Les organismes de formation dans les starting blocks

Les organismes de formation dans les starting blocks

21.11.2019

Gestion du personnel

Nouvelles stratégies marketing, pédagogiques, tarifaires… Le lancement de l’application CPF contraint les prestataires à réviser leur offre. Des inquiétudes demeurent notamment sur la standardisation des formations proposées, les éventuelles publicités mensongères ou encore la perte des abondements jusqu’à avril prochain.

C’est une nouvelle étape que franchissent aujourd’hui les organismes de formation. Avec la fin de l’intermédiation, chaque actif peut, avec l’application "moncompteformation", contacter directement un organisme et payer un stage avec les droits dont ils disposent sans mobiliser les opérateurs de compétences. Un changement de braquet salué par Sana Ronda, présidente de la commission langues de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) et de Linguaphone. "C’est un changement inédit. La formation à portée de clic! Les démarches administratives vont être considérablement simplifiées. L’appli facilite indéniablement la mise en œuvre des formations jusqu’au paiement". "Les Opca mettaient deux mois pour répondre à une demande financement. Avec l’appli, ce sera deux jours", renchérit Natanael Wright, président de Wall Street English.

"Nous avons hâte d'être le 21 novembre pour mettre en place notre première formation via le compte le jour même", insiste, de son côté, Arnaud Portanelli, fondateur de Lingueo, un organisme spécialisé dans les cours particuliers de langue par visioconférence.

"Il n’y aura pas 100 % de l’offre le 21 novembre mais au moins une grande partie", assure Muriel Pénicaud.

Les méfiances des prestataires

Il y a toutefois eu quelques méfiances de la part des prestataires. "La saisie des offres de formation a été laborieuse, indique cette responsable. D’autant que les délais ont été considérablement réduits. Nous pensions avoir jusqu’à fin novembre pour transmettre notre catalogue. Or, il a fallu terminer le 4 novembre". "Les obstacles ont été levés, constate Arnaud Portanelli. Les conditions générales d’utilisation sont très claires et à tout moment nous pouvons enrichir ou ajuster notre catalogue de formation". Le moteur de recherche concentrait la plupart des inquiétudes. La visibilité de l’offre dépend, en effet, du type de référencement adopté. "La Caisse des dépôts ne retient ni un ordre alphabétique, ni un référencement payant, poursuit Arnaud Portanelli qui a participé à un groupe de travail sur le sujet. Les offres seront classées par critère de pertinence, en fonction de l’intitulé de la formation. Si plusieurs propositions sont équivalentes, elles s’afficheront de manière aléatoire".

Les notations, prévues dans la "V3", semblent être mieux acceptées. "Le risque de remarques désobligeantes est minime, concède Natanael Wright. Contrairement à d’autres sites, type Tripadvisor, nos concurrents ne pourront poster leurs critiques. Sauf à suivre la formation …".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Mettre en valeur l’offre de formation

En amont, la plupart des prestataires ont révisé leurs tarifs à la baisse. Selon le ministère, le prix médian d’une prestation est désormais de 1 400 euros, contre 2 400 euros jusqu’ici. Conséquence ? Ils proposent davantage de parcours multimodaux, incluant du e-learning, du blended leaning ou encore des classes virtuelles.

Les organismes ont également affûté leur stratégie marketing pour mettre en valeur leur offre. L’objectif est de toucher le grand public en accélérant le passage d’une logique B to B (business to business) à une logique B to C (business to consumer). C’est à-dire de transformer l’individu en acheteur potentiel. "Nous avons repensé notre offre en précisant pour chaque formation l’intitulé de la certification (Toiec, Toefl...), insiste Arnaud Portanelli. Une centaine de formations certifiantes sont d’ores et déjà disponibles en langues étrangères, y compris en langues des signes". Lingueo peut également s’appuyer sur sa propre certification linguistique, le Lilate. Pour ce faire, il compte sur le "bouche-à-oreille" pour se faire connaître.

