Les cabinets comptables redeviennent-ils (assez) attractifs auprès des jeunes ?

Les cabinets comptables redeviennent-ils (assez) attractifs auprès des jeunes ?

22.11.2023

Gestion d'entreprise

Les voix sont de plus en plus nombreuses à affirmer que les cabinets comptables ne souffrent pas de manque d'attractivité auprès des collaborateurs. C'est notamment le cas de la F3P, fédération française à laquelle adhèrent 7 grandes firmes pluridisciplinaires, et du président de l'Anecs.

"600 000 CV reçus par an, 9 000 recrutements. Il n’y a pas de problème d’attractivité". Pour Sami Rahal, président de la F3P, fédération française des firmes pluridisciplinaires à laquelle adhèrent BDO, Deloitte, EY, Grant Thornton, KPMG, Mazars et PwC, ces cabinets séduisent toujours les jeunes diplômés. "On a eu une accélération du turn-over post-Covid pendant les deux années de rebond économique et de recrutement accéléré des entreprises. On est monté probablement autour de 25 % voire 30 %. Aujourd’hui, nos firmes fonctionnent de façon habituelle avec des turn-over de l’ordre de 15 à 20 % qui sont assumés", se félicite-t-il lors d’une conférence de presse de la F3P.

Diagnostic différent

Ce diagnostic tranche avec le refrain si souvent repris par les cabinets comptables ces dernières années, celui selon lequel ils ne manquent pas de clients mais de bras. "On souffre des mêmes difficultés que l’ensemble de nos confrères. On manque de collaborateurs techniques. On est malheureusement en sous-effectif. On travaille notre attractivité mais ce n’est pas forcément suffisant", constatait en début d’année Jean-Philippe Romero, président de CF (Compagnie fiduciaire), un groupe où travaillent pourtant 1000 collaborateurs.

D’ailleurs, l’Omeca, l’observatoire des métiers de l’expertise comptable, du commissariat aux comptes et de l’audit, affirmait il y a deux ans que "le secteur, qui connaît d'importantes difficultés de recrutement, doit renforcer son attractivité". Et d'après son dernier baromètre, le problème susbistait l'année dernière. Selon lui, 66 % des cabinets ayant recruté en 2022 ont rencontré des difficultés pour y parvenir. Ce chiffrage est tiré d'un panel, présenté comme représentatif, composé de 300 cabinets dont 170 qui ont embauché en 2022.

Le sujet des rémunérations

Les grands cabinets comptables ne sont pas les seuls à faire entendre une autre voix. C’est le cas de Matthieu Dintras, président de l’Anecs, qui estime que "la profession est attractive parce que le métier est intéressant. Le problème des cabinets provient du turn-over. Pour fidéliser les collaborateurs, les cabinets doivent mettre en place un management plus humain, réviser les rémunérations, valoriser les salariés, leur proposer des formations, leur confier des missions spécifiques, partager des moments conviviaux, etc.".

Un point de vue sur l'attractivité qui rejoint, dans les grandes lignes, celui exprimé au printemps dernier par Robert Dambo, président de Grant Thornton France. "La vraie difficulté n’est pas d’attirer les talents mais de les garder, résume-t-il. On constate une forte rotation sur les jeunes qui rentrent chez nous qui restent un an, deux ans, trois ans. Quand les jeunes ont passé le cap de trois ans, le taux de turn-over diminue drastiquement", analyse-t-il.

Cette difficulté de fidélisation, le cabinet Denjean revendique ne plus la rencontrer. Notamment, selon son président fondateur, grâce à la mise en place d’un FCPE qui a permis à tous ses salariés de devenir actionnaires de la structure dans laquelle ils travaillent.

Croissance des effectifs salariés

Globalement, un indicateur peut même alimenter la thèse selon laquelle ces cabinets sont attractifs auprès des collaborateurs. Cet indicateur, c'est celui des effectifs, ces derniers ayant augmenté ces derniers années dans la branche. Selon l’Omeca, qui se base sur les données de la Dares, il y avait fin 2021 dans ces structures 170 100 salariés contre 156 400 trois an plus tôt.

La question est donc peut-être aujourd’hui davantage de savoir si cela suffit pour satisfaire les besoins d’un point de vue quantitatif et qualitatif, ce dernier point étant étroitement lié à la numérisation croissante des activités traditionnelles telles que la tenue comptable et le basculement vers de nouvelles missions davantage orientées sur l'accompagnement, des prestations plus réactives, des services centrés sur les systèmes d'information ou encore des missions sur les rapports de durabilité. Bref, les cabinets doivent à la fois être au plus près des collaborateurs traditionnels pour les faire évoluer et séduire de nouveaux profils. Un challenge.

Consultation publique des grands cabinets

La F3P s’est d’ailleurs penchée sur le sujet. Il y a un an, elle a ouvert un site destiné à recueillir les sentiments — qui tournent parfois en ressentiments — des jeunes à l’égard de ses 7 cabinets membres. "Cette étude nous a beaucoup bousculé par le décalage de perception entre ce que nous renvoient les jeunes et ce que nous sommes vraiment, résume Eric Fourel, président d’EY France. Ce qu’ils nous renvoient ce sont des structures assez monolithiques, assez élitistes sur les profils de recrutement et très verticalisées qui sont finalement assez peu à l’écoute des volontés d’évolution des collaborateurs et aussi des modes d’organisation de leur vie en général et de cet équilibre vie professionnelle vie personnelle", analyse-t-il. Un sujet qui a d'ailleurs touché certains jeunes d’EY France l'année dernière. Une étude réalisée au printemps 2022 par l'intersyndicale d'EY & associés montrait une dégradation du ressenti des 220 collaborateurs répondants à cette étude.

Tremplin de carrière

"Au fond nous ne sommes pas si monolithiques que cela en termes de profils de recrutement puisque il y a un gros tiers de nos recrutements qui sont d’origine universitaire et un peu moins de deux tiers qui sont d’origine grandes écoles. Mais en réalité tout cela est la démonstration que nos cabinets restent l’un des tout premiers vecteurs de l’ascenseur social en France", se défend le patron d’EY France.

Pour ce qui est des Big four, ce phénomène de l’ascenseur social est d'ailleurs mis en exergue dans une étude récente de chercheurs (L'influence de la marque employeur perçue des Big four sur leur attractivité organisationnelle ; Chloé Guillot-Soulez, Edouard Chastenet, Audrey Charbonnier-Voirin ; 2019) . Selon ses auteurs, l’une des principales motivations des étudiants en finance-comptabilité (l'étude s'appuie sur 617 étudiants en fin de cursus universitaire) pour travailler chez un Big four en France est qu’un tel cabinet constitue un tremplin dans la carrière. Un phénomène finalement ancien.

 

Ludovic Arbelet

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