Les exceptions au droit d’auteur ne sont pas d’interprétation extensive

30.09.2022

Gestion d'entreprise

L’État dont les juridictions échouent à expliquer en quoi le souci d’information du public quant à l’histoire du pays justifie le rejet de l’action en contrefaçon, par interprétation extensive des exceptions au respect des droits d’auteur, porte atteinte à la jouissance paisible de la propriété, au sens de l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans une décision du 1er septembre 2022, et au regard de l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) caractérise l’absence de garantie, par l’État Azerbaïdjanais, de la jouissance paisible du droit de propriété d’un auteur d’une œuvre protégée. En l’espèce, un ouvrage sur l’histoire du pays avait été publié en ligne dans sa version numérique par une institution, offrant la possibilité de son téléchargement au public, dans un but non commercial, mais sans autorisation ni rémunération de l’auteur au titre de cet acte de reproduction.

L’auteur avait saisi les juridictions de fond afin d’obtenir réparation. Il avait été débouté par les juges de première instance, ainsi qu’en appel. La Cour suprême en est ensuite venue à rejeter le recours en cassation. Dans ce contexte, l’auteur ressortissant de l’État Azerbaïdjanais a saisi la CEDH, arguant de la défaillance de l’État à assurer la protection de sa propriété, défaillance résultant, selon lui, d’une interprétation extensive des exceptions au respect du droit, et ayant eu pour effet de faire échec à la qualification d’un acte de contrefaçon dont il entendait obtenir réparation des conséquences. Le requérant dénonçait dès lors l’application arbitraire du droit par l’État.

Pour la CEDH, le juge national ne saurait faire une interprétation extensive des exceptions existantes, au prétexte que l’acte de reproduction commis sans autorisation de l’auteur d’une œuvre avait un objectif d’information sur l’histoire du pays, même quand l’utilisation de cette œuvre n’était pas commerciale. Étaient en jeu notamment les exceptions de copie privée, et en faveur des bibliothèques. Or, au regard des faits, celles-ci ne pouvaient être utilisées comme justification de l’acte de reproduction sans consentement de l’auteur.

Il ressort du jugement de la CEDH que les juridictions nationales n’ont pas fourni les (bonnes) raisons du rejet de l’action en contrefaçon, ce qui conduit la Cour à constater que l’État a manqué à l’obligation de garantir le droit de propriété intellectuelle que lui impose l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention. En outre, la Cour estime que l’impossibilité du requérant à présenter des arguments étayant son préjudice, lié à l’atteinte aux droits patrimoniaux, fait échec à la condamnation au paiement de dommages et intérêts subis en raison du manquement au droit d’auteur. Elle reconnaît néanmoins la nécessité d’une réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte aux droits moraux, qui reste ceci dit assez dérisoire.

En définitive, la Cour, dans une décision méritant l’attention - dans la mesure où il est rare qu’elle soit saisie de questions de respect des droits de propriété intellectuelle et spécialement de droit d’auteur - rappelle que les exceptions au respect du droit d’auteur ne sont pas d’interprétation extensive, en ce compris lorsque la balance entre les intérêts du public et ceux des titulaires de droit semble devoir pencher davantage dans le camp du premier. Ces exceptions ne sont donc pas susceptibles de couvrir toute pratique, prétendument justifiée, notamment par un souci de diffusion de l’information et de la connaissance relative à l’histoire d’un pays, ainsi qu’il en était question en l’espèce.

La présente solution se présente dès lors comme une appréciation raisonnée et orthodoxe de l’obligation des États à garantir la propriété intellectuelle des auteurs, sur le fondement de l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention.

Anaïs Depinoy, Docteur en Droit privé et sciences criminelles, Enseignant-chercheur au CEIPI, Université de Strasbourg

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