Les délits environnementaux prévus par le PJL Climat

Les délits environnementaux prévus par le PJL Climat

26.04.2021

Gestion d'entreprise

Trois nouvelles infractions sont prévues par le projet de loi Climat : un délit de mise en danger de l’environnement, un délit général de pollution et le délit d’écocide. Mais pour l'heure, elles suscitent une certaine perplexité et ne satisfont pas grand monde. Jean-Nicolas Citti et Manuel Pennaforte, avocats à la Cour, livrent leur analyse.

Samedi 17 avril 2021 s’est achevé, en première lecture à l’Assemblée nationale, l’examen en séance publique du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « PJL Climat ». Si le vote solennel du texte est prévu au cours de la séance de mardi 4 mai 2021, les débats sur la première version du projet de loi sont achevés.

Le titre VI du PJL Climat porte sur le renforcement de la protection judiciaire de l’environnement (art. 67 à 75). Le législateur introduit, dans le code de l’environnement, trois nouveaux délits, lesquels focalisent l’attention des associations de protection de l’environnement et des industriels : un délit de mise en danger de l’environnement, un délit général de pollution et le délit d’écocide.

L’analyse des éléments constitutifs des délits susvisés conduit à relativiser la portée qu’ils sont susceptibles de revêtir en pratique.

Analyse des dispositions des nouveaux délits environnementaux

Le délit de mise en danger de l’environnement ne constitue pas véritablement une nouveauté. Tel est bien le cas, en revanche, du délit général de pollution et du délit d’écocide.

Délit de mise en danger de l’environnement

Dans sa version issue des débats en séance publique, l’article 67 du PJL Climat prévoit que lorsque (i) une exploitation sans titre ou en méconnaissance d’une mise en demeure (cf. c. env., art. L. 173-1 et L. 173-2) (ii) le non-respect d’une mise en demeure émise par l’autorité disposant du pouvoir de police en matière de gestion des déchets (cf. c. env. art. L. 541-3, I) ou (iii) le transport irrégulier de marchandises dangereuses (cf. c. transp., art. L. 1252-5, I) « exposent directement la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable », les faits en cause sont punis de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au triple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

En somme, le délit de mise en danger de l’environnement repose sur la commission d’infractions prévues par le code de l’environnement et le code des transports dont il constitue une circonstance aggravante. Lorsque les infractions en question auront eu pour effet d’exposer l’environnement à un risque immédiat d’atteinte grave et durable (c’est-à-dire « susceptible de perdurer au moins 10 ans »), elles seront passibles de peines plus lourdes.

Dès lors, le premier délit introduit par le PJL Climat ne constitue pas, en soi, une nouvelle infraction.

Délit général de pollution

L’article 68 du PJL Climat introduit, ensuite, deux nouveaux articles dans le code de l’environnement (cf. les art. L. 231-1 et L. 231-2).

D’une part, le nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement constitue une extension du délit de pollution des eaux (cf. c. env., art. L. 216-6) à d’autres milieux (air et eaux superficielles, souterraines et de la mer). Sa caractérisation implique que trois éléments soient réunis :

  1. la commission de l’infraction doit reposer sur la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (à l’exclusion des fautes de négligence ou d’imprudence, plus faciles à caractériser pour les autorités de poursuite) ;
  1. la quantité de substances émises doit être supérieure à une valeur limite d’émission ou de rejet (i) prévue par la loi ou le règlement et (ii) prescrite par l’autorité administrative compétente ;
  1. l’émission ou l’écoulement doit entraîner des effets nuisibles « graves et durables » sur la santé, la flore et la faune, lesquels ne sont susceptibles d’être établis qu’à condition qu’ils aient perduré au moins 10 ans (alors que les faits visés par l’article L. 216-6 c. env. portent sur des effets nuisibles à la santé ou l’environnement nuisibles dont la portée peut n’être que provisoire).

D’autre part, le nouvel article L. 231-2 du code de l’environnement punit des mêmes peines l’abandon, le dépôt ou la gestion irrégulière de déchets qui « entraînent le dépôt, le déversement ou l’écoulement dans ou sur les sols de substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets qui portent une atteinte grave et durable à la santé, la flore, la faune ou la qualité des sols ».

