Les cinq points à retenir de l’accord-cadre national interprofessionnel sur la formation professionnelle

Les cinq points à retenir de l’accord-cadre national interprofessionnel sur la formation professionnelle

14.11.2021

Gestion du personnel

Caroline Scherrmann, avocate associée chez Flichy Grangé Avocat, et Franck Morel, avocat associé chez Flichy Grangé Avocat et ancien conseiller social du Premier ministre, décryptent les points les plus notables de l’accord-cadre national interprofessionnel du 14 octobre 2021 pour adapter à de nouveaux enjeux la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Alors que l'accord-cadre du 14 octobre 2021, très complet, devrait probablement être signé potentiellement par trois syndicats représentatifs interprofessionnels de salariés sur cinq, il nous a paru intéressant d’analyser son contenu et ce qu’il peut changer concrètement pour chacun. Notre propos n’est volontairement pas exhaustif. Nous avons retenu les points qui nous paraissent les plus saillants.

Dans son ensemble, cet accord-cadre s’inscrit dans un mouvement de bilan des dispositions issues de la loi du 5 septembre 2018 et d’engagement d’un certain nombre d’évolutions en découlant.

Les partenaires sociaux rappellent dans le préambule de ce texte son contexte de conclusion. Premier travail d’évaluation de la loi, avec un certain nombre de points de repères comme l’importance du dialogue social ou de l’accompagnement des salariés et des entreprises face aux évolutions des métiers et aux transitions, la volonté de faire des propositions communes forme le cadre ayant conduit à ce texte.

C’est un accord-cadre et il n’est donc pas directement applicable dans les entreprises comprises dans son champ d’application à la différence par exemple de l’accord-cadre national interprofessionnel du 17 mars 1975 sur l’amélioration des conditions de travail qui comportait tout à la fois des principes d’orientation mais aussi des prescriptions directement applicables.

Il a, selon ses signataires, trois fonctions :

  • celle d’engager les partenaires sociaux à mettre en œuvre ce qui relève de leur ressort dans les branches et, par voie de conséquence, dans les entreprises ; 
  • celle de mettre en œuvre avec les autres parties prenantes ce qui relève d’une responsabilité partagée, ce que l’on peut qualifier dans ces deux premiers cas, d’orientations d’actions ; 
  • et celle d’inciter les pouvoirs publics à agir  sur le plan normatif sur la base des recommandations formulées, ce que l’on peut qualifier, d’accord politique de recommandations.

Alors qu’un rapport d’évaluation au Parlement (1) devrait être présenté par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale courant novembre 2021, cet exercice autonome et complémentaire des partenaires sociaux, fruit de leur agenda social paritaire, permet de manière constructive de favoriser l’évolution de notre système de formation professionnelle pour le rendre plus efficient.

Les partenaires sociaux ont identifié sept thématiques et ont identifié des "travaux paritaires", ce qui peut renvoyer potentiellement aussi bien à des négociations qu’à des concertations ou des réflexions à mener dans chacune d’entre elles. Les verbes utilisés préemptent plutôt à chaque fois un type de méthode. Il s’agira ainsi selon les cas d’"évaluer", de "lancer une expérimentation", de "proposer", de "publier", d’"instruire", de "définir une méthode"… Ces chantiers reprennent pour l’essentiel les 49 propositions que les partenaires sociaux avaient transmises au ministère du travail le 20 juillet 2021 dans le cadre de la concertation initiée par la ministre.

Nous avons choisi d’examiner cinq des sept ensembles (2) de travaux paritaires identifiés par l’accord-cadre. Se dégage une série de questions et d’enjeux.

1 - Les partenaires sociaux entendent tout d’abord encourager durablement le recours à l’alternance

La loi du 5 septembre 2018, qui a considérablement assoupli le régime juridique des centres de formation en apprentissage (CFA) et les dispositions relatives au contrat d’apprentissage, a permis d’associer étroitement les branches professionnelles au pilotage de l’alternance. Cette réforme a permis de développer davantage encore le recours à ce dispositif puisqu’elle s’est traduite par une augmentation significative du nombre de contrats d’apprentissage, en particulier dans l’enseignement supérieur.

