Legal privilege du juriste d’entreprise : les autorités d’enquête n’en veulent pas

Legal privilege du juriste d’entreprise : les autorités d’enquête n’en veulent pas

28.10.2019

Gestion d'entreprise

Les représentants de l’Autorité de la concurrence et du parquet de Nanterre se sont montrés opposés à la protection des avis des juristes, lors d’un colloque organisé vendredi dernier à l’Assemblée nationale par Raphaël Gauvain.

Tout avait pourtant bien commencé. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, introduisait le colloque proposé par le député Raphaël Gauvain (LREM ; Saône-et-Loire), sur les procédures extraterritoriales, par ces mots « la reconnaissance de la confidentialité des avis juridiques français (…) pourraient effectivement permettre d’améliorer la compétitivité de nos entreprises ». Et cela participerait « à la promotion de la place du droit dans la vie économique ». Même si le gouvernement n’a pas encore concrètement proposé de légiférer sur un legal privilege à la française, il poursuit ses réflexions et affiche son intérêt pour le sujet.

La confidentialité des avis, l’Autorité de la concurrence est contre. Cela « nuirait aux enquêtes de concurrence », estime Irène Luc, vice-présidente de l’Autorité. « Les opérations de visites et de saisies sont essentielles pour permettre de recueillir des éléments de preuve ». Notamment dans des affaires de cartels, des pratiques de plus en plus sophistiquées, prévient Irène Luc.

Or, protéger les avis des juristes d’entreprise vis-à-vis de ces opérations, entraînerait un coût supplémentaire de bonne administration de la justice. Car mécaniquement, cela engendrerait des discussions, au cours de nouvelles procédures, sur les possibilités d’accès du gendarme de la concurrence aux documents saisis dans le cadre de perquisitions au sein d’entreprises. Les tribunaux sont déjà encombrés et l’Autorité n’aurait pas le budget pour absorber de nouveaux débats.

De plus Irène Luc prévient ; si une loi sur le sujet passe en France, « l’Autorité ne pourrait pas l’appliquer », dans le domaine spécifique de la concurrence. Elle serait, dans le cas contraire, non-conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE rendue dans l’arrêt Akzo - affaire limitant le bénéfice de la protection des correspondances avocats clients à l’exercice du droit de la défense par un avocat indépendant. Et la France pourrait même faire l’objet « d’une procédure en manquement au droit européen par la Commission européenne ».

« On va tuer les enquêtes qui pèsent sur les entreprises d’une certaine taille »

Accorder le secret professionnel de l’avocat au juriste cela va « tuer l’enquête », poursuit Guillaume Daïeff, premier vice-procureur de la République au parquet du TGI de Nanterre. Car l’avocat bénéficie de garanties procédurales. « Seul un juge ou un procureur peut réaliser une perquisition chez un avocat ». Et se retrouver seul en entreprise, sans une équipe d’enquêteurs, « cela ne sert à rien ». « On va tuer les enquêtes qui pèsent sur les entreprises d’une certaine taille », déplore-t-il.

Les avocats peuvent également s’opposer à la saisie de leurs documents a priori. Un débat en découle sur les pièces pouvant être réintroduites dans le dossier et qui deviennent ainsi accessibles au procureur. Il est organisé devant le juge des libertés et de la détention et peut « durer toute une journée ». Or, « ces garanties procédurales n’existent pas ailleurs », dans les pays où le legal privilege est reconnu aux avis des juristes.

Un legal privilege à la française

Raphaël Gauvain rappelle toutefois qu’il ne propose pas d’aligner totalement le secret professionnel du juriste d’entreprise sur celui de l’avocat. Son rapport soutient la rédaction d’une « définition matérielle » des documents susceptibles d’être protégés en entreprise relevant d’une consultation juridique. Le champ d’application du secret en entreprise serait donc « beaucoup plus restreint. Il s’agirait « d’un legal privilege à la française ».

« L’entreprise n’est pas là pour violer le droit en permanence », lance Marc Mossé, le président de l’Association française des juristes d’entreprise.

« Ce qui nous occupe c’est de faire passer le droit au stade de l’outil stratégique ».

Il faut « donner à nos entreprises les mêmes moyens de se défendre que les entreprises anglaises ou américaines », explique Raphaël Gauvain.

Car l’instauration de la confidentialité des avis juridiques permettrait surtout de régler le « problème d’égalité des armes dans les contentieux américains », précise Daniel Schimmel, avocat chez Foley Hoag. Dans un procès aux États-unis, dans lequel il a représenté Orange, l’entreprise a été contrainte de transmettre de très nombreux documents à ses adversaires, faute de legal privilege. Une stratégie développée par ses concurrents pour « trouver différents moyens d’ébranler » l’opérateur devant « le jury populaire américain ». Après trois années de procédure, Orange a toutefois gagné son procès outre-atlantique.

Lutter contre les fishing expedition

« Le cœur de nos préoccupations réside dans le contentieux commercial », abonde ensuite Adrien Cadieux, le directeur juridique de Technicolor. Sa « boîte mail » est d’ailleurs « saisie environ tous les 18 mois », dans des affaires de ce type intentées contre son groupe. Car ses adversaires utilisent, en France, l’article 145 du code de procédure civil pour obtenir la saisie de documents internes. Dans une affaire remontant à 2016, son groupe a fait l’objet d’une « fishing expedition ». « Un plaignant américain est venu récupérer des correspondances d’avocats » d’entreprise non protégés en France par le secret professionnel, afin d’alimenter une procédure aux États-unis. Il conseille donc à ses équipes de ne pas « faire d’analyse juridique » par écrit pour éviter ce type de désagréments.

A l’Autorité on a aussi constaté « que des plaignants instrumentalisent » la procédure de l’article 145 du code de procédure civil pour obtenir des documents stratégiques de leurs concurrents, concède Irène Luc. Elle salut alors « la grande avancée » constituée par la loi permettant de protéger les secrets d’affaires dans de pareils cas.

Mais alors ne faudrait-il pas attendre d’avoir un peu de recul sur ce texte avant de passer à une étape supérieure et de créer le statut d’avocat en entreprise ? La question est posée par l’avocat Thomas Charat, le président de la commission « droit et entreprise » du Conseil national des barreaux (CNB).

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Sophie Bridier
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