Les pesticides à l'épreuve de la responsabilité du fait des produits défectueux

23.11.2020

Gestion d'entreprise

L'absence d'information des utilisateurs sur les dangers d'utilisation d'un produit engage la responsabilité du producteur.

Le très long combat judiciaire mené par Paul François contre le producteur de pesticides Monsanto touche à sa fin. La Cour de cassation vient en effet de rejeter le pourvoi formé par la société contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon qui, en 2019, l’a déclaré responsable du préjudice subi par l’exploitant du fait de l’inhalation accidentelle des vapeurs d’un herbicide lors de l’ouverture d’un pulvérisateur. Aucun des arguments de la requérante ne lui a permis de prendre en défaut le raisonnement des juges du fond et d’échapper à la responsabilité de plein droit prévue par les articles 1245 et suivants du code civil.

En premier lieu, la Cour conforte l’analyse des juges lyonnais à propos de la date de mise en circulation de l’herbicide « Lasso ». La responsabilité de plein droit, encourue par le producteur de produits défectueux, s’applique aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant plusieurs dispositions européennes, soit le 22 mai 1998 (L. n° 98-389, art. 21). S’agissant d’un produit fabriqué en série, la mise en circulation correspond à la commercialisation du lot dont il fait partie, solution dégagée en 2017 (Cass.1ère civ., 20 sept.2017, n° 16-19.643). En l’espèce, le produit incriminé a été vendu à l’exploitant en 2004 par une coopérative qui s’était fait livrer en 2002 et aucun élément ne permettait de retenir une date de commercialisation plus précoce en raison d’une longue période de stockage au sein notamment de la coopérative.

La contestation de la qualité de producteur ne pouvait pas davantage prospérer au regard de sa définition légale. Est assimilé à un producteur, toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif (C. civ., art. 1245, al.2, 1°). Le conditionnement du produit ne laissait pas place au doute puisque la société Monsanto s’y présentait sans ambiguïté comme le producteur de l’herbicide. La Cour de cassation a d’ailleurs refusé de renvoyer une question préjudicielle à la CJUE.

Il revient aux juges du fond d’apprécier souverainement la preuve du dommage corporel subi par la victime et plus encore celle d’un lien de causalité entre le préjudice et le produit. Le contrôle de cassation est donc à cet égard relativement limité ; toutefois, conformément à sa jurisprudence, la Cour vérifie que la juridiction du fond s’est fondée sur des indices graves, précis et concordants et estime en l’espèce que les éléments fournis par l’exploitant étaient suffisants pour établir le lien de causalité.

Enfin la défectuosité du produit, dernier point contesté par la société Monsanto, a été correctement constatée par la juridiction lyonnaise. Compte tenu de sa dangerosité liée à l’inhalation du chlorobenzène, le producteur aurait dû signaler la présence de ce gaz en quantité importante et ses risques d’utilisation par un étiquetage alertant notamment sur les protections à mettre en œuvre lors du nettoyage des cuves de traitement des pulvérisateurs. Aucune information n’avait été fournie à ces deux égards en violation des obligations législatives et réglementaires alors en vigueur (L. 2 nov. 1943, art.7, mod. par L. n° 99-574, 9 juill. 1999 ; D. n° 94-359, 5 mai 1994 ; Arr. 6 sept. 1994, NOR : AGRG9402177A). Ces manquements flagrants à la réglementation étaient caractéristiques de la défectuosité du produit au sens de l’article 1245-3 du code civil (ancien 1386-4) puisque n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre au vu de sa présentation et d’un usage raisonnable.

Véronique Inserguet-Brisset, Maître de conférence en droit public - Faculté de droit de l'université de Rennes

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