Les faits réprimés par les nouveaux articles L. 231-1 et L. 231-2 du code de l’environnement sont punis de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Certes, les deux délits de pollution introduits par le PJL Climat protègent de nouveaux milieux (l’air pour l’art. L. 231-1 et les sols pour l’article L. 231-2). Toutefois, leurs conditions d’application (exclusion (i) des fautes d’imprudence et de négligence et (ii) des effets provisoires sur l’environnement) apparaissent de nature à restreindre considérablement les poursuites susceptibles d’être engagées sur leur fondement.

Délit d’écocide

Enfin, alors que la Convention Citoyenne pour le Climat avait proposé la création d’un « crime d’écocide », le Gouvernement a finalement proposé un délit, lequel sera constitué lorsque :

  • l’infraction prévue à l’article L. 231-1 (délit général de pollution en raison d’émissions dans l’air ou de déversement dans les eaux) est commise de manière intentionnelle ;
  • les infractions prévues au II de l’article L. 173-3 (réalisation d’un ouvrage, de travaux ou exploitation d’une installation en violation des prescriptions fixées par l’autorité administrative ayant entraîné des atteintes graves et durables à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau) et à l’article L. 231-2 (délit général de pollution résultant d’une méconnaissance de la réglementation encadrant la gestion des déchets) sont commises en ayant connaissance du caractère grave et durable des dommages sur la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, de l’eau ou des sols, susceptibles d’être induits par les faits commis.

L’auteur des faits encourt alors une peine de 10 ans d’emprisonnement et une amende d’un montant de 4,5 millions d’euros, ce dernier pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

En tout état de cause, malgré l’intense médiatisation dont ils font l’objet, il est assez peu probable que les délits nouvellement créés soient à l’origine de nombreuses poursuites.

Portée relative des nouveaux délits environnementaux

A ce jour, les commentaires parus sur les délits environnementaux présentés ci-dessus portent sur leur faible applicabilité tirée :

  • de la difficulté pour les autorités de poursuite et les associations de protection de l’environnement de caractériser « les atteintes et graves durables » sur l’environnement pendant une durée de 10 ans ;
  • du choix ayant consisté à fonder le délit général de pollution (cf. l’art. L. 231-1 c. env.) sur la seule violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, au détriment des fautes d’imprudence ou de négligence, plus aisées à caractériser.

Afin d’éviter toute redondance avec les commentaires déjà publiés sur les deux points susvisés, le présent article propose d’analyser les incidences potentielles des nouvelles infractions contenues dans le PJL Climat avec le pouvoir de dérogation octroyé au préfet, notamment en matière environnementale.

Pour rappel, le nouvel article L. 231-1 du code l’environnement dispose que le délit général de pollution en raison d’émissions dans l’air ou de déversement dans les eaux ne s’applique :

« 1° S’agissant des émissions dans l’air, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission fixées par décision de l’autorité administrative compétente ;

2° S’agissant des opérations de rejet autorisées et de l’utilisation de substances autorisées, qu’en cas de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente ».

A la lecture des dispositions ainsi reproduites, il apparaît que le seul dépassement d’une valeur limite d’émission ou de rejet fixée par une loi ou un règlement ne suffira pas à constituer l’élément légal de l’infraction prévue au premier alinéa du nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement.

Il faudra, en outre, que ledit rejet ou ladite émission dépasse une norme fixée par une prescription administrative.

L’articulation du droit pénal de l’environnement et des pouvoirs de police administrative spéciale conférés au préfet en matière environnementale est susceptible de provoquer un débat juridique intéressant. En effet, à l’aune de la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, les dispositions du nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement vont conférer aux prescriptions préfectorales un rôle central dans la caractérisation de l’élément légal de l’infraction de pollution de l’air ou des eaux.

La Chambre criminelle considère, en effet, que :

  • la seule violation d’une prescription d’un arrêté préfectoral portant autorisation d’exploiter une installations classée, lequel ne présente pas un caractère réglementaire, ne permet pas de fonder des poursuites pour mise en danger délibérée (cf. Crim., 30 octobre 2007, n° 06-89.365 ; voir également, Crim., 10 mai 2000, n° 99-80.784) ;
  • la violation d’un arrêté préfectoral ne peut fonder des poursuites pour mise en danger délibérée d’autrui qu’à la condition que la prescription en débat constitue la mise en œuvre d’une norme de rejet édictée par un arrêté ministériel, lequel revêt un caractère réglementaire (cf. Crim., 30 oct. 2007, Sté Métal Blanc, n° 06-89.365 et Crim., 21 septembre 2010, Sté Métal Blanc, n° 09-86.258 ; voir, également, concernant l’exploitation illégale d’une usine d’incinération d’ordures ménagères, Crim., 6 décembre 2016, Communauté d’agglomération Melun Val-de-Seine, n° 16-84.350).

