Certains professionnels relèvent des difficultés d'application concernant le transfert aux entreprises de la charge de la collecte de l'impôt et le traitement des gérants majoritaires, ainsi que des arbitrages à prévoir pour les dirigeants entre rémunérations et dividendes pendant l'année de transition. Sans compter une incertitude qui pèse sur l'avenir de la réforme elle-même.
Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, issu de la dernière loi de finances, continue d’alimenter les débats. C’était encore le cas la semaine dernière lors d’une conférence du club expert patrimoine (CEP). Cette réforme "a été votée en des termes assez précis, c’est-à-dire que Bercy a fait un travail de fond qui la rend applicable", même s’ "il y a sans doute encore (…) des adaptations à faire", a déclaré Jean-Pierre Cossin, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, devant un peu plus de 300 professionnels inscrits.
Première difficulté pointée du doigt : le traitement des gérants majoritaires de SARL (1). Selon la réforme, la rémunération des dirigeants TNS (assimilés fiscalement à des salariés) doit faire l’objet d’une retenue à la source (comme les salaires, les pensions de retraite…), indiquent les intervenants. Ce système implique un calcul de l’impôt sur les revenus de l’année N et un prélèvement effectué par l’organisme payeur (qui le reverse ensuite au Trésor). En pratique, il n’est "pas possible" pour les experts-comptables de mettre en place ce dispositif, compte tenu du mode de fonctionnement de la rémunération de ces contribuables, estime Laurent Benoudiz, président du CEP. Parfois il y a des règlements importants en début d’année, parfois il n’y en a pas, explique-t-il ; de plus, ces dirigeants n’ont pas de bulletins de paie. "Ça n’a aucun sens", relève le nouveau président de l’ordre des experts-comptables Paris-Île-de-France. Qui suggère de traiter plutôt les gérants majoritaires comme des BIC/BNC, lesquels sont soumis à un système d’acompte calculé, lui, sur les revenus N-2 ou N-1 et prélevé par l’administration sur le compte bancaire du contribuable. "Il va falloir que sur ce sujet-là, on reparle sérieusement avec l’administration fiscale", indique Laurent Benoudiz.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Ce transfert aux entreprises de la charge de la collecte est ce qui pose le plus problème, estime l’expert-comptable. L'employeur (notamment) devra procéder à la retenue à la source lors du paiement des salaires. A priori, il devra faire figurer sur le bulletin de paie le taux, l'assiette et le montant du prélèvement, le net à payer avant et après prélèvement. Un décret à paraître devrait apporter plus de précisions sur ce point. Cela se traduira par une ligne supplémentaire sur le bulletin de paie, résume Jean-Pierre Cossin.
Une simplicité en trompe-l'œil. Car "une ligne, c’est une assiette multipliée par un taux". Le taux ne pose pas de difficulté majeure puisqu’il sera transmis par l’administration et les entreprises n’auront aucune marge de manœuvre (sauf à choisir un taux neutre ou individualisé). La liberté de l’expert-comptable est "nulle" sur ce sujet (envoi des infos via la DSN en échange de la récupération d’un taux), souligne Laurent Benoudiz. En revanche, la détermination de l’assiette de l’impôt est plus complexe, selon lui. Par exemple, pour les salariés en CDD de moins de deux mois ou "dont le terme est imprécis", un abattement égal à la moitié du montant mensuel du Smic leur sera appliqué avant l’application de la grille de taux neutre.
Avant la mise en place de cette réforme en 2018, des interrogations surgissent concernant l’année de transition 2017. L'imposition des revenus non exceptionnels perçus cette année sera annulée via un mécanisme de "crédit d’impôt de modernisation du recouvrement" (CIMR). "Mais le législateur a anticipé largement toutes les idées que vous auriez pu avoir", laissant une marge d’intervention "étroite" aux experts-comptables, observe Jean-Pierre Cossin. En effet, une liste de revenus exceptionnels (qui seront donc imposés) a été fixée : certaines indemnités de rupture du contrat de travail, les golden parachutes et les golden hellos, ou encore les "gratifications surérogatoires" qui regroupent tous les bonus et primes qui ne sont pas habituels. Soit une définition très large. Dès lors, par exemple, les primes de bilan de janvier 2018 qui seraient versées à vos collaborateurs par anticipation en décembre 2017 (et qui seraient donc exceptionnelles) rentrent dans cette catégorie et seront imposées en 2018, prévient Laurent Benoudiz. Car il y aurait alors une double prime en 2017, une en janvier (habituelle) et une en décembre (exceptionnelle).
