Les plans Ambition bio 2027 et Ecophyto 2030 ou l’agriculture aux deux visages

29.02.2024

Gestion d'entreprise

A quelques jours d’intervalle, le Gouvernement met en place deux politiques visant à soutenir à la fois la filière bio et l’agriculture conventionnelle qui, bien qu’ayant des pratiques différentes, subissent la même réalité économique.

Pour répondre aux revendications du monde agricole, le Gouvernement a mis en place une feuille de route générale mais également des actions par filière. L’agriculture biologique n’est pas oubliée puisqu’un plan « Ambition bio 2027 » a été présenté par le ministère de l’agriculture. Ces annonces offrent un fort contraste avec celles relatives au plan Ecophyto 2030 dévoilées quelques jours auparavant, mettant en exergue la disparité des pratiques des exploitants agricoles.

Le plan Ambition bio 2027 pour soutenir la filière de l’amont à l’aval

Ce plan est une feuille de route qui développe en plusieurs axes les 26 mesures à mettre en œuvre pour développer la filière bio qui subit un recul ces dernières années avec un ralentissement des installations et une baisse de chiffre d’affaires depuis 2021.

Comme pour le plan Elevage, des actions d’information et de communication à destination des consommateurs ou des acteurs de la restauration destinées à valoriser la filière sont programmées. Le respect des 20 % de produits bio dans la restauration collective est également identifié comme une possibilité de débouché pour les exploitants. La loi EGAlim avait fixé une date butoir au 1er janvier 2022 (C. rur., art. L. 230-5-1), force est de constater que l’objectif est loin d’être atteint puisque la part des produits biologiques dans ces achats alimentaires n’était que de 6,6% en 2021.

Structurer les filières

La loi EGAlim, qui rend la contractualisation obligatoire, est peu appliquée dans la filière biologique. Le Gouvernement plaide pour la création d’organisations de producteurs (OP) ou d’associations d’organisations de producteurs (AOP) spécialisées afin d’équilibrer les rapports de force dans les négociations commerciales. Les interprofessions seront par ailleurs encouragées à élaborer de nouveaux plans de filière intégrant des objectifs en bio.

Les acteurs du bio seront par ailleurs invités à fournir des référentiels sur les coûts de production et la chaîne de valeur en agriculture biologique et à participer à l’expérimentation sur l’affichage de la rémunération des producteurs, qui doit voir le jour au 1er juillet 2023 pour 5 ans (L. EGAlim 2 n° 2021-1357, 18 oct. 2021, art. 10 ; D. n° 2023-540, 29 juin 2023).

Soutenir financièrement les exploitants

Le Fonds Avenir Bio (FAB), dédié à la structuration des filières biologiques et géré par l’Agence Bio va réviser ses critères d’attribution, ses modalités de gestion et de sélection. En outre, des actions de communication sur les autres financements disponibles, tels que le guichet unique « émergence de projet », le fonds « Entrepreneurs du vivant » et les dispositifs relevant du plan Ecophyto, seront mis en place.

Adossé au plan Ambition bio 2027, un nouveau plan de soutien à l’agriculture biologique de 90 M€ pour 2024 a été annoncé. Il est en attente de validation par la Commission européenne et fera l’objet d’une instruction de FranceAgriMer qui encadrera les modalités d’attribution de l’enveloppe. Le ministère a d’ores et déjà indiqué que seraient concernées les exploitations spécialisées a minima à 85% en agriculture biologique et/ou en conversion et ayant subi une perte de chiffre d’affaires ou d’EBE de plus de 20% en 2023/2024 par rapport à la période 2018-2020. L’aide compensera 50% de la perte d’EBE pour un minimum de 1000 € et un maximum de 30 000 €, majoré de 40 000 € pour les jeunes agriculteurs et les nouveaux installés (Min. agri., Communiqué de presse, 28 févr.).

Ce plan de soutien s’ajoute à ceux déjà mis en place en 2023. En fin d’année notamment, le Gouvernement avait accordé une aide de 94M€ validée par l’UE (v. notre actualité « Agriculture biologique : la Commission européenne donne son accord pour abonder l'enveloppe de crise », 15 janv. 2024).

Encourager l’installation en bio

Dans le cadre du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles (PLOAA) qui sera débattu devant les assemblées dès cet été, un guichet unique d’aide à l’installation verra le jour sous la forme d’un réseau France Services Agriculture.

