"Le travail hybride semble inéluctable, au vu des attentes des salariés et des entreprises"

"Le travail hybride semble inéluctable, au vu des attentes des salariés et des entreprises"

06.06.2021

Gestion du personnel

Protocole sanitaire, retour au bureau, mise en place d'une organisation hybride, nouvelles pratiques managériales... A l'heure où les entreprises préparent la seconde phase du retour progressif à la normale, Marie Bouny et Natalène Levieil, respectivement co-directrice de la practice Stratégie et Performance sociale et directrice de projet, spécialisée dans les RPS, au sein du cabinet conseil LHH, exposent les défis qui attendent les DRH.

Les entreprises commencent-elles à se saisir du nouveau protocole sanitaire ? Les échanges entre partenaires sociaux ont-ils commencé pour déterminer un nombre maximal de jours de télétravail par semaine ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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La multiplication du dialogue social de proximité risque de ralentir le déploiement d'un nouveau dispositif

Marie Bouny : le nouveau protocole étant applicable dès le 9 juin, le timing est très, très serré. D’autant que la formule "les employeurs fixent dans le cadre du dialogue social de proximité" laisse la porte ouverte à plusieurs interprétations. Première difficulté. Est-on dans le champ de la négociation collective ou du dialogue social avec le CSE ou représentants de proximité ? Le renvoi à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 plaide pour la négociation. La formule "les employeurs fixent" laisse songeur si c’est le cas…

Deuxième difficulté. Faut-il systématiquement privilégier l’établissement à l’entreprise et plus encore au groupe ? Est-ce une volonté que soit pris en compte les risques sanitaires au niveau territorial ? Des spécificités liées aux activités des établissements ? Le protocole ne précise pas ce point. La multiplication du dialogue social de proximité pourrait risquer de ralentir le déploiement d'un nouveau dispositif. Or, il est important de pouvoir le co-construire dans les meilleures conditions, et rapidement, le nouveau dispositif. L’enjeu est de taille. Le télétravail est une des mesures les plus efficaces pour se protéger de la pandémie.

L'étude ComCor, menée par l'Institut Pasteur en partenariat avec la Caisse nationale d’assurance maladie, l’institut Ipsos et Santé Publique France, en mars dernier, montre que le télétravail protège de la contamination : -24 % de risques pour le télétravail partiel et -30 % pour le télétravail total par rapport à des personnes effectuant le même travail en bureau. Le télétravail est un dispositif barrière. Et il le restera tant que la vaccination ne sera pas très majoritairement déployée.

Comment se prépare ce retour au bureau ? Les entreprises vont-elles mettre en place une organisation du travail hybride ?

Tout est en réflexion mais à des degrés divers, en fonction de la maturité des entreprises sur ce sujet 

Natalène Levieil : les organisations sont conscientes que nous ne reviendrons pas à un 100 % présentiel, ni un 100 % télétravail. Néanmoins, il est difficile à l’heure actuelle de définir la nouvelle organisation du travail. Les organisations prévoient une phase de transition et s’y prépare aujourd’hui dans leur dialogue social, mais également en recueillant les retours et attentes des collaborateurs à travers notamment des outils tels que des questionnaires ou des groupes de travail.

Marie Bouny : d’ores et déjà plus de 1 000 accords sur le télétravail, souvent à durée déterminée ont été signés depuis le début de la crise sanitaire, en mars 2020. Tout l’enjeu aujourd’hui est de savoir comment on bascule d’un télétravail contraint à un télétravail choisi, sans réitérer les effets néfastes observés induits par un télétravail intensif pendant le confinement. Cela suppose de traiter des sujets comme l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, le risque d’isolement, les risques psychosociaux, l'égalité professionnelle…

Ensuite, au vu des attentes des collaborateurs et des entreprises, le travail hybride semble inéluctable. On va tout à la fois assister à une augmentation du nombre de télétravailleurs (25 % pendant la crise contre 6 % à 10 % avant) et de jours télétravaillés (deux à trois jours). Tout est en réflexion mais à des degrés divers, en fonction de la maturité des entreprises sur ce sujet. Certaines viennent de s'en saisir. D’autres en sont déjà à leur cinquième génération d’accords sur le télétravail.

Quels seront les écueils probables auxquels les DRH risquent d’être confrontés face à cette nouvelle organisation ?

Le premier risque d’une organisation hybride porte sur le collectif de travail et le sentiment d’équité. 

Marie Bouny : on ne peut pas minimiser l’ampleur de la tâche. La mise en place du télétravail ne se résume pas uniquement à une question d’espace de travail. C'est une nouvelle organisation du travail dont il est question. Il faut une vision globale, en lien avec la qualité de vie au travail, la prévention des risques psychosociaux, l’égalité professionnelle et l'aménagement du temps de travail notamment.

Ce dernier sujet est d’ailleurs important. En additionnant les jours de télétravail, de RTT ou de congés payés, dans une même semaine, certaines équipes risquent d’être fragilisées, en ne se rencontrant qu’un jour par semaine. L’adéquation entre télétravail et jours de RTT est un sujet particulièrement sensible et complexe.

Natalène Levieil : le premier risque d’une organisation hybride porte sur le collectif de travail et le sentiment d’équité. Il va donc falloir être attentif à la mise en place de nouveaux modes de fonctionnement pour maintenir une vie d’équipe. L’éloignement ou la distance peut créer un management exclusivement individuel avec tous les risques que cela comporte pour le collectif de travail. L’équipe est souvent un vrai facteur de protection dans la prévention des risques psychosociaux.