Ainsi, ces deux dernières années, il a été constaté une hausse de 40 % de nouveaux contrats d’apprentissage enregistrés en 2020 par rapport à 2019 (3). En 2020, 66 % des contrats d’apprentissage ont été conclus dans des entreprises dont l’effectif ne dépasse pas 49 salariés (4). En revanche, l’apprentissage peine encore à se développer dans les grandes entreprises (1 000 salariés et plus) et dans celles dont l’effectif est compris entre 50 et 249 salariés. Alors même qu’elles représentent à elles deux plus de 50 % de l’emploi en France, ces entreprises n’ont conclu en 2020 qu’un quart des contrats d’apprentissage.

Les partenaires sociaux, conscients que l’apprentissage constitue un puissant levier d’insertion professionnelle, ont entendu réaffirmer leur souhait de développer cette voie de formation à part entière.

Ainsi, trois enjeux prioritaires ont été identifiés par les parties signataires de l’accord-cadre national interprofessionnel : améliorer les dispositifs d’orientation vers l’apprentissage, renforcer l’accompagnement des jeunes et soutenir l’innovation pédagogique des CFA.

En premier lieu, les partenaires sociaux réaffirment leur volonté de renforcer plus encore les synergies entre l’éducation nationale et les entreprises. Le sujet n’est pas nouveau : la loi du 5 septembre 2018 prévoyait déjà un certain nombre de dispositions à ce sujet. En particulier, avaient été mises en place en 2018, les classes de 3e "prépa-métiers" qui, sur la base du volontariat, permettent aux élèves de 3e de bénéficier de cinq heures hebdomadaires de découverte professionnelle des métiers et des formations professionnelles (5). Dans le même sens, la loi avait également investi les régions d’un certain nombre de prérogatives en matière d’organisation d’actions d’information sur les métiers et formations (6). Sans revenir sur ces deux dispositifs, les partenaires sociaux ont souhaité au contraire aller encore plus loin, en encourageant la "modélisation" des heures dédiées à la connaissance des métiers et à l’orientation au collège et au lycée afin de pouvoir disposer de mécanismes d’évaluation de cette mesure. Les partenaires sociaux n’ont pas défini ce qu’ils entendaient par "modélisation". Il pourrait s’agir de recueillir des données sur l’utilisation de ces heures, de manière à en dresser un bilan partagé le moment venu pour évaluer le dispositif et identifier des pistes d’amélioration. Il y a, à ce stade, un manque de visibilité sur ce qui a été fait et sur les résultats obtenus. Cet exercice permettrait d’optimiser l’usage de ces dispositifs.

Ensuite, les partenaires sociaux affirment leur volonté d’encourager les passerelles vers les lycées professionnels, pour les jeunes entrés en CFA et qui demeurent sans contrat à l’issue de la période de recherche de trois mois mise en place par la loi du 5 septembre 2018 (7). Alors qu’a pris fin le "plan Jeunes" mis en place le 1er août 2020 par le gouvernement et qui avait permis à titre provisoire (jusqu’au 31 décembre 2020) de laisser six mois à un jeune formé en CFA pour conclure un contrat d’apprentissage, les chiffres arrêtés au 18 janvier 2021 par le ministère du travail indiquent que près de 38 000 jeunes seraient encore en recherche d’un employeur, sur les 51 000 jeunes entrés dans ce dispositif depuis août 2020.

La démarche des partenaires sociaux mérite donc d’être saluée dans la mesure où, à ce stade, environ 4 300 jeunes sont sortis du dispositif après avoir abandonné la voie de l’apprentissage, faute de trouver une entreprise d’accueil.

