De nombreuses décisions ont été publiées récemment sur l'entretien professionnel, dont une de la Cour de cassation. Yoann Gontier, avocat associé au sein d'Epona Conseil, analyse ces arrêts et délivre ses recommandations aux services RH.
L'entretien professionnel commence à susciter un contentieux important devant les cours d'appel (et la Cour de cassation vient de rendre sa première décision). Comment l'analysez-vous ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Ces décisions sont le reflet des moyens soulevés par les parties. Les contrôles de l'administration sur la tenue des entretiens et l'abondement du CPF en cas de non-respect dans les entreprises d'au moins 50 salariés sont pour l'heure inexistants à ma connaissance, mais le sujet des entretiens professionnels émerge bien à l'occasion de contentieux prud'homaux portant tant sur l’exécution que sur la rupture du contrat de travail. En effet, outre les demandes de dommages et intérêts qui peuvent être formulées par le salarié à ce titre, la non-tenue des entretiens professionnels peut également constituer un argument à l'appui de la contestation d'un licenciement pour insuffisance professionnelle, le salarié invoquant le non-respect par l'entreprise de ses obligations en matière d'entretien professionnel, ce qui peut contribuer à fragiliser le licenciement. Cet argument peut également être invoqué pour d'autres motifs de licenciement. Par exemple, à l'occasion du licenciement économique d'un salarié motivé par des mutations technologiques, si ce dernier peut attester qu'il n'a pas bénéficié d'entretien professionnel, ni de formation d'adaptation. Ce peut être également le cas pour un licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement si le salarié n'a pas eu d'entretiens professionnels aux échéances prévues. Le salarié aurait pu se former et développer d'autres compétences qui auraient participé à son reclassement.
Ainsi, si l'on s'est focalisés dans un premier temps sur la sanction attachée au non-respect par l'entreprise d'au moins 50 salariés de ses obligations, en réalité, le non-respect de cette obligation peut toucher toutes les entreprises sous l'angle de la contestation de la rupture du contrat de travail et de l'exécution du contrat de travail. Les condamnations sont assez contenues mais elles viennent soutenir les demandes qui se démultiplient, dû notamment à l'effet collatéral de la barémisation des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce risque est donc un enjeu pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, et elles ne doivent pas s'en désintéresser.
Deux décisions des juges du fond prennent position sur la notion cumulative ou alternative des conditions prévues à l'article L.6323-13 du code du travail pour entraîner l'abondement du CPF du salarié (*). Que pensez-vous des solutions retenues ?
Dans un arrêt du 2 décembre 2020, la cour d'appel de Paris avait décidé que les conditions légales qui déclenchent l’abondement correctif doivent s’apprécier de façon alternative et non cumulative. L'employeur doit donc abonder le CPF du salarié au bout de six ans si pendant cette période ce dernier n'a pas bénéficié d'entretiens professionnels périodiques (tous les deux ans en application des dispositions légales supplétives) dans la période de six ans et d'au moins une formation non obligatoire. Cette solution de la cour d'appel de Paris, qui est en contradiction avec celle énoncée dans le questions-réponses du ministère du travail me semble cohérente au regard de la lettre des textes et des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 5 mars 2014. En effet, l'article L.6323-13 du code du travail précise bien que le CPF du salarié est abondé lorsqu’au cours d’une période de six ans, ce dernier n’a pas bénéficié des entretiens professionnels prévus et d’au moins une formation autre qu’une formation "obligatoire. Par ailleurs, le rapporteur de la loi du 5 mars 2014 indiquait, lors des débats parlementaires, que la sanction a vocation à s’appliquer dans les "entreprises d’au moins 50 salariés, lorsqu’un salarié n’a pas bénéficié ni des entretiens professionnels ni d’au moins deux des trois mesures précédemment citées" (rapport sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la formation professionnelle, n°1754, tome I).
Deux autres arrêts de cour d'appel de Rouen du 13 avril 2023 et de Dijon du 3 mars 2022 (en pièce jointe) vont dans ce sens.
La Cour de cassation vient de trancher en faveur de la possibilité de tenir l'entretien professionnel et l'entretien d'évaluation le même jour...