Tous les organismes n’ont pas, en effet, les moyens de s’offrir des encarts publicitaires dans le métro. D’où des stratégies variées : communication digitale, via les réseaux sociaux (Viadeo, Twitter, Linkedin…) ; webinars grand public sur de nombreux domaines de formation ; conférences…

Contrer les éventuelles dérives

Le risque d’une publicité mensongère, voire agressive, pour toucher les nouveaux clients existe. Le ministère le reconnaît à demi-mot. "La formation reste un marché libre", concède-t-il. Pour contrer les dérives éventuelles, il a dévoilé, début novembre, la marque de certification qualité que devront afficher les organismes de formation à compter de 2021. Baptisé "Qualiopi, elle vise "à donner de la visibilité à la qualité". Autrement dit, à attester que l’organisme répond bien aux critères qualité listés par le code du travail.

"On ne trouvera donc que des formations ayant une valeur sur un CV", résume ainsi Muriel Pénicaud.

Catalogue de formation standard

Garantie suffisante ? L’inquiétude reste palpable au sein des organismes. "Nous faisions jusqu’ici des parcours sur-mesure. Aussi est-il difficile de proposer une offre standard", pointe cette responsable. "L’objectif pédagogique d’une formation est de combler l’écart entre le point de départ et le point cible. Or, l’appli nous demande de mettre en ligne notre catalogue de formation, sans individualiser les contenus en fonction des besoins", regrette Sana Ronda. Un peu comme si on revenait à l’an I de la formation professionnelle".

D’autres craignent que les stagiaires aillent vers le "moins-disant", c’est-à-dire les formations low cost, à faible coût, sans prendre en compte la qualité du parcours proposé. Avec par exemple, l’intervention "de formateurs délocalisés en Inde ou aux Philippines", pour les cours d’anglais. "Le stagiaire n’est pas le mieux placé pour choisir sa formation", insiste cette formatrice.

Natanael Wright nuance toutefois cette inquiétude. "Certains Opco payaient 9,15 euro l’heure de formation. D’autres conservaient des cagnottes astronomiques sans les dépenser… C’était une aberration".

Automatiser les heures de Dif ?

Le responsable de Wall Street English alerte sur l’obligation pour un utilisateur d’inscrire ses heures de Dif sur "Moncompteformaiton" avant la fin de l’année 2020. "Une grande partie des Français et surtout ceux qui en ont le plus besoin de se former ne connaissent pas l’existence du Dif. Il faudrait donc que ces heures Dif soient automatiquement ajoutées au CPF".

Autre écueil : il se veut également vigilant sur les conditions de paiement. Car si la Caisse des dépôts versera, selon les conditions générales d’utilisation, 25 % du montant de la prestation au démarrage de la formation, le prestataire devra attendre le terme du stage pour toucher les 75 % restants. Or, "pour les formations longues, cette solution n’est pas satisfaisante car notre trésorerie va se creuser considérablement. On ne peut pas imaginer qu’un organisme puisse former une personne pendant un an avec un simple acompte de 25 %". Aussi suggère-t-il de rémunérer les organismes au fur et à mesure la prestation, par tiers ou par quart.

En attendant la V2

Surtout les organismes attendent la V2 avec impatience. C’est, en, effet, de cette nouvelle version que dépendront les abondements versés par les branches professionnelles, les entreprises, Pôle emploi ou encore les régions… Elle devrait être opérationnelle en avril 2020. "Une branche pourra ainsi décider de consacrer un financement particulier aux formations menant à ses métiers en tension afin d’inciter les acheteurs à s’y orienter", explique Bruno Lucas, délégué général à la DGEFP.

Car cette quote-part constitue, de fait, une manne précieuse pour les organismes. "De nombreuses entreprises ont inclus le CPF des salariés dans le plan de développement des compétences, insiste Sana Ronda. Mais vont-elles poursuivre ce co-investissment ? Et quelle sera la réaction du salarié ?".  La monétisation du CPF change la donne. "Les salariés prennent davantage conscience de leurs droits alors qu’ils n’arrivaient pas à s’approprier les heures de formation", remarquait Romain de Tellier, président d’Arc Industries, une PME spécialisée dans la tôlerie industrielle de précision, à l’occasion d’un colloque au Medef sur ce sujet, en novembre. En clair : vont-il thésauriser, co-construire leur formation ou investir directement ?

C’est de leurs comportements que découlera la réussite (ou non) de l’appli. Le ministère croise les doigts.

Anne Bariet
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