Des discussions sont actuellement en cours au ministère du travail, aux termes desquelles plusieurs pistes seraient d’ores et déjà envisagées. A ce stade, deux propositions semblent retenir plus particulièrement l’attention du gouvernement : la possibilité pour le jeune ne disposant pas d’un contrat d’alternance à l’issue du délai de trois mois, de poursuivre en formation initiale en fonction des places disponibles, ou, de poursuivre sa formation via les formations financées par les régions dans le cadre du programme régional de formation (PRF). A cet égard, si certaines régions ont pris l’initiative de créer une garantie pour ces jeunes à l’issue de la période de recherche (les Pays de la Loire), une harmonisation au niveau national, par exemple sous l’égide des branches professionnelles nous paraît souhaitable.

En dernier lieu, les signataires de l’accord national interprofessionnel souhaitent soutenir l’innovation pédagogique des CFA, qui constituent un levier important d’attractivité vers l’apprentissage. A cet effet, pour encourager les CFA, les partenaires sociaux veulent permettre de rendre éligibles aux dépenses libératoires des entreprises, les dépenses liées à l’innovation pédagogique des CFA. Rappelons qu’à ce jour, les CFA ne figurent pas au nombre des 13 établissements et/ou organismes mentionnés à l’article L.6241-5 du code du travail, auxquels l’employeur peut directement verser les 13 % du produit de la taxe d’apprentissage au titre des dépenses libératoires (8). Ce fut un sujet conflictuel au moment des débats parlementaires notamment pour les autres établissements d’enseignement qui craignaient de voir leurs ressources amputées. Une telle évolution ne peut être envisagée de manière unilatérale et doit s’inscrire dans une réflexion plus large, surtout si, par ailleurs, on réoriente les aides à l’alternance vers les bas niveaux de qualification.

Enfin, précisons néanmoins que la dynamique globale favorable au marché de l’apprentissage ne doit pas pour autant éluder le recul significatif du nombre de contrats de professionnalisation.

A la fin de l’année 2020, au plan national, n’ont été conclus que 112 742 nouveaux contrats de professionnalisation, soit une baisse de 48 % sur un an.

Ce bilan de l’alternance, qui dans le détail, paraît donc contrasté (hausse des contrats d’apprentissage et recul des contrats de professionnalisation), explique à notre sens la volonté des partenaires sociaux de "clarifier l’objet" des contrats d’alternance. Il faut sans doute y voir ici un écho au sempiternel serpent de mer relatif à la fusion du contrat d’alternance avec le contrat de professionnalisation. La différence entre ces deux dispositifs réside principalement dans le fait que seul le contrat de professionnalisation est de nature à proposer des formations qualifiantes, via notamment les certificat de qualification professionnelle (CQP). Les grilles de rémunérations minimales sont également très différentes. Certains pourraient soutenir qu’in fine, forts de leur succès, les contrats d’apprentissage permettent d’englober la préparation de formations qualifiantes en absorbant définitivement le contrat de professionnalisation. Très concrètement, pour autant, le développement du recours à l’alternance y gagnerait-il ? Rien n’est moins certain car harmoniser veut forcément dire uniformiser et perdre de la souplesse et, du reste, la ministre du travail a toujours indiqué, à juste titre, qu’il devait exister de la place pour les deux contrats. Les conclusions du rapport d’évaluation au Parlement prévu par la loi du 5 septembre 2018 (article 48) aborderont-elles la question ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

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2 - Les partenaires sociaux entendent ensuite professionnaliser l’utilisation du CPF et valoriser les nouvelles modalités de parcours

Le compte personnel de formation dans sa version issue de la réforme de 2018 connait un succès avec près de 2 millions d’inscriptions en formation à date en 2021 contre 1,1 million en 2020 et alors qu’elles n’étaient que 630 000 en 2019 selon la ministre du travail.

Cet essor est principalement lié aux différences majeures entre le CPF et les dispositifs antérieurs :

  • son accès est largement ouvert et n’est plus subordonné à l’inscription des formations sur des listes restrictives ;
  • il est utilisable via une plateforme numérique, chaque actif ayant connaissance des droits qu’il peut mobiliser ;
  • ces droits sont exprimés en euros, et non plus en heures.

Pour autant, les signataires de l’accord pointent le fait que le salarié doit pouvoir mobiliser son CPF au service de son parcours professionnel et en lien avec les besoins des entreprises de son territoire. Ils regrettent que l’utilisation du CPF s’inscrive insuffisamment dans ce cadre, notamment du fait d’une carence d’accompagnement.