Il découle des précédents rappelés ci-dessus que des poursuites pénales ne peuvent être engagées contre un exploitant industriel ayant méconnu une valeur limite d’émission ou de rejet prescrite par son arrêté d’autorisation qu’à la condition que la prescription en cause ait été adoptée en application d’un acte administratif à caractère réglementaire, tel un arrêté ministériel fixant des prescriptions de fonctionnement au niveau national.

En pratique, l’autorité préfectorale a tendance à « aligner » les valeurs limites d’émission ou de rejet prescrites dans ses arrêtés d’autorisation sur les valeurs limites fixées par les arrêtés ministériels, de valeur réglementaire.

Toutefois, le pouvoir de dérogation récemment octroyé aux préfets lorsqu’ils interviennent, notamment, en matière environnementale, est susceptible de susciter une difficulté juridique en cas de poursuites sur le fondement du nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement. En effet, en vertu du décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet, le représentent de l’État dans une région ou dans un département peut déroger aux normes environnementales encadrant, notamment, l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, sous réserve que les mesures dérogatoires concernées soient justifiées par (i) un motif d’intérêt général et (ii) par l’existence de circonstances locales (cf. l’art. 2 du décret susvisé).

Il importe donc de s’interroger sur le point suivant : comment le principe d’égalité des prévenus devant la loi pénale va-t-il s’articuler avec l’individualisation des prescriptions préfectorales rendue possible par le pouvoir de dérogation consacré par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 ?

Trois illustrations permettent de donner corps à l’interrogation ci-dessus.

Tout d’abord, à un niveau d’émissions ou de rejets égal, il ne saurait être exclu qu’une entreprise exploitant un site dans un département « A » puisse, en application du nouvel article L. 231-1, alinéa 2 du code de l’environnement, être poursuivie au motif qu’elle a dépassé une valeur limite d’émission ou de rejet prescrite par le préfet dudit département, tandis qu’une autre entreprise opérant dans un département « B » bénéficierait d’une prescription préfectorale « plus clémente » et échapperait, en conséquence, à toute poursuite.

Ensuite, il y a lieu de mentionner le cas dans lequel une seule et même entreprise exploite deux sites distincts situés dans deux départements différents. La loi pénale s’appliquera-t-elle différemment à cette même entreprise en fonction du lieu d’implantation de ses établissements industriels ? Pourra-t-elle dépasser une valeur limite d’émission dans un département sans risque de poursuite pénale, tout en s’exposant à de telles poursuites dans un autre département ?

Enfin, il importe de s’interroger sur le point de savoir si le dépassement d’une valeur limite d’émission fixée par le préfet en application de son pouvoir de dérogation pourrait être plus durement sanctionné que le dépassement d’une valeur limite d’émission ou de rejet prévue par un arrêté ministériel. En effet, dans l’hypothèse où la dérogation accordée par le préfet déboucherait sur la fixation d’une norme plus élevée (par ex. en concentration ou en flux) que celle, plus basse, fixée par l’arrêté ministériel, un éventuel dépassement de la norme dérogatoire octroyée par le préfet porterait, par définition, davantage atteinte à la préservation des milieux qu’un dépassement de la norme, moins élevée, fixée par l’arrêté ministériel.

A ce stade, il n’est donc pas exclu qu’en première lecture, les sénateurs aient à se pencher sur des situations auxquelles le Gouvernement ou les députés n’avaient pas nécessairement songé, au regard du principe d’égalité des prévenus devant la loi pénale.

Quoi qu’il en soit, les nouvelles infractions introduites par le PJL Climat suscitent, pour l’heure, une certaine perplexité : en réponse à la Convention Citoyenne pour le Climat, le Gouvernement a souhaité renforcer la protection de l’environnement. Toutefois, en l’état de leur rédaction, les délits en cause ne satisfont pas grand monde : les industriels sont préoccupés par l’ajout d’un nouvel arsenal de sanctions pénales à leur encontre, tandis que les associations de protection de l’environnement soulignent que les infractions concernées reposent sur des éléments difficiles à caractériser, si bien qu’il apparaît peu probable qu’elles génèrent de nombreuses poursuites.

Jean-Nicolas Citti Co-auteur : Manuel Pennaforte (Avocat à la Cour)

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