Comment reconstruire la cohésion d’équipe, notamment entre les salariés en télétravail et ceux qui ont continué leur activité en présentiel pendant la crise ? Faut-il des mécanismes de compensation pour les salariés qui ne télétravaillent pas ?

 En dehors des mécanismes financiers, d’autres alternatives existent

Marie Bouny : tout dépendra des marges de manœuvre des entreprises. L’étude de la Direction générale du trésor d’avril 2021 a clairement mis en exergue que la pandémie de Covid-19 a eu un impact très marqué sur la situation financière des entreprises françaises. Elles ont connu une chute brutale de leur chiffre d'affaires, sans précédent dans certains secteurs. Beaucoup ont dû réduire leurs charges et emprunter pour faire face à leurs échéances. Aussi, même si tout a un coût, en dehors des mécanismes financiers de rétribution classiques, d’autres alternatives existent pour réduire la fracture entre ces populations.

On peut, par exemple, se pencher sur les conditions de travail, la QVT, l’amélioration des locaux de travail, la recherche d’une plus grande autonomie de ces salariés. Ce sont des pistes à étudier car il y a un vrai risque de fracture sociale au sein des entreprises. Il va falloir être créatif pour favoriser un traitement plus équitable des collaborateurs.

Les managers ont-ils été à la hauteur pendant la crise ? Ont-ils réussi à développer de nouvelles pratiques ?

Le taux de burn-out a doublé en un an et concerne 1,5 fois plus les managers 

Natalène Levieil : il est important de rappeler que la population des managers a été particulièrement fragilisée par la période. Leur charge mentale a été très importante et ils ont dû faire face à une pression forte entre le soutien des équipes et le maintien de l’activité. Le taux de burn-out a doublé en un an et concerne 1,5 fois plus les managers (chiffres baromètre OpinionWay). Face à cette crise sans précédent, une majorité des managers de proximité ont réussi à adapter leurs modes de fonctionnement et leurs pratiques. Pour d’autres, cela a été plus complexe de quitter le mode micro-management et de permettre à leurs collaborateurs par la définition d’objectifs et d’attendus d’être autonomes et responsabilisés.

Il va être essentiel de poursuivre l’accompagnement des managers dans les prochains mois, pour leur permettre d’assumer leur rôle essentiel auprès des collaborateurs dans la mise en place d’une organisation du travail hybride.

Marie Bouny : les accords de télétravail font, dans leur grande majorité, la part belle à l’accompagnement des managers. Preuve que le sujet est pris très au sérieux par les états-majors. Ces formations sont importantes. Elles gênèrent de nouvelles prises de conscience. La confiance est au cœur de la réussite du télétravail. Tout n’est pas encore parfait, les besoins sont encore importants : certains managers se sont contentés de calquer l’ancien modèle à l’œuvre au bureau, en organisant des réunions à distance en continu. Mais sans échanges informels, sans pause, sans moment disponible pour la production, ce rythme est infernal et générateur de tension.

De nombreux salariés restent réfractaires à un retour au bureau. Certains ont adopté une nouvelle organisation du travail et ne comptent pas faire une croix du jour au lendemain sur ces nouvelles conditions de travail qu’ils ont apprivoisées progressivement. Comment les entreprises peuvent-elles briser les réticences ?   

Cela implique notamment de mettre en place des entretiens de "reprise"  

Natalène Levieil : effectivement, certains témoignent avoir par cette crise, réussi à trouver une nouvelle organisation personnelle, gagné en autonomie et en responsabilisation sur leur poste. Il est important de ne pas créer de rupture brutale ou de revenir au fonctionnement d’avant crise, mais bien d’accompagner ces personnes dans la future organisation.

Cela implique notamment de mettre en place des entretiens de "reprise" avec les collaborateurs, afin de recueillir les appréhensions et les résistances, de coconstruire dans le cadre fixé (accord de télétravail, charte) le fonctionnement de demain.

Il faut que les temps de présence en entreprise soient porteurs de sens, cela veut donc dire qu’il faut mener une réflexion approfondie sur les activités et que celles qui sont réalisées sur le temps présentiel soient "facilitées" par cette dimension.

Certains salariés ont déménagé pendant la crise. L’éloignement par rapport au lieu de travail peut-il poser problème ?

 Le risque est de s’orienter vers un droit disciplinaire

Marie Bouny : on est ici sur des zones d’ombre. La prise en charge des frais de transports publics peut être discuté. Par ailleurs, que se passe-t-il si les besoins organisationnels nécessitent une adaptation des jours de présence ? Est-ce que les retards ne vont pas se multiplier ? Le risque est de s’orienter vers un droit disciplinaire avec à la clef, des sanctions.

Mais plus largement, notre cadre légal est conçu pour un travail en présentiel, dans les locaux de l’entreprise et sous la responsabilité de l’employeur. Naturellement, l’employeur n’est pas exonéré de ses obligations au seul motif que le salarié exerce son activité en dehors des locaux de l’entreprise. Mais comment veiller au respect de toutes les règles d'aménagement du local et du poste de travail notamment ? Parce que le télétravail bouleverse notre façon de travailler, il appelle des clarifications et modifications du cadre légal du travail.

 

Anne Bariet
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