L’enjeu est essentiel alors que les besoins de formations sont croissants et que les moyens financiers consacrés au CPF pourraient dériver, sans assurer ce lien avec ces mêmes besoins.

Le taux de recours pour les salariés du privé est passé de 1,5 % à 2,5 % entre l’ancien et le nouveau dispositif de CPF. La part des non-cadres et des moins qualifiés est plus forte mais le fait que les formations les plus suivies concernent les transports et, en particulier, le permis de conduire (pour un quart) et les langues (pour presque un cinquième), établit-il un lien avec les besoins de l’économie ? Un euro dépensé pour le CPF doit être profitable à l’emploi, à la croissance.

A cet effet, plusieurs leviers sont actionnés. En premier lieu, celui consistant à établir ce lien plus fortement via le conseil en évolution professionnelle. C’est la raison pour laquelle l’expérimentation demandée par l’accord-cadre à la Caisse des dépôts et consignations de conditionner l’achat de formations visant des certifications hors du répertoire national des certifications professionnelles à la validation de l’opérateur du conseil en évolution professionnelle est intéressante. Cela viserait en particulier les formations au permis de conduire, dont le recours via le CPF a été multiplié par quatre entre 2019 et 2020, ou à la création d’entreprise. Ces actions sont pertinentes et méritent souvent d’être encouragées mais via le CPF et dans le cadre d’un véritable projet professionnel alors même qu’existent d’autres moyens de soutenir ces démarches.

En second lieu, c’est le lien avec les besoins de l’entreprise qui est visé et l’instrument est l’abondement et le dialogue social. Cet abondement est faible puisqu’il a concerné à ce jour en cumul environ 20 000 salariés pour environ 50 millions d’euros, selon la ministre du travail, pour un budget total annuel consacré aux formations suivies dans le cadre du CPF dépassant le milliard d’euros.

Les causes de cette absence d’utilisation par les entreprises de la possibilité d’abonder le CPF pour des formations en lien avec leurs priorités sont multiples.

Il est possible, depuis septembre 2020, de procéder à des versements par des dotations volontaires des CPF des salariés. Cependant, ces versements ne peuvent, dans le cadre de l’utilisation de la plateforme, être liés spécifiquement aux formations pour lesquelles il est prévu un abondement de l’employeur dans le cadre de dispositions conventionnelles ou de la pratique de l’entreprise. En particulier, il ne sera pas possible à l’entreprise d’être remboursée si la formation n’est pas entièrement réalisée ou qu’elle ne correspond pas à ce qui peut induire un abondement en vertu des orientations évoquées. Il est possible de souscrire par ailleurs un engagement de nature contractuelle mais il sera de fait distinct et son mode de suivi peu aisé dans la mesure où le salarié reste à l’initiative du suivi de la formation et n’est pas tenu d’en informer l’employeur si elle est organisée en dehors du temps de travail. C’est la raison pour laquelle l’accord-cadre appelle à une simplification des procédures d’abondement en permettant à une branche professionnelle – l’accord ne définit pas qui représenterait en pareil cas la branche. Serait-ce l’Opco ? – ou à une entreprise qui a négocié un accord collectif sur les formations éligibles et salariés prioritaires pour un abondement – ce que permet l’article L.6325-14 du code du travail - d’acheter les formations présentant un intérêt partagé et de se faire rembourser par la caisse des dépôts.

Nul doute que ce serait pertinent et contribuerait à accroitre l’effet de levier.

Une autre raison de la faible appétence pour l’abondement réside dans le fait que le salarié reste le seul décisionnaire de mobiliser son CPF, l’employeur ayant cependant la possibilité de refuser que la formation soit suivie durant le temps de travail en réponse à une demande du salarié.