Des arbitrages sont en revanche à prévoir pour les revenus des dirigeants qui contrôlent l'entreprise qui leur verse un salaire (d'un point de vue fiscal). Un dispositif spécifique définit leurs revenus exceptionnels par leur montant (à côté de bénéfices exceptionnels par nature) (2). Pour calculer le CIMR, une comparaison est effectuée entre les bénéfices réalisés au titre de 2017 et ceux réalisés en 2016, 2015 et 2014. Un crédit d’impôt complémentaire est prévu au titre de 2018 (lire notre article). D'où un raisonnement en deux temps : si le dirigeant veut bénéficier d’un crédit d’impôt élevé en 2017, ses bénéfices 2016 devront être élevés. Si ce n’est pas le cas, il existe une session de rattrapage en 2018 s'il déclare un bénéfice plus élevé qu’en 2017, résume Jean-Pierre Cossin.
Les cabinets devront aussi étudier les opportunités de répartition entre rémunérations et dividendes (exclus de la réforme en tant que revenus de capitaux mobiliers). Par exemple, un gérant majoritaire de SARL qui, habituellement, se verse 100000 euros de rémunérations par an, complétées par 30000 euros de dividendes, aurait intérêt, dans ce nouveau cadre, à prendre 130000 euros de rémunérations en 2016, relève Laurent Benoudiz. Sinon, les 30000 euros de dividendes (qu’il envisagerait de se verser en 2017 et correspondant à un bénéfice 2016) ne rentreraient pas dans le calcul du CIMR. Alors qu'avec 130000 euros de rémunération en 2016, ce gérant majoritaire pourra encore se verser 130000 euros en 2017 sans payer d’impôt sur cette somme, explique le président du CEP.
Selon lui, ce nouveau système pourrait aussi entraîner des "effets pervers" : le risque d’avoir une rémunération en 2017 plus faible que la rémunération la plus élevée des trois années précédentes. Et donc de perdre l’opportunité de percevoir une rémunération non "annulable" pour cette année blanche.
Plus globalement, un point d’interrogation pèse sur la réforme elle-même. Sera-t-elle maintenue par le prochain président de la République élu en mai 2017 ? Rien n’est moins sûr, certains candidats ayant d’ores et déjà annoncé qu’ils supprimeraient ce dispositif. Tel est le cas de François Fillon, qui représentera la droite aux présidentielles, et qui prévoit dans son programme l’abrogation pure et simple du prélèvement à la source de l’IR. "La probabilité que la mesure soit annulée est réelle", affirme Laurent Benoudiz. Qui indique que la DGFiP elle-même a prévu cette éventualité. Elle a travaillé "avec en tête la possibilité que la réforme ne se fasse pas". "Tout est prêt, il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton. Mais il y a une solution aussi qui consistera à ne pas appuyer sur le bouton", souligne le président de l'Ordre de Paris.
Bref, ces différents questionnements n'aident pas les cabinets à anticiper la réforme et à l'expliquer à leurs clients et aux salariés de ceux-ci.
(1) Selon l'article 62 du CGI, les "traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations" allouées aux gérants majoritaires des SARL n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes sont soumis à l'IR selon les règles prévues en matière de traitement et salaires. Conditions : les rémunérations de gérant majoritaire doivent être considérées comme déductibles. Sur le plan social, les gérants majoritaires sont considérés comme des non salariés, contrairement aux gérants minoritaires (sous conditions).
(2) Le dispositif concerne aussi les indépendants notamment.
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