Quel est l'avenir du travail ? Quelle forme prendra-t-il ? Comment s'organisera-t-il ? Dans cette chronique, Alain Petitjean, directeur du Centre études & prospective du groupe Alpha, se livre à un exercice de prospective pour nous dévoiler les tendances 2030. Elles se construisent dès aujourd'hui.
La période que nous venons de vivre a presque entièrement subordonné le dialogue social et la gestion des ressources humaines aux impératifs immédiats de la crise sanitaire. La question du télétravail, à elle seule, a absorbé une large part du débat et de la réflexion sur les rapports sociaux et les modalités de relation entre salariés et employeurs.
Même si la crise sanitaire n’est pas encore terminée, il nous paraît bon de reprendre souffle et de réapprendre à se projeter. Quel est l’avenir du travail ? Quelles formes prendra-t-il en 2030 ? Comment s’organisera-t-il et se régulera-t-il ? Dans quelles stratégies les DRH doivent-ils s’inscrire ? Et comment peuvent-ils les traduire en politiques sociales et les faire partager dans des relations sociales et un dialogue social constructif ?
Il apparaît évident qu’il faut se garder de projeter sur le long terme les situations les plus saillantes des 15 derniers mois écoulés. L’avenir du travail ne sera pas fait de confinements réguliers, de télétravail forcé et subi, de relations exclusivement à distance et de visioconférences à la chaîne.
Il n’empêche, le travail gardera l’empreinte de cette crise, par sélection naturelle de ce qu’elle a révélé de positif !
Le premier point, majeur, réside dans l’autonomie réelle des salariés, qui est apparue bien plus forte qu’escomptée antérieurement. Dans la facilité qu’ont eue les entreprises et les administrations à basculer en travail à distance, sans désorganisation, le support informatique n’est pas tout : les salariés se sont massivement montrés aptes à maîtriser par eux-mêmes leur cadre de travail et à trouver leurs ressorts d’efficacité au quotidien. Cela va au-delà de "réussir à travailler à distance" : cela signifie savoir donner un rythme, pouvoir déjouer les inévitables embûches, trouver leurs propres solutions, interagir avec leur collègues ou clients, autant qu’avec leur hiérarchie.
Le second point, bien sûr, concerne le télétravail. Avant la crise, les entreprises le vivaient comme une modalité dérogatoire, à limiter et à fortement encadrer. Il est ressorti de la crise comme facteur de gains de productivité, d’économies de charges immobilières, d’élargissement des plages horaires de disponibilité du service, de réduction spectaculaire du micro-absentéisme et d’apaisement des tensions. Aux yeux des deux tiers environ des salariés l’ayant expérimenté, le télétravail comme mode d’organisation occasionnelle ou régulière est apparu comme opportunité de meilleure conciliation de la vie professionnelle et privée, sujet ardemment débattu depuis quelques années.
La forte minorité qui n’y a pas trouvé son compte, tout comme la part non négligeable de métiers non éligibles au télétravail, forme cependant un contingent qui ne doit pas être oublié. Les gains de productivité ont par ailleurs des contreparties dangereuses, à mettre sous vigilance : accroissement de la charge de travail, notamment mentale ; risque croissant, avec le temps, d’isolement social et psychologique ; attrition des dimensions collectives du travail ; épuisement des occasions de créativité et de retour réflexif sur son activité.
Le troisième point renvoie à la spatialité des situations de travail. La forme même des bureaux (au-delà du nombre de m² économisés par l’application d’une simple règle de 3 présentielle) sera remise en jeu par la multiplication des solutions distancielles de travail et de communication. La fréquence des déplacements chez les clients ou fournisseurs sera soupesée à l’aune des contraintes de coût, de temps et d’efficacité. Jusqu’à la forme des réunions, qui sera, elle aussi, repensée à l’aune des nouvelles règles héritées des visioconférences.
Pour résumer ces trois points précédents sous une seule et même bannière, on peut attester que, dans beaucoup d’entreprises, le travail basculera d’une organisation collective et spatiotemporelle visant à l’uniformité (assortie de quelques dérogations) à une conjonction d’organisations individuelles éclatées, à relier entre elles et à coordonner efficacement. L’enjeu de l’animation des dimensions collectives, réflexives et créatives de l’activité sera alors central. L’inscription de ces organisations en myriades dans une relation sociale unifiée à défaut d’être unique sera une autre gageure.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Dans l’ouvrage "Métamorphose du travail" paru aux éditions Economica le 20 mars 2020, nous nous livrions à un exercice de prospective, associant experts pluridisciplinaires et acteurs sociaux (responsables syndicaux ou patronaux).