L’accord-cadre évoque ainsi ensuite la possibilité donnée à un accord collectif de cibler des formations identifiées hors formations obligatoires et mises en œuvre sur le temps de travail et ainsi de mobiliser pour partie le CPF des salariés. S’agit-il d’un simple rappel des possibilités légales ? En effet, il est possible pour un accord d’entreprise de définir les formations éligibles au CPF pour lesquels l’employeur s’engage à financer le coût supérieur aux droits inscrits sur le CPF du salarié (9) en payant potentiellement le tout et en se faisant rembourser par la Caisse des dépôts et consignation. Plus encore, il est possible, dans le cadre d’un  un accord collectif, de prévoir un abondement pour des formations éligibles spécifiquement visées et des salariés prioritaires(10). Si c’est le cas, il reviendra aux acteurs de s’en saisir. S’agit-il d’une nouvelle possibilité que les signataires appellent de leurs vœux de pouvoir mobiliser en partie les droits CPF du salarié pour des formations spécifiques et durant le temps de travail et ceci donc, le cas échéant, sans l’accord du salarié ? Il faudra clarifier ce point.

3 – L’accord-cadre veut faire du développement des compétences un enjeu stratégique des entreprises

L’équilibre financier de la réforme de 2018 est en question et si celle-ci a favorisé le développement de l’alternance et de l’usage du CPF, cela aboutit dans un contexte où les ressources liées à la collecte de la contribution obligatoire auprès des entreprises n’évoluent pas dans les mêmes proportions, à un déficit. Celui de France compétences est de plus 4,6 milliards en 2020, et pourrait être de 3 milliards en 2021. Si l’Etat procède à des dotations exceptionnelles, les raisons structurelles de ce déficit, l’aggravation de la situation liée à la crise sanitaire ne devant pas occulter cette réalité, doivent être traitées. Cela suppose d’une part de favoriser certaines évolutions en terme d’allocation des moyens et des ressources. Seront-elles suffisantes ? Mais cela suppose aussi de favoriser les autres leviers, démultipliant l’impact d’un euro dépensé pour la formation professionnelle.

Les partenaires sociaux entendent ainsi créer de nouveaux leviers d’incitation pour les entreprises en matière de développement des compétences des salariés et c’est une orientation essentielle. A cette fin, ils mettent en avant deux thèmes qui sont à notre sens pertinents et porteurs d’accroissement du recours à la mise en œuvre de formations professionnelles au bénéfice des salariés.

En premier lieu, ils demandent que les dépenses complémentaires de formation que les entreprises engagent, en sus des contributions que celles-ci doivent verser en application de la loi, bénéficient d’une aide.

Les contributions conventionnelles et volontaires auprès des Opco font partie de ce qui est visé. Elles permettent de financer des actions de manière très large puisque la loi précise qu’elles ont "pour objet le financement de la formation professionnelle continue" (11).

Lorsqu’elles sont le fruit d’un accord professionnel, elles ne sont mutualisées qu’entre les branches comprises dans le champ de ce versement conventionnel, ce qui permet le déploiement de politiques adaptées aux enjeux spécifiques de branches avec une grande souplesse quant à la nature des actions financées entre l’ingénierie, la formation, la rémunération des stagiaires notamment. Du reste, ces versements conventionnels et les financements qui en découlent sont en hausse constante puisqu’ils représentent une collecte de 557 millions et le financement d’actions à hauteur de 535 millions en 2019, en hausse de plus de 6 % et 20 % (12).

Il s’agit donc d’un levier pertinent qui pourrait être encouragé par une incitation sous forme, à titre d’exemples, d’abondement supplémentaire par les pouvoirs publics, de prise en charge des dépenses de formation en question sur la base de conventions avec les branches concernées. Il conviendrait juste de lever par, le cas échéant, une modification des textes, la question de savoir si des dépenses supplémentaires en faveur de l’apprentissage pourraient être financées via cette contribution dédiée au développement de la formation professionnelle continue et non initiale. Reste ensuite à savoir quels types d’autres efforts additionnels pourraient être éligibles à une aide, la finalité d’effet de levier aboutissant à n’aider que les dépenses véritablement supplémentaires. Un cadre pourrait être établi, les versements volontaires représentant par exemple en 2019 près de 1,2 milliards d’euros.

