’une conférence de révision. On notera à cet égard, que la loi de ratification allemande exige qu’une telle révision soit acceptée par une loi spécifique (art 1(2)).

Quelles modifications ?

Une section de la division centrale ne peut exister en dehors du territoire des États participants. La section de Londres ne peut pas être instituée depuis que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Sa suppression ne laisse subsister à côté du siège de Paris, que la section de Munich. Les attributions prévues à l’origine pour la section de Londres pourraient, au moins à titre provisoire, être réparties entre Paris, lieu du siège de la division centrale, et Munich. Si, par la suite, une autre section de la division centrale devait être créée dans une autre ville européenne, cela demanderait probablement une ratification par les États Membres.

Conclusion

L’entrée en vigueur du protocole d’application provisoire ne dépend plus que de son acceptation par deux pays. Dès qu’elle sera effective, une part importante de l’accord sur la JUB entrera automatiquement en vigueur.

Pendant une période d’environ huit mois, tout sera mis en œuvre pour que les dispositions restantes de l’accord puissent également s’appliquer. Dès que le comité préparatoire aura annoncé que tous les organes de la juridiction sont prêts (juges nommés, greffe et sous-greffes opérationnels, divisions locales et division centrale prêtes à recevoir les premiers dossiers), l’Allemagne, en tant que dernier État à ne pas l’avoir fait, déposera ses instruments de ratification auprès du Conseil de l’Union européenne. Le premier jour du quatrième mois faisant suite à ce dépôt, l’accord sur la JUB entrera complètement en vigueur et les premières actions en contrefaçon ou demandes de nullité, pourront être portées devant la juridiction.

Simultanément, le règlement (UE) 1257/2012 sur le brevet européen à effet unitaire (le brevet unitaire) deviendra immédiatement applicable dans tous les États ayant ratifié l’accord sur la JUB. Parmi les vingt-sept États membres de l’Union européenne, seize l’ont déjà fait. Les principaux absents sont pour l’instant des pays comme l’Espagne, la Pologne ou la Hongrie. De plus les pays hors de l’Union européenne, comme le Royaume-Uni ou la Suisse, ne peuvent bénéficier ni de la nouvelle juridiction ni du brevet unitaire.

Pour les sceptiques, il restera possible de profiter des dispositions transitoires. Elles permettent, pendant une durée de sept ans (éventuellement prolongeable), de choisir un tribunal national à la place de la JUB ou de faire enregistrer, pour une demande de brevet européen ou un brevet européen, une déclaration de dérogation selon laquelle seuls les tribunaux nationaux sont compétents pour cette demande de brevet ou ce brevet, jusqu’à son expiration. L’enregistrement de ces déclarations auprès du greffe de la juridiction pourra commencer dès l’ouverture d’une période préliminaire (sunrise period), probablement après que le système informatique soit opérationnel et le greffe institué en application du protocole provisoire.

L’avenir nous dira quelle politique adopteront les entreprises. Cela dépendra évidemment de la qualité, du coût et de la rapidité de la procédure devant cette nouvelle juridiction.

Axel Casalonga

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