"Le taux moyen de renouvellement des mandats se situe autour de 50%"

19.04.2021

Gestion d'entreprise

Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, dresse un premier bilan de la loi Pacte et positionne la profession sur les enjeux de la reprise économique post-Covid. Interview.

Comment les cabinets d’audit traversent-ils la crise sanitaire et économique actuelle ?

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Les commissaires aux comptes traversent la crise avec beaucoup d’investissement et d’abnégation. Ils sont très mobilisés auprès des entreprises sur la clôture des comptes 2020 qui sont dégradés, atypiques, complexes, car la Covid a généré des éléments d’incertitude pour l’avenir. Autre difficulté : gérer les liens avec les clients dans le contexte du travail à distance. On apprend à vivre l’audit version Covid.

La profession s’investit aussi sur les enjeux de la reprise économique. Les entreprises ont besoin de rassurer leurs partenaires financiers et les commissaires aux comptes sont précisément positionnés sur ce terrain de la bonne information financière.

Justement, quel rôle peuvent jouer les Cac dans cette crise ? Quelles nouvelles missions peuvent-ils proposer ?

Depuis janvier 2021, nous menons des travaux en co-construction avec les pouvoirs publics, les entreprises et les financeurs. Il en ressort quatre missions ad hoc que peuvent proposer les commissaires aux comptes, sous forme d’attestations. Notamment :

  • l’objectivation de la santé financière de l’entreprise dans le cadre de notre devoir de prévention (en cas de signaux faibles) ;
  • la vérification des conditions d’éligibilité à certains dispositifs d’aides de l’Etat et l’analyse de la santé financière du candidat au dispositif au regard des données 2020 ou prévisionnelles.

La sécurisation de l’information financière par un Cac va permettre à l’entreprise de se prévaloir d’une bonne gestion de la crise et ainsi accéder plus facilement à des financements (aides de l’Etat, de type PGE) ou renforcer ses fonds propres (via l’obtention d’un prêt participatif). Le Cac est un créateur de confiance et se situe à la frontière de l’économie et du droit.

La sécurisation de l’information financière par un Cac va permettre à l’entreprise de se prévaloir d’une bonne gestion de la crise

Sur la loi Pacte, une ou deux normes d’exercice professionnel devraient être publiées en 2021 sur les nouvelles missions de la loi Pacte. Des précisions sont attendues sur les mesures de sauvegarde applicables en cas de situations à risque, pour les Cac qui souhaitent fournir des services non audit. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ces nouvelles missions ne sont pas normées donc nous n’attendons pas la NEP pour les réaliser. La CNCC a déjà posé des éléments de doctrine. La norme d’exercice professionnel fixera un cadre déontologique pour assurer l’indépendance du commissaire aux comptes. Ce sont des garde-fous pour que les nouvelles missions restent dans le bon périmètre : ne pas être dans le conseil et l’accompagnement.

Ces nouvelles missions nous ouvrent à une nouvelle façon d’exercer notre métier. Les missions des Cac, auparavant normées, deviennent facultatives et achetées par le marché donc la profession doit travailler avec son écosystème. Le marché commence à comprendre qu’il peut nous faire confiance. Les Cac se sont déjà emparés de nouvelles missions telles que l’examen de conformité fiscale ou en matière de RSE.

Quels sont les premiers chiffres des impacts de la loi Pacte sur les commissaires aux comptes, notamment en termes de chiffre d'affaires et de renouvellement ou non de mandats ?

Sur la base des déclarations d’activité des Cac des deux dernières années et d’une enquête menée par la CNCC, nous pouvons tirer les premiers enseignements : le taux moyen de renouvellement des mandats se situe autour de 50%. Dans le détail, plus les entités se situent proches des seuils, plus le taux de renouvellement est important. Par exemple, les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 8 millions d’euros (mais qui ne franchit pas les deux autres seuils d’effectifs et de total de bilan), le taux de renouvellement des mandats est de plus de 80%.

Il n’y a donc pas eu de rupture entre les commissaires aux comptes et leurs clients. Beaucoup d’entreprises se situant en dehors du champ de l’obligation légale font le choix de garder leur Cac en raison d’éléments de complexité par exemple (présence d’intérêts minoritaires, etc.). Mais nous sommes un peu amers car, du fait de la loi Pacte, nous n’apparaissons pas dans les nouvelles (petites) entreprises.

Désormais, nous devons travailler sur des critères qualitatifs pour la nomination d’un Cac : par exemple, quand une entreprise demande un prêt participatif de l’Etat, quand une association bénéficie de fonds étrangers, quand une société d’économie mixte prend des participations (texte en cours), etc. La certification des comptes est intéressante quand l’entité est bénéficiaire de fonds publics ou concernée par des questions d’intérêt général.

La CNCC propose des formations techniques avec une partie comportementale et commerciale pour pouvoir vendre ces missions et montrer leur utilité aux clients.

Les pertes de chiffre d'affaires sont de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros

Qu’en est-il des impacts de la loi Pacte en terme de pertes de chiffre d’affaires ?

Nous communiquerons sur ce sujet dans 3 à 4 semaines. Je peux vous dire que c’est bien en-dessous de ce qui était avancé mais les pertes ne sont pas négligeables, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros (pour l’ensemble des cabinets d’audit français).

Comment analysez-vous l’affaire Agripôle et la décision du H3C du 19 février 2021 où des Cac (et de gros cabinets tels Mazars et PwC) ont été condamnés à l’interdiction d’exercer ?

En tant de président de la CNCC, j’ai un devoir de réserve. Des sanctions ont été prononcées mais elles sont moins fortes que celles demandées. Deux choses à retenir. Tout d’abord, cette affaire a conforté l’interprétation de certaines NEP défendue par la profession, par exemple la prise en compte du contrôle interne dans nos missions d’audit ou encore la reconnaissance de l’efficacité du co-commissariat. Ensuite, certes il y a des sanctions mais par définition, notre profession est régulée. Cette affaire prouve que le système fonctionne. Le contrôle est une force pour la profession. Enfin, je rappelle que cette affaire ne doit pas se confondre avec la fraude fiscale car il s’agit ici d’une procédure disciplinaire liée à des reproches sur la réalisation de la mission d’audit.

Quelles sont aujourd’hui vos relations avec le H3C ?

Avec cette nouvelle mandature, nous œuvrons pour nouer d’excellentes relations avec le H3C, basées sur le dialogue et la pédagogie. Le Haut conseil est notre régulateur. Je dois rencontrer Mme Peybernes prochainement.

Propos recueillis par Céline Chapuis
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