Les partenaires sociaux entendent ensuite instruire paritairement la clause de dédit formation. Le principe d’une telle clause est le suivant : Il est imposé au salarié, en contrepartie d’une formation assurée et/ou financée par l’employeur, de rester salarié de l’entreprise pendant une certaine durée et de lui verser à défaut en cas de départ de l’entreprise avant ce terme, une indemnité correspondant à tout ou partie des frais de formation engagés.

Ces clauses sont licites sous plusieurs réserves qui ont été dégagées progressivement par la jurisprudence. Elles doivent constituer la contrepartie d’un engagement pris par l’employeur d’assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou les dispositions conventionnelles, doivent prévoir un montant d’indemnité proportionné aux frais engagés et ne pas priver de fait le salarié de la faculté de démissionner (13). Ces clauses sont nulles si elles ne respectent pas toutes ces conditions. Elles doivent être conclues avant le début de la formation en précisant leurs conditions d’application concrètes : date, nature, durée de la formation, coût réel, montant et modalités du remboursement éventuel (14).

La clause de dédit formation est explicitement proscrite par la loi en matière de contrat de professionnalisation et est nulle si elle est conclue dans ce cadre (15). Bien que ce ne soit pas le cas en matière d’apprentissage, on peut estimer que cette clause serait également nulle si elle était insérée dans un contrat d’apprentissage tant le parallèle avec les contrats de professionnalisation est évident. Le fait que l’apprentissage vise une formation initiale ou encore qu’il soit organisé par la loi rend l’inclusion d’une clause de dédit formation dans ce domaine probablement nulle. Même une éventuelle restriction de cette clause à des situations de concurrence ne lui ôterait pas sa nature première de contrepartie aux efforts financiers consentis pour la formation de l’intéressé.

L’idée de sécuriser et d’élargir le recours à cette clause pour les contrats en alternance en offrant cette possibilité à la négociation collective via la mise en œuvre de moyens supplémentaires a été proposée par des organisations professionnelles et nous-mêmes (16). Le juge est attentif au fait qu’il ne soit pas porté atteinte au "principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle" et a ainsi interdit les clause d’exclusivité pour des salariés à temps partiel (17). Même si le juge constitutionnel n’a pas, jusqu’alors, affirmé ce même principe fondamental ou celui de liberté du travail, une disposition législative trop large et restreignant sans garantie la liberté du travail induirait vraisemblablement un contrôle vigilant de sa part. Une disposition assurant un bon équilibre et une sécurisation de telles clauses via des garanties de formes et de contenu serait bénéfique à tous. C’est un processus gagnant pour les deux parties, l’entreprise et particulièrement la TPE, sensible à ces questions, particulièrement dans les métiers en tension, le salarié qui bénéficiera de moyens de formations supplémentaires au prix d’un engagement limité dans le temps.

4 - L’accord-cadre soulève la question du financement du système

Cette question du financement est essentielle au regard tant du déficit de France compétences que de la dynamique inflationniste, certes pour la bonne cause mais inflationniste tout de même, de la réforme.

La révision des coûts contrats selon une méthode pluriannuelle avec les branches constitue effectivement un point de passage obligé. Le rapport IGAS/IGF d’avril 2020 (18) sur les conséquences financières de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle évoquait concrètement cette nécessité, avec des objectifs chiffrés.

L’accord-cadre est également l’occasion pour les partenaires sociaux de proposer un certain nombre de mesures destinées à prendre en compte l’ensemble des ressources mobilisables afin de mieux adapter le financement de l’alternance, de la formation et des transitions professionnelles aux enjeux actuels du marché de l’emploi (19).