La solution est cohérente sur le plan juridique et pragmatique car elle correspond aux pratiques des RH. Sans compter qu'il existe d'autres entretiens et qu'ils sont tous liés : suivi de la charge de travail des salariés en forfait-jours, suivi du télétravail,... Les RH doivent toutefois veiller à prendre certaines précautions. Il convient d'accorder à chacun des entretiens des temps dédiés distincts. Pour s'en constituer la preuve, il faut établir autant de convocations ou d'invitations que d'entretiens prévus avec des horaires différents [invitation pour l'entretien professionnel et convocation pour l'entretien d'évaluation] et avoir deux supports d'entretien bien distincts. Il y a une cohérence à mon sens à tenir d'abord l'entretien d'évaluation, puis l'entretien professionnel.
Quels sont les autres points de vigilance en matière de formalisme dans l'organisation de l'entretien professionnel ?
Il me semble important de remplir le compte rendu de l'entretien au fil de l'eau. Cela est utile notamment si le salarié refuse de le signer à la fin de l'entretien. Afin de se constituer une preuve de la tenue de l'entretien, l'employeur pourra ainsi l'envoyer par mail ou lettre en recommandé en actant que le salarié a refusé de le signer.
Le salarié doit par ailleurs être informé dès l'embauche qu'il va bénéficier d'un entretien tous les deux ans. La question se pose de savoir comment porter cette information à la connaissance des salariés. Dans l'attente du décret d'application de la loi "DADUE" du 9 mars 2023 qui apportera peut-être une réponse, je recommande d'introduire une clause en ce sens dans le contrat de travail.
Vous soulignez également les difficultés de computation des échéances lorsque l'entretien professionnelle a lieu après une absence...
Dans certains cas limitativement énumérés par le code du travail, le salarié doit bénéficier d'un entretien professionnel à la suite d'une longue absence [congé maternité, congé parental d'éducation, congé proche aidant, congé d'adoption, congé sabbatique...]. Il peut être délicat pour les RH de fixer la date de l'entretien suivant. Prenons l'exemple d'un salarié dont l'ancienneté est de trois ans, qui a bénéficié d'un entretien professionnel au bout de deux années et, qui à l'issue d'une absence de huit mois, bénéficie d'un entretien professionnel. A quelle date aura lieu le prochain entretien professionnel ? Doit-il avoir lieu deux ans à compter de ce nouvel entretien ou dans les quatre qui suivent son embauche ? Je recommande de garder le rythme de deux ans pour simplifier le suivi pour les services RH.
Autre difficulté, en cas de transfert légal ou conventionnel des contrats de travail...
Dans certains secteurs d'activité, dans lesquels il est prévu une reprise conventionnelle des contrats de travail en cas de perte d'un marché (propreté, sécurité, restauration collective, transports de voyageurs...), le nouvel employeur doit s'efforcer d'obtenir l'historique des entretiens professionnels auprès de l'ancien employeur. Même chose en cas d'application de l'article L.1224-1 du code du travail. Il n'est pas satisfaisant selon moi de repartir de zéro au moment du transfert des contrats de travail car cela ne permet pas de vérifier qu'un entretien de bilan aura lieu au terme de six années et cela exposerait l’entreprise aux risques contentieux précités. En cas de difficultés à obtenir ces informations de la part de l’ancien employeur, je recommande d'envoyer une mise en demeure par courrier recommandé.
Vous recommandez également de négocier sur la périodicité des entretiens professionnels...
Les entreprises doivent, à mon sens, se saisir de la possibilité donnée par la loi du 5 septembre 2018 de négocier sur la périodicité des entretiens professionnels. Un accord collectif peut ainsi permettre de prévoir un entretien tous les trois ans au lieu de deux afin de mieux cadencer et de redonner du sens à l'entretien professionnel. Nombre d'entreprises l'ont déjà fait, petites ou grandes, pourvues de délégués syndicaux ou non, à l'occasion du premier cycle des six ans. En effet, un accord conclu pendant le cycle est valable pour tout le cycle rétroactivement. Il s'agit d'un véritable outil à la disposition des entreprises.
(*) Dans les entreprises d'au moins 50 salariés, lorsque le salarié n'a pas bénéficié d'entretiens professionnels tous les deux ans dans la période de six ans et d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2, un abondement d'un montant de 3 000 euros est inscrit à son CPF.
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