Pour faciliter l’accès au foncier, les prêts garantis par l’État pour les jeunes installés, annoncés par Bruno Lemaire lors du salon de l’agriculture (Min. éco. 27 févr.), pourront bénéficier aux jeunes installés en bio.

Dans ce même cadre, les règles de priorité du contrôle des structures seront modifiées afin de favoriser les pratiques agroécologiques et le maintien en agriculture biologique, notamment en favorisant les conversions.

Utiliser les intrants avec parcimonie

En agriculture biologique les intrants extérieurs sont limités, voire prohibés comme les engrais chimiques de synthèse, notamment les engrais minéraux azotés. Le Gouvernement souhaite donc étoffer le panel de matières fertilisantes organiques et assurer la transparence de leur étiquetage.

Pour encourager une utilisation raisonnée des intrants, le Gouvernement compte sur le plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures, dit plan PARSADA. Lancé en mai 2023, celui-ci vise à proposer des alternatives aux produits phytopharmaceutiques susceptibles d’être retirés du marché dans les années à venir. Une initiative issue des expériences passées concernant notamment l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes pour les betteraves ou du Phosmet pour le colza.

Le plan Ecophyto 2023 pour mettre les agriculteurs français à égalité

L’exemple des néonicotinoïdes et du Phosmet renvoie directement à l’actualité du plan Ecophyto 2030. Mis à l’arrêt au moment de la crise agricole, ce plan a été largement remanié pour satisfaire la revendication principale des exploitants : ne pas créer de distorsion par rapport à la concurrence européenne.

Dès la pause annoncée, le Gouvernement a entamé un exercice d’équilibriste visant à contenter à la fois les agriculteurs et les écologistes. Pour ces derniers, il a confirmé le maintien de l’objectif de réduction de 50% de l’usage des produits phytosanitaires d’ici à 2030 tout en indiquant qu’il fallait remettre à plat les modalités de calcul de ce ratio pour les aligner sur celles de l’Union européenne.

Exit donc l’indicateur franco-français NODU (pour NOmbre de Dose Unité) qui sera remplacé par les indicateurs de risque harmonisés européens (HRI1 et HRI2). Contrairement à leur homologue français qui calcule le nombre de traitements appliqués à pleine dose sur une surface d’un hectare, les indicateurs européens correspondent à des sommes pondérées rapportées à une période de référence. Les coefficients, établis en fonction de la classification des substances actives des produits phytopharmaceutiques établie par la réglementation européenne (Règl. (CE) n°1107/n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, 21 oct. 2009 ; Règl. (UE) n°540/2011 de la Commission, 20 mars 2011), sont majorés par la dangerosité du produit.

En appliquant le HRI, la France, qui a interdit de nombreuses substances classées CMR1 (substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) ces dernières années, obtiendrait un pourcentage de réduction des produits phytosanitaires bien plus élevé qu’avec le NODU, et pourrait donc maintenir son objectif de 50% de réduction tout en laissant plus de marge de manœuvre à ses agriculteurs.

Remarque : le cabinet du ministère de l’agriculture a confirmé que, malgré un alignement sur l’UE, l’interdiction des néonicotinoïdes et du glyphosate serait maintenue dès lors que des solutions de traitement alternatives avaient été développées dans le cadre des plan pré-PARSADA.

Par ailleurs, ce cadre européen sur lequel la France va s’aligner est lui aussi susceptible d’évoluer car des travaux européens sur les indicateurs sont en cours. Le règlement utilisation durable des pesticides, dit SUR, est censé se substituer à terme à la directive sur l’usage durable des pesticides (SUD). Son examen a pour l’instant été suspendu sine die par l’Union européenne en raison des révoltes agricoles dans toute l’Europe. Deux sujets sont sur la table et pourraient fortement influer sur le calcul du ratio : la période de référence (2010, 2012, 2015, 2017 ?) et le périmètre de définition des produits phytosanitaires (intégralité des substances chimiques ou exclusion des produits de biocontrôle).

A noter enfin, la France a mis en œuvre la procédure de clause de sauvegarde pour l'interdiction les produits traités au thiaclopride sur son territoire, se démarquant ainsi du reste de l’Union européenne (v. notre actualité « Crise agricole : le thiaclopride désormais interdit en France », 26 févr. 2024).

Anne DEBAILLEUL

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