S’agissant des mesures de financement de l’alternance, les partenaires sociaux réaffirment le principe d’équité en la matière. Ce principe vise à élargir le champ des contributeurs à la taxe d’apprentissage, en imposant à toute entreprise privée ou publique susceptible d’accueillir des apprentis, de contribuer au financement de l’alternance via cette taxe. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, plusieurs organismes en sont exemptés, en particulier, les sociétés relevant du secteur agricole et les associations non soumises à l’impôt sur les sociétés (20). Si, sur le papier, cette situation est exacte, elle préexistait à la réforme de 2018 et n’est donc pas à l’origine des déficits constatés. Par ailleurs, on ne peut qu’exprimer une réserve en constatant que les négociateurs et signataires potentiels de cet accord cadre excluent précisément de leur champ ces organismes qui relèvent, pour la plupart, de ce que l’on appelle les secteurs multiprofessionnels. Le vœu d’équité est donc formulé par des parties à destination d’autres acteurs qui ne sont pas autour de la table de négociation.

Concernant les mesures de régulation et de financement en matière de formation professionnelle, les signataires de l’accord-cadre souhaitent encourager l’adaptation des emplois au numérique et à la transition écologique. L’objectif est de mettre en œuvre une stratégie publique globale de financement de la formation professionnelle visant à accompagner les transitions numériques et écologiques du marché de l’emploi. A ce titre, les signataires de l’accord-cadre proposent la mise en place d’abondements publics sur le CPF des actifs, ciblés en priorité sur des formations en lien avec ces enjeux écologiques et numériques.

Par ailleurs, conscients de la baisse des dépenses engagées en matière de formation professionnelle par les entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 300 salariés (qui ne bénéficient plus, depuis le 1er janvier 2019, de l’accès à la mutualisation des fonds de la formation professionnelle), les partenaires sociaux souhaitent mettre en œuvre plusieurs mesures destinées à mieux les accompagner. Ainsi, les partenaires sociaux suggèrent que d’autres voies de financement soient trouvées. A ce titre, des fonds du plan de relance, du FNE-Formation et du Fonds social européen pourraient être mobilisés afin d’accompagner ces entreprises en matière de transitions écologiques et numériques. Les partenaires sociaux recommandent également que France Compétences soit dotée d’un budget spécifique réservé à l’accompagnement de ces entreprises à travers la création d’une section financière dédiée au sein des Opco.

Enfin, les partenaires sociaux proposent de favoriser les actions de formation porteuse via un redimensionnement des dotations au Plan d’investissement dans les compétences (PIC) en fonction du taux de retour à l’emploi des demandeurs d’emplois. C’est effectivement une piste porteuse.

5 - Enfin, les partenaires sociaux veulent poursuivre le chantier des transitions professionnelles

La septième et dernière thématique stratégique identifiée par les partenaires sociaux au sein de l’accord-cadre est celle relative aux transitions professionnelles. Le dispositif dit "TransCo", déployé pendant la crise sanitaire, vise à faciliter le passage de salariés occupant un emploi menacé ou fragile, vers des emplois identifiés comme "porteurs". Ce dispositif comporte donc un double objectif : permettre aux entreprises d’anticiper les mutations économiques de leur secteur d’activité, d’une part, tout en accompagnant les salariés afin de faciliter leur reconversion sur des métiers d’avenir, d’autre part.

S’il est vrai que ce dispositif semble apparaître de prime abord comme une véritable avancée en matière d’emploi et de formation professionnelle, les partenaires sociaux soulignent néanmoins que son efficacité opérationnelle n’a pas encore été démontrée. Il est vrai que plusieurs facteurs tendent à freiner l’essor de ce nouvel outil. Au-delà de son lourd processus de mise en place, le premier facteur, et non des moindres, est celui pour les entreprises d’identifier les emplois fragiles et ceux porteurs. En effet, toutes les entreprises ne sont pas toutes aussi avancées les unes que les autres en matière de politique de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP). De plus, la mise en place de ce dispositif requiert la négociation d’un accord, aussi bien dans les entreprises de plus de 300 salariés (via un accord de type GEPP), que dans les entreprises de moins de 300 salariés, dans lesquelles sa mise en place requiert la conclusion d’un accord spécifique dont la seule obligation réside dans l’élaboration d’une liste des métiers fragilisés (21).

Conscients des difficultés auxquelles les entreprises, quelle que soit leur taille, sont soumises, les partenaires sociaux s’engagent dans cet accord-cadre à ouvrir "sans délai", un chantier devant permettre l’inventaire des mesures à prendre pour favoriser les transitions professionnelles.

