Les branches professionnelles vont-elles se saisir du CDI de chantier ?

Les branches professionnelles vont-elles se saisir du CDI de chantier ?

05.07.2017

Gestion du personnel

Plus souple et moins cher que le CDD classique ou à objet défini, le CDI de chantier pourrait être étendu, par accord de branche, à d’autres secteurs professionnels que le BTP, selon le projet de loi d’habilitation. Mais la balle est dans le camp des partenaires sociaux. Décryptage avec Stéphane Béal, associé du cabinet Fidal en charge du département de droit social.

C’est au niveau des branches professionnelles et non de l’entreprise que les conditions de recours au CDI de chantier seront examinées, selon le projet de loi d’habilitation, adopté en Conseil des ministres, le 28 juin. Ce contrat fait désormais partie des domaines pour lesquels les accords de branche primeraient de manière impérative sur les accords d’entreprise, au même titre que la régulation des CDD.

L’exécutif a, en effet, ajouté deux autres sujets à la sphère que les entreprises était jusqu’ici tenues de respecter : le financement du paritarisme et "la gestion et la qualité de l’emploi" qui intègre le CDI de chantier. L’administration vérifierait que ces conditions sont bien réunies et donnerait son homologation à l’accord le cas échéant.

La version provisoire mentionnait la possibilité de conclure ces contrats au niveau de l’entreprise "à titre expérimental", en fonction du secteur ou de ses effectifs. Mais le texte présenté en Conseil des ministres n’y fait plus référence. Pour Muriel Pénicaud, il n’y a pas de raison d’avoir des différences d’une entreprise à l’autre.

Répondre aux cycles de production

Actuellement réservé au BTP, ce type contrat pourra-t-il se généraliser ? "Il a toute sa place dans la chimie, l’aéronautique, l’automobile, notamment pour répondre aux cycles de fabrication d’un véhicule, mais aussi dans la banque, la mode, pour chaque collection alors assimilé à un chantier", énumère Stéphane Béal, associé du cabinet Fidal en charge du département de droit social.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le terme du chantier constitue le motif de rupture

Principal avantage : il permet de faire coller ces contrats à "la durée d’un chantier ou d’une opération". Mais ce n’est pas le seul. Comme tout CDI classique, "il comporte une période d’essai et peut être interrompu à tout moment en cas de faute réelle et sérieuse, grave ou lourde". La différence majeure réside dans le fait que l’employeur n’est pas tenu de justifier l’arrêt de la collaboration au terme du chantier puisque c'est ce terme qui constitue justement le motif de rupture", poursuit Stéphane Béal. Le contrat est alors rompu et le salarié touche des indemnités de licenciement régies par la convention collective. Il ne donne pas droit au versement d’une prime de précarité, contrairement aux CDD et à l’intérim. En outre, "comme le motif de licenciement (la fin de mission) est inscrit dès le départ, les risques de se voir infliger les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont atténués". En clair, "il n’y a pas de vices majeurs", observe l’avocat. Seule contrainte figurant actuellement dans la convention collective du BTP : "l’employeur est tenu, avant de se séparer d'un salarié, de chercher une possibilité de réemploi sur un autre chantier pour l’employer". Contactée, la Fédération française du bâtiment n’a pas répondu à nos demandes.

Plus "flexible" que le contrat de mission

Surtout, contrairement au contrat à objet défini ou contrat de mission, instauré par la loi de modernisation du marché du travail de 2008, il est beaucoup plus flexible. "Le contrat de mission ne s’adresse qu’aux cadres et est limité dans le temps", relève Stéphane Béal. De fait, pour Francis Bergeron, DRH France du groupe SGS, leader mondial de l’inspection, du contrôle, de l’analyse et de la certification (90 000 salariés), l’une des principales difficultés tient à l’impossibilité de renouveler ce contrat, "la durée d’une mission dépassant bien souvent le timing initialement prévu". Une quinzaine d’informaticiens ont été embauchés, l'an dernier, au sein du groupe SGS en CDI de projet pour des missions comprises entre 18 et 36 mois. Du coup, " il est peu utilisé, seul le Syntec numérique a conclu un accord pour  ce contrat", constate l'avocat. L’extension du CDI de chantier pourrait même signer son arrêt de mort.

Les points à négocier

Reste que la balle est dans le camp des partenaires sociaux. Or, pour l’heure, peu y sont favorables. La CGT s’oppose à ce dispositif, y voyant "la fin du CDI pour toutes et tous". Sa généralisation est également une "ligne rouge" pour FO. De même, la CFE-CGC dénonce "une vieille lune du patronat" et assimile ce contrat à de "l’intérim sans le surcoût de l’intérim". A moins, prévient Stéphane Béal, "d’éviter les postures dogmatiques et de négocier des conditions particulières pour ce contrat". Par exemple, "une durée minimale, des priorités de réembauche à l’issue de la mission, le versement d’indemnités de rupture différenciées de celles qui seraient versées en cas de licenciement économique ou individuel". De même, "l’accès à la formation pourrait figurer en bonne place de ces accords de branche".

Clauses sociales

A ces dispositions devrait s’ajouter, selon l'avocat, "un système, calqué sur le modèle du Fonds social de l’intérim (FASTT), pour faciliter l’accès aux prêts et au logement". A défaut, "ce type de contrat peut entraîner des effets pervers, soutient Alain Everbecq, DRH du groupe Poclain. On ne peut pas laisser vivre en permanence des personnes sous ce statut-là". "L'accompagnement social est, en effet, l’une des conditions pour que les jeunes aient envie d’aller sur des missions particulières, renchérit Stéphane Béal. De fait, il peut correspondre aux attentes de jeunes générations qui ne se projettent pas forcément sur le long terme, préférant zapper de mission en mission, en fonction de l’intérêt du poste proposé". Même si la plupart des entreprises en tension préfèrent offrir des CDI pour renforcer leur attractivité.

C��té gouvernance, ce système pourrait être "gérer paritairement au niveau interbranches". Car si l’arsenal juridique existe, il faut désormais créer les conditions économiques et sociales pour que les employeurs puissent s’approprier ce contrat… Vaste chantier !

Anne Bariet
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