Il en ressortait déjà l’observation d’un double mouvement d’autonomisation et d’enrichissement du travail, d’une part, et de marchandisation possible d’un travail morcelé par les nouvelles technologies (le travail à la tâche et à distance, asservi en mode digital), d’autre part. Ce double mouvement épousait à la fois des opportunités technologiques, des failles dans les juridictions nationales permettant le contournement de barrières légales et d’usages sociaux, mais aussi certaines aspirations individuelles à repenser la conciliation des temps personnels et professionnels, tout au long de la vie.
L’hypothèse dominante est alors que le travail, en 2030, articulera différentes formes de relations entre le travailleur et l’entreprise. Formes juridiques (salariat, contrat commercial ponctuel, relation intermédiée, autres formes hybrides de relations), formes sociales (degrés d’appartenance à géométrie variables), modes de rétribution (au temps, à la tâche, en reconnaissance de droits intellectuels individuels ou collectifs, voire solutions mixtes) et, bien sûr, situations de travail proprement dites (travail présentiel ou à distance, voire délocalisé).
De ce qui précède, à court ou moyen terme, découlent six défis pour les DRH.
Le premier est de repenser la relation de travail sous l’angle de l’autonomie du salarié et de la fluidité des situations de travail. Cette individualisation partielle (mais croissante) de l’organisation du travail suppose une articulation fine de l’individuel et du collectif et, pour cela, la réinvention des temps collectifs. Elle supposera d’accroître significativement les dimensions individuelles dans la relation managériale (et, donc, d’aider les managers à s’approprier ces logiques d’empathie, de sollicitation de l’autonomie du salarié, d’échange constant avec lui, etc.).
Le deuxième enjeu, corollaire, est d’orchestrer une véritable révolution du collectif, du créatif et du réflexif, dans l’activité de travail. Les DRH doivent participer à la réinvention des temps et espaces collectifs, à la diffusion des méthodes participatives d’élaboration de solutions, à la généralisation des dispositifs de retour réflexif sur l’activité et ses enjeux ou difficultés, à l’adoption de pratiques de réunions facilitant la créativité et la décision collectives, etc. Surtout, ils ne doivent pas tomber dans le piège d’assimiler présence au bureau et participation au collectif… Les passagers clandestins du collectif savent trop bien s’en accommoder ! Mais insérer le télétravail ou le recours à des non-salariés dans des projets et pratiques de services explicitement discutés et animés sera, par exemple, un prérequis à l’efficacité collective (qui n’est pas la somme des efficacités individuelles).
Le troisième enjeu réside dans la mesure de la charge de travail et des conditions de sa réalisation. Il ne s’agit pas là de revenir sur l’autonomie du collaborateur, mais de rester en mesure de lui épargner le surtravail, les stress d’embouteillage ou d’anticipation, les suspicions d’inéquité entre salariés, bref, tout ce qui peut rompre le lien d’engagement du travailleur. Le travail avec les DSI et les directions immobilières, gage d’efficacité quotidienne et ciment du sentiment d’appartenance à l’entreprise, s’intensifiera parallèlement.
Il est fort à parier que le quatrième thème, celui de la santé mentale, au sens large (stabilité émotionnelle, sentiment d’appartenance, troubles d’identité et d’humeur, jusqu’aux maladies mentales et syndromes dépressifs), prendra une importance croissante dans l’actualité quotidienne des services RH et des managers. Il s’agit, là, d’un défi pour eux et d’un chantier à mettre rapidement en œuvre, si l’on ne veut pas que le travail en 2030 soit d’abord défini par ses nouvelles pathologies larvées (prenant la suite du burn out, du harcèlement ou des RPS, sous-estimés, puis devenus explosifs durant les deux dernières décennies).
Ensuite, l’acclimatation du dialogue social à cette individualisation des formes et situations de travail, cinquième des défis RH, invite à expliciter et à projeter autrement le contrat social voulu par l’entreprise. Le traitement juridique des aléas de la relation de travail, sous l’angle du permis et du prescrit, sera une barrière de plus en plus fragile et, sur le fond, un horizon à dépasser.
De ce fait, le sixième et dernier enjeu reliera les DRH à la gouvernance de l’entreprise. A l’avenir, la qualité de la relation sociale proposée par une entreprise sera l’un de ses plus puissants facteurs de compétitivité. En quoi ses dirigeants et, à travers eux, son actionnariat se mobilisent-ils pour préserver la qualité de relation de travail et garantir sa sincérité ? Comment dépasse-t-elle sa simple nature contractuelle, pour construire un partage et un engagement réciproque ?
Ces six nouveaux défis rejoignent la bataille, déjà engagée par les DRH, sur les compétences et la formation. Cette bataille concerne aussi bien les salariés en poste, dans leur évolution, voire leur reconversion au fil du temps, que les métiers d’avenir, par lesquels notre économie est amenée à se renouveler et se ressourcer.
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