Du point de vue normatif, on ne peut que se réjouir que les partenaires sociaux décident de se saisir du dispositif Transco. En effet, les sources textuelles du dispositif actuellement en vigueur sont peu nombreuses. Seule une instruction ministérielle (22) et un questions-réponses du ministère du travail (à jour du 8 avril 2021) régissent ce dispositif, ce qui nous le pensons, peine à freiner son rayonnement au plan national.

Quoiqu’il en soit, si les partenaires sociaux envisagent dans l’accord-cadre un travail paritaire spécifique sur les transitions professionnelles pour procéder notamment à une évaluation du dispositif Transco, plusieurs avancées visant à simplifier le dispositif actuel ont déjà été annoncées. A ce titre, un nouveau projet d’instruction ministérielle relatif au dispositif TransCo présenté aux partenaires sociaux par le ministère du travail le 3 novembre dernier pourrait assouplir la mise en place du dispositif dans les entreprises de moins de 300 salariés. En effet, il deviendrait possible de mettre en œuvre ce dispositif par décision unilatérale de l’employeur (sans passer obligatoirement par la voie d’un accord), après information et consultation du comité social et économique lorsqu’il existe.

Cela étant, la question de l’ouverture du dispositif aux salariés volontaires au départ dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective demeure encore en suspens. Des discussions sur ce point devraient donc se poursuivre.

Ce type d’avancée pourrait offrir un coup d’accélérateur supplémentaire au dispositif en vigueur, en permettant à la fois d’associer volontariat, dialogue social et sécurisation du dispositif côté employeur puisque le contrat de travail du salarié ne serait pas suspendu mais rompu, le salarié ne pouvant plus réintégrer son poste ou un poste équivalent dans l’entreprise. On ne fera pas l’économie si on souhaite favoriser notablement les transitions professionnelles d’une remise à plat plus conséquente avec des dispositifs simples d’accès et répondant aux différents besoins sur la base du principe : un besoin/un dispositif.

 

(1) Un rapport d’évaluation au Parlement est prévu par la loi du 5 septembre 2018. Il devait être transmis trois ans après l’entrée en vigueur de la loi (article 48).

(2) Les thèmes afférents à la certification et au pilotage ayant potentiellement des effets moins directement visibles pour la vie des entreprises et des salariés.

(3) Soit près de 500 000 nouveaux contrats d’apprentissage enregistrés en 2020.

(4) Ces entreprises représentent 19 % de l’emploi en France.

(5) Article 14 de la loi du 5 septembre 2018, codifié à l’article L.337-3-1 du code de l’éducation.

(6) Article 18 de la loi du 5 septembre 2018, codifié à l’article L. 6111-3 du code du travail.

(7) Article L. 6222-12-1 du code du travail. 

(8) Article L. 6241-2, II du code du travail. 

(9) Article L.6323-11.du code du travail. 

(10) Article L.6323-14 du code du travail. 

(11) Article L. 6332-1-2 du code du travail. 

(12) Jaune budgétaire annexé au projet de loi de finances pour 2021.

(13) Arrêt du 21 mai 2002 ; arrêt du 5 juin 2002.

(14) Arrêt du 9 février 2010.

(15) Article L.6325-15 du code du travail. 

(16) Rebondir face au Covid 19 : neuf idées efficaces en faveur de l’emploi, Franck Morel, Institut Montaigne, septembre 2020.

(17) Arrêt du 25 février 2004 ; arrêt du 24 mars 2021.

(18) B. Drolez, A. Laurent et R. Pélissier (IGAS) – P. Gudefin, C. Hemous, F. Lavenir et S. Sauneron (IGF), Conséquences financières de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle, Avril 2020.

(19) Titre 6 de l’accord-cadre.

(20) Article 1559 ter A du CGI.

(21) Instruction ministérielle n° 2021/13 du 11 janvier 2021, II, 1.

(22) Instruction mininstérielle n° 2021/13 du 11 janvier 2021.

Caroline Scherrmann